Mad Detective

Article écrit par

Un ex-flic un peu timbré, un sombre mystère, une enquête aux multiples facettes… Insaisissable, le nouveau Johnnie To, même déroutant. Mais toujours aussi virtuose !

Alors que l’année 2008 semble celle de la consécration pour Johnnie To, avec la rétrospective organisée à la Cinémathèque et le plébiscite de la critique sur ses derniers films (les Election et Exilé en tête), il se risque paradoxalement à surprendre ses plus fervents admirateurs. Peu d’informations ont filtré sur son prochain Sparrow, mais le polar réalisé à six mains Triangle et ce Mad Detective annoncent d’ores et déjà une nouvelle orientation dans la carrière du prolifique cinéaste, toujours plus versé dans le film à concept.

Mad Detective ne laissera peut-être sur le carreau que ceux qui ne connaissent pas tout le travail de Johnnie To, dont l’oeuvre ne se résume pas qu’à ses polars ascétiques, mais se nourrit également de comique local (qu’on appelle mo lei tau), de culture pop et de spiritualité karmique… Ici, il retrouve un vieux complice de la Milkyway, Wai Ka-Fai, avec lequel il co-signe la réalisation. Un retour aux « jeunes années » qui se voit à l’écran, puisque le rôle-titre est tenu par l’excellent Lau Ching-Wan, presque absent des écrans ces dernières années, et qui renoue avec To après une longue série de succès dans les années 90 (A hero never dies, Loving you, Lifeline, et surtout Running out of time 1 et 2).

A lui d’endosser la personnalité complexe de Bun, ce policier aux méthodes peu orthodoxes qui, avant même le générique, taillade une carcasse de boeuf dans son commissariat, dévale un escalier enfermé dans une valise et se découpe l’oreille en gros plan ! Hypnotique, gore, inattendue, cette introduction va servir de révélateur pour comprendre ce héros qui visualise les démons intérieurs des personnes qu’il croise, et peut revivre leur passé. Un « profiler » en quelque sorte, qui passe malgré tout pour un fou, dans une société hiérarchisée, où la position sociale dépend du respect des règles et du protocole. Un carcan dans lequel baignent les autres protagonistes, du jeune flic un peu lâche joué par Andy On, à l’officier torturé par une bavure et la perte de son arme. Des personnages que Bun voit, forcément, sous un angle différent.

Reflets déformés, consciences refoulées

Malgré la constante inventivité de Johnnie To, sa vista inégalable pour dynamiser la moindre idée de scénario (Bun, qui parle avec son ex-épouse imaginaire, continue à le faire même quand elle se trouve réellement là, ce qui donne lieu à une troublante discussion de sourds dans une voiture) et installer une ambiance onirique et décalée, Mad Detective tourne parfois à vide. Certains rebondissements de l’intrigue paraissent inutiles ou incongrus, et complexifient artificiellement une histoire finalement très linéaire.

Mais comme comme toujours, le climax est l’occasion pour To de synthétiser son savoir-faire et de justifier ses parti-pris de mise en scène, en réunissant tous ses protagonistes dans un même lieu. Au travers d’un jeu de miroirs renvoyant explicitement à Orson Welles et sa Dame de Shangaï, Mad Detective rationnalise son argument surnaturel, en permettant aux personnalités de chacun d’être enfin dévoilées. On notera au passage que le réalisateur n’hésite pas à donner aux femmes le plus mauvais (ou le plus beau, tout dépend du point de vue !) rôle, celui de la personnalité froide et manipulatrice, qui dicte aux hommes les choix qu’ils doivent suivre. Un choix qui ne surprend guère lorsqu’on connaît l’importance des rôles masculins dans la filmographie de l’intéressé.

Pas toujours maîtrisé, mais passionnant à découvrir, Mad Détective témoigne avant tout de la vitalité d’un cinéaste lui aussi plus fou, plus excentrique que la moyenne et, en même temps, toujours plus conscient de ses effets.

Titre original : Mad Detective

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Durée : 89 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…