Magdala

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« Il veille sur le cheminement de ceux qui lui sont fidèles »

Entre l’humain et l’œil du croyant

C’est une rêverie à laquelle nous invite Damien Manivel, celle suivant une Marie-Madeleine au seuil de sa mort, traversant doucement une forêt luminescente et parfois effrayante, pour aller s’éteindre auprès d’un ange dans une caverne. Le film fait le pari d’une lenteur en phase avec cet être très âgé, solitaire, dont le mystère émane autant de son mutisme quasi intégral que de son regard perdu dans le vague, et qui est en osmose avec la nature environnante. Cette nature d’où jaillie, au gré du regard parfois nostalgique de Magdala, quelques visions iconiques, métaphoriques ou sensuelles ; l’ensemble pourvoyant l’œuvre d’une belle émotion. La plus forte de ces visions est produite par le biais d’un flach-back qui dévoile la jeune Magdala dans les bras de son Jésus, nus l’un comme l’autre, à l’époque où il était son Adam et qu’elle était son Eve. La progression du récit est ainsi marquée par l’évolution de la manifestation de ces visions ou des actions prosélytes de Magdala (consistant, notamment, à disséminer des petites croix artisanales et végétales çà et là) : réduites à minima durant les premiers temps du récit, elles vont en s’accentuant à mesure que le personnage chemine jusque dans la grotte. Cette grotte dont la lumière avec laquelle elle est éclairée, lui confère une véritable chaleur, gardant paradoxalement l’ensemble de créer de la claustrophobie ou de devenir oppressant. Cette évolution des visions du personnage permet, dans un même temps, de générer un élégant paradoxe : à mesure que ses apparitions augmentent et témoignent de la vie intérieure de Magdala, cette dernière s’humanise. Cette humanité est magnifiée par l’usage de plans rapprochés et de gros plans du visage ou du corps de l’actrice. Ces inserts ayant pour autre conséquence de donner une étrange sensualité à cette héroïne qui, pour l’occasion d’une séquence dans une rivière, ose se mettre à nue et offrir au regard du spectateur, la difformité d’un corps buriné par le temps ; la force de cette vision résidant dans le fait qu’elle soit dépourvue de toute frontalité violente ou de tout voyeurisme malsain. L’humanité de Magdala est enfin renforcée par l’approche « réaliste » et épurée de la représentation de ses visions. À rebours de tout effet spectaculaire, qui serait le fruit d’une pyrotechnie complexe, c’est d’abord par effet de montage, par jeu de lumière et de cadrage que l’ésotérisme se manifeste. Ce qui a pour conséquence d’ancrer ces visions au sein même de la nature, de leur donner une certaine douceur (malgré la violence de l’une d’entre elles), et ce faisant, de leur conférer d’autant plus de force, de puissance et d’impact. Le travail de la bande sonore du film, qui tend à délaisser la musique extradiégétique et à renforcer les ambiances du milieu, contribue à ce réalisme, tout en donnant une forme de vie ou de conscience surnaturelle à l’environnement observé au travers des yeux de Magdala.

      

Glissade temporelle et non-violence politique

La faune locale, constituée d’insectes ou d’animaux, présente régulièrement dans le cadre du réalisateur ou ayant sa présence signifiée grâce aux sons qu’elle produit, permet de jouer avec l’apparent vide de la forêt, questionnant au passage le poids de l’apparence, et de mettre en place un jeu de changement d’échelles. L’espace dans lequel se déplace Magdala est ainsi pris entre l’infiniment petit, représenté par cette faune, et l’infiniment grand, représenté par la forêt et, surtout, par le ciel et le soleil persans son feuillage. Cette différence d’échelle a pour conséquence de créer une forme de ligne de fuite spatio-temporelle et de représenter l’espace de Magdala comme un espace de transition pris entre des cieux infiniment plus grands et une terre infiniment plus petite. Cette sensation est parachevée par les différentes temporalités de ces espaces : celle de l’infiniment petit tend à être vive, nerveuse et pulsionnelle, tandis que celle de l’infiniment grand est longue, lente et calme. La subtilité du film tenant ainsi à ce que le ralentissement progressif de Magdala, alors qu’elle chemine, ne semble plus tant être l’annonce d’une mort imminente que celle d’une transition d’une temporalité à l’autre ; transition la menant de cet entre-deux qu’est l’espace terrestre, vers un ailleurs divin. Enfin, le film dispose d’un véritable aspect politique. Le fait que Magdala soit incarnée par une noire, Jésus par un nord-africain et que l’ange de la caverne soit une blanche évoque, bien évidemment, le thème actuel de l’inclusivité. Tout comme le fait de mettre en scène une femme longtemps négligée ou bafouée par l’histoire évoque, de son côté, celui du féminisme moderne. Toutefois, la radicalité de la mise en scène (dont la simplicité et la parcimonie des effets ne donnent jamais la sensation d’un manque de moyen), ainsi que la fascination et l’amour sincère du réalisateur pour son actrice, le prémunissent de tout militantisme frontal. Ce qui lui permet d’atteindre avec succès ce qui devait être son but : matérialiser une vision universaliste biblique dont la base est l’amour par la foi, et non la violence par la pulsion. L’alliance de la tendresse pour son personnage à la beauté de plans élégiaques de la nature filmés en pellicule, donne à ce film contemplatif des similitudes avec certains Naomi Kawase, comme La forêt de Mogari, tandis que la longue séquence finale de la caverne ne peut qu’évoquer la sensualité de la Thérèse d’Alain Cavalier (et le clair-obscur de Caravage). Quand à elle, l’approche « réaliste » des manifestations bibliques fait penser à l’excellente Histoire de Judas, narrée par Rabah Ameur-Zaïmeche, dont on peut dire que Damien Manivel a pratiquement offert une suite avec son film. Ainsi, Magdala est une œuvre gracieuse, élégante et prenante, dont la beauté plastique et le calme agissent comme un baume apaisant, à nous qui vivons dans un monde en permanence à demi hystérique.

        

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Durée : 78 mn


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