Mataharis

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Original dans sa démarche, Mataharis s´attaque à la délicate question de l´identité féminine face au travail, sans fournir toutefois de véritable réponse.

Silencieuses, tourmentées mais déterminées, Inès, Eva et Carmen partagent le même secret : leur métier. Elles sont détectives privées. Toutes trois travaillent pour Valbuena, patron ambitieux et machiste. Un tel début de synopsis évoque immédiatement les inoubliables Drôles de dames. Pourtant, Mataharis prend le contre-pied total des Charlie’s angels, adaptation cinématographique jet-set et glamour de la série télévisée. Confondues dans le paysage madrilène, les héroïnes de Iciar Bollain évoluent, elles, dans un réalisme quasi documentaire.

En référence à la légendaire espionne hollandaise Mata Hari, le titre pluriel du film de Iciar Bollain s’imprègne d’une aura gorgée de charme et de mystère. Si les Mataharis espagnoles de Iciar Bollain ont délibérément choisi d’être détectives privées, les risques qu’elles prennent n’en sont pas moins réels, même si leur féminité, inhabituelle dans la profession, en fait des espionnes insoupçonnables.

Loin du suspense haletant des films policiers ou d’espionnage, Mataharis se situe dans le registre du portrait social. Prétexte pratique, la profession originale des héroïnes permet à la réalisatrice de centraliser son propos autour d’une question omniprésente aujourd’hui : « Jusqu’où peut-on se sacrifier pour un travail ? ». Porteuses idéales d’une bribe de réponse, les femmes servent ici de témoins. Funambule déstabilisée par des injonctions sociales contradictoires, l’existence contemporaine féminine frôle souvent la schizophrénie. C’est en tout cas ce qu’évoque le quotidien de Inès, Eva et Carmen.

Inès est la plus jeune. Le portrait de Mata Hari qui trône dans son salon représente la passion et le pouvoir de séduction qu’elle use tant au travail qu’auprès des hommes. Sa rencontre avec Manuel l’oblige à faire un choix entre les deux. Eva, épouse et mère de deux enfants, s’astreint quotidiennement à assumer vie de famille et carrière avec la même énergie. Lorsqu’elle soupçonne son mari d’adultère, ses réflexes d’enquêtrice prennent le dessus. Carmen de son côté, dialogue avec les plantes et ignore son mari. Son métier a fait d’elle une femme désenchanté et indifférente.

Trois femmes et toujours la même question en tête. Le montage alterne méthodiquement les récits. Chacun s’observe. Que ce soit à travers le pare-brise d’une voiture, une caméra cachée dans un sac ou un e-mail. Mais chacun voit finalement toujours une partie de lui en l’autre. Les sorties d’Iñaki révèlent le besoin d’évasion et de recul d’Eva, l’adultère subi par l’un de ses clients, rappelle à Carmen son propre désir de quitter son époux, tandis que le combat éthique de Manuel résonne avec celui d’Inès.

De la même manière que chaque personnage en traque un autre, la réalisatrice offre des séquences comme « volées » à ses personnages. Filmé « caméra au poing », le moindre mouvement est fugitif, ondoyant. Suscitée par la lumière naturelle et le grain rugueux de la pellicule, la volonté réaliste du film est évidente. L’esthétique a été scrupuleusement réfléchie afin de servir un discours acerbe sur la société. Au final, la fuite ou la concession apparaissent comme étant les seules solutions à adopter par les héroïnes pour continuer leur chemin.

Le suspense introduit par la profession de détective, n’agit que trop ponctuellement pour que le film puisse en tirer une réelle performance de genre. Mataharis manque de maîtrise dans sa temporalité et se perd souvent dans des séquences trop longues, inutiles à la narration. Les personnages créés sont profonds et séduisants, ils s’inscrivent dans une argumentation intéressante concernant les femmes et le travail mais ne parviennent pas à s’extirper de la prévisibilité.

Le ton et l’optique font donc de Mataharis un long-métrage louable mais pas inoubliable.

Titre original : Mataharis

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Durée : 95 mn


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