Mainline

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Entre choc du documentaire et puissance d’interprétation d’actrices magnifiquement filmées, on reste groggy devant un tel courage.

Voici un film qui va faire chavirer. Un film sur la drogue, tourné comme un documentaire, ne laisse jamais indifférent. Mainline se passe dans la mégalopole de Téhéran et montre une jeune fille en proie aux ravages de l’héroïne, tentant désespérément, avec l’aide de sa mère, de s’en sortir à quelques jours de son mariage. Ici, rien n’est caché et la dépendance n’est pas filmée de manière branchée ou glamour mais plutôt à coup d’uppercuts.

Rakhshan Bani-Etemad a réalisé jusqu’à présent des films documentaires justement, et Mainline en reprend l’esthétique. Le film est tourné et mis en scène comme un reportage sur les quartiers chauds de Téhéran et sur le désespoir qui semble habiter sa jeunesse. Drôle d’image de l’Iran actuel. On se demande comment les autorités ont pu laisser passer un scénario qui ne renvoie pas une image très positive du pays. « Le documentaire de société est mon genre préféré, confie Rakhshan Bani-Etemad, car il permet une étude très poussée du développement d’une société et il est donc naturel de retrouver l’essence même de mes documentaires dans mes films de fiction. ».

Cet aller-retour entre la fiction et le réel est troublant : par moment, on se dit qu’on n’aurait pas pu montrer de manière aussi réaliste la violence de la toxicomanie avec un documentaire qui aurait été sans doute trop bavard, moralisateur, ou accusateur. Ici, pas de discours inutile, pas de voix-off, que des faits, des personnages in situ, et pourtant ce sont bien des acteurs professionnels. Dans le rôle de la mère, Rakhshan Bani-Etemad est fière d’avoir pu engager Bita Farahi, grande actrice iranienne et tragédienne à la manière d’Anna Magnani ou d’Irène Papas. La jeune Sara, sa fille (la propre fille de la réalisatrice) est plus que convaincante dans ce rôle terrible et tendre à la fois. Il fallait montrer ce milieu bourgeois actuellement dévoré par le cancer de la drogue, de manière encore plus profonde que nos sociétés occidentales. « La bourgeoisie iranienne, déclare la réalisatrice, est maintenant victime de ce problème car sa jeunesse supporte difficilement l’isolement culturel dans lequel elle se trouve. »

À quelques semaines de son mariage, la jeune Sara regarde avec sa mère sur un écran de télévision les images de son mariage tel que le rêve son fiancé resté à Toronto et qui va bientôt retourner à Téhéran. Présentation de la robe, par l’intermédiaire d’un mannequin, et discussion quasi en direct avec le fiancé. Cette relation numérique rend le mariage irréel, voire fantomatique, jusqu’à ce que Sara se mette à danser avec sa mère. La séquence d’ouverture, en plus de sa beauté plastique, crée une brèche dans nos certitudes : le mariage est-il le bonheur, pourquoi cette jeune fille a-t-elle l’air si absente, si nerveuse ? On comprend peu à peu qu’elle est toxicomane et qu’il faut à tout prix qu’elle décroche avant que son futur n’arrive. Sa mère va jusqu’à maquiller ses photos pour lui donner un air moins fatigué et n’aura de cesse de la conduire dans un clinique chic de désintoxication sur les bords de la mer Caspienne.

Sara, en effet, hante le film comme l’ombre d’elle-même, uniquement obsédée par sa dose. Elle aurait pourtant tout pour être heureuse, mais il suffit de voir par moments les failles de sa vie pour comprendre qu’elle ne peut être heureuse dans cette société qui part à la dérive : famille séparée, père absent et handicapé qu’elle va retrouver pour un soir, malaise dans la civilisation, trop d’argent, trop d’incertitude. De là à penser que la situation politique actuelle rend fou, il n’y a qu’un pas. Il faut voir ce film comme un témoignage à la fois sur l’Iran contemporain, mais aussi sur l’état du monde qui danse de plus en plus sur un volcan imprévisible et que les jeunes tentent d’oublier de toutes les manières. Même les pires.

Titre original : Khoon Bâzi

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Durée : 78 mn


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