Rencontre avec Manuel Pradal

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Douze ans après « Marie baie des anges », le réalisateur retrouve la France et son actrice-fétiche, Vahina Giocante, pour un nouveau long métrage en forme de « road-movie » sur la Seine. Explications avec ce cinéaste décidément franc-tireur.

Tant de temps… Les retrouvailles avec Vahina Giocante, d’abord : douze ans depuis « Marie baie des anges« , leur première rencontre cinéphile et solaire. Elle semblait si évidente, alors ! Et puis la sortie en salles, maintes fois retardée, de leur second opus commun, cette Blonde aux seins nus romanesque, frémissante. Tourné en 2008, ce long métrage en forme de « road movie » sur la Seine s’apprête enfin, cet été 2010, à trouver le chemin des spectateurs : c’est dire si Manuel Pradal, franc-tireur assumé du cinéma français, est un auteur opiniâtre. Au long cours, en somme : il dit lui-même vouloir « filmer Vahina à tous les âges de sa vie« . Le temps s’en va, donc, mais lui le suspend. Et, parfois, nous surprend. Rencontre avec un cinéaste oscillant, en effet, entre ombres et lumières.

Un crime, votre précédent ouvrage, a été tourné à New-York, avec Harvey Keitel et Emmanuelle Béart. Il succédait à Ginostra, également tourné en anglais, en Sicile, avec un casting international. La blonde aux seins nus marque donc votre retour en France. Pourquoi ?

Un film, pour moi, c’est un principe de vie. Là, j’avais envie de revenir à Paris. De filmer en bas de chez moi, en quelque sorte. Peut-être à cause de la naissance de ma petite fille. Peut-être parce que j’étais un peu fatigué de tourner en anglais. L’idée de La blonde aux seins nus, malgré tout, c’est l’impressionnisme, puisque c’est le titre d’un tableau de Manet, même si mon film, plus âpre, n’est pas impressionniste au sens littéral. Mais à travers cette idée d’impressionnisme, de toute façon française, il y a cette envie de couleurs, d’harmonie des corps, de lumière. J’ai besoin de soleil, et cette puissance-là, même Hollywood ne peut pas se la payer !

Pourquoi avoir choisi, précisément, ce tableau-là d’Edouard Manet, comme point de départ ?

D’abord, je l’aimais ! Il dégageait une harmonie simple, pas du tout obscène. Or, je voulais raconter une histoire très simple, deux frères, une fille. Et puis, je suis un peu obsédé par la sensualité, au sens large, celle qui renvoie à l’harmonie du monde mais aussi au déchirement des corps. Donc le tableau de Manet, pour moi, donnait tout de suite le ton du film. Il est un peu le miroir de Rosalie, le personnage qu’interprète Vahina. Une jeune femme pleine de fantaisie, mais également en rupture…

Vahina Giocante, justement, c’était la condition sine qua non ?

C’était naturel, je crois même pouvoir dire qu’elle est arrivée sur le film de façon incontournable, assez vite ! Vahina est une fille de la nature, d’une belle nature ! Elle a aussi un tempérament un peu sauvage qui allait bien avec le film. Nous n’avions pas tourné ensemble depuis 1998, mais l’on ne s’était jamais vraiment perdus de vue. J’ai une fascination pour son visage, je trouve qu’elle ne change pas. Elle a quelque chose d’une Lolita, mais pas de façon obscène, plutôt comme les actrices italiennes des années 60. Pour ce nouveau film ensemble, j’ai découvert que son talent avait grandi. Ce n’était plus, bien évidemment, la petite gamine de 14 ans.

Et les deux personnages masculins, Nicolas Duvauchelle et le jeune Steve Le Roi ?

Steve, je l’ai trouvé sur la plage du Prado, à Marseille, lors d’un casting sauvage, comme Vahina douze ans plus tôt d’ailleurs ! Il vit là-bas, il est d’origine russe et, à la base, c’est un enfant considéré comme difficile… En fait, c’est un mélange de Gavroche et de Tom Sawyer. Et il a fait preuve d’une grande facilité face à la caméra. Nicolas, lui, avant ce film, je ne le connaissais pas, mais je sentais qu’il était du même bois que les deux autres. J’aimais l’idée qu’ils dégagent tous cette sorte de clarté, vous savez… Ma grande fierté, c’est d’avoir réuni ce trio, cet éclat.

Votre film, fluide, frémissant, très romanesque, a quelque chose d’intemporel. Est-ce le fait qu’il se déroule essentiellement sur une péniche ?

La blonde aux seins nus, c’est la chronique d’une fugue, une cavale à la vitesse de la péniche. Ça donne aux personnages le temps de goûter au monde qui les entoure, de se flairer aussi. Chacun vit un passage, et traverse donc des périodes de tension, de déchirement, d’amour, d’éloignement. Ce qui m’intéressait, c’est que chacun grandisse à sa façon. Mais je pensais que le voyage, leur voyage, en valait la peine si la providence les rassemblait à la fin. En fin de compte, c’est peut-être cela l’idée du romanesque, comme s’il s’agissait de remonter à la source la plus pure du fleuve. En France, au cinéma, on est toujours complexé par le réel. Moi, je suis né au cinéma avec Lubitsch et je fais des films par là où j’ai aimé les autres. Donc même si mon film peut sembler intemporel, j’ai l’impression de parler d’aujourd’hui. Malgré tout.


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