Luis Bunuel et le surréalisme

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Surréalisme : automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de tout autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » (D’après André Breton, Manifestes du Surréalisme, Gallimard)

« Le cinéma est le plus puissant moyen de poésie, le plus réel moyen de l’irréel, du « surréel », comme aurait dit Apollinaire. » (D’après Jean Epstein, Ecrits sur le cinéma, t. I, Paris, Seghers, 1974, P. 142).

Introduction

Qu’est-ce qu’un grand cinéaste ? Peut-être est-ce celui dont les films resteront à jamais inscrits dans la mémoire collective du cinéma, et qui sera sans cesse évoqué pour montrer à ceux qui prétendent exercer le même métier ce que veut dire « faire du cinéma ». Peut-être aussi est-ce celui dont l’oeuvre restera à jamais inimitable, certes, mais c’est surtout celui qui aura su en plus de tout cela garder une part de mystère intacte et impénétrable. Luis Buňuel est ce genre même de cinéaste, mais aussi de personnalité, qui a su préserver un jardin secret au sein de son oeuvre. Mais alors comment ? Oui, comment a-t-il réussi à échapper aux meutes affamées de clarté et d’explication ? En restant lui-même, simple, tranquille, avec ce petit sourire aux coins des lèvres qui n’est pas le moins du monde méprisant, mais qui vous fera renoncer aux questions trop indiscrètes ou insistantes.

Souvenons nous : Buňuel a commencé à réaliser des films à la fin des années 20, à Paris. Séduit par le mouvement surréaliste et par les hommes qui le faisaient vivre, il s’est mis à créer avec eux, dans leur optique. Il a alors été qualifié à son tour de « surréaliste ». Mais dans quelle mesure l’a-t-il vraiment été ? N’est il pas plus juste de dire que « Buňuel n’a pas fait de cinéma pour être surréaliste mais a été surréaliste pour faire du cinéma » (Propos de Charles Tesson, in Luis Buňuel, Cahiers du cinéma, 1995) ? Est-il possible de percevoir les aspects surréalistes dans son oeuvre ultérieur à ces années parisiennes ? Faut-il parler de surréalisme, de naturalisme, voir d’entomologie ?

Notre recherche se propose ici de lever le voile du doute sur ses questions. Pour cela, il nous a semblé important de revenir sur les origines du cinéaste, géographiques bien sûr, mais aussi affectives, culturelles qui comptent beaucoup pour un Espagnol, et pour Luis en particulier. Puis, afin d’approfondir au mieux cette période de sa vie durant laquelle il fut admis au sein du groupe des surréalistes, nous étudierons en détail les deux films qu’il réalisa pendant cette période. Logiquement, il nous faudra ensuite voir si cette manière acquise alors s’est perpétuée dans ses oeuvres des années 50 et 60, et si oui dans quelle mesure, sous quels aspects. Enfin, nous tenterons d’esquisser une philosophie du cinéma Buňuellien tel qu’il a bien voulu nous le faire partager.

Hélas, ou plutôt Dieu merci, les films de Luis Buňuel sont le plus souvent soumis à des interprétations diverses pour ne pas dire contradictoires ! Il nous a donc fallu choisir en notre âme et conscience celle qui paraissait …la plus Buňuellienne. Notre tâche fut facilitée par le cinéaste lui-même, grâce notamment à l’autobiographie qu’il rédigea avec l’aide de Jean-Claude Carrière, mais aussi par le point de vue des artistes ou critiques qui ont eu la chance de le côtoyer à un moment ou à un autre de sa carrière. Et puis, Paris regorgeant de salles obscures, les avis des cinéphiles chevronnés sont devenus peu à peu, à leur tour, les obscurs objets de notre désir…

Partie 1 : Le parcours d’un fin marcheur (D’après Charles Tesson, in Etude critique de El, p14)

Il pourrait sembler fastidieux de parler de la vie de Buňuel depuis sa naissance. Ce « retour aux sources » permet néanmoins de mieux apprécier dans quelle mesure le jeune Luis a été marqué et influencé par la culture de son pays, dans son enfance et jusqu’au début de sa vie d’adulte. De nombreux épisodes de cette partie de sa vie sont présents dans ses films, ce que Buňuel lui-même avoue ne pas avoir voulu toujours faire consciemment. Nous limiterons toutefois cette étude biographique à l’année de départ de Buňuel pour les États-Unis : 1930, qui coïncide aussi avec son éloignement du groupe surréaliste.

Chapitre 1 : 1900-1917, Enfance à Calanda et Saragosse

Luis Buňuel naît le 22 février 1900, année de la mort de Nietzsche, à Calanda, gros village de moins de 5000 habitants, situé dans la province de Teruel, en terre du bas Aragon. « On peut dire que le Moyen Age s’y est prolongé jusqu’à la première guerre mondiale » (Extrait de Mon dernier soupir, Robert Laffont, Paris, 1982), avec une société de classes, très empreinte de religion, laquelle rythmait la vie du village. La production d’huile d’olive est l’activité la plus importante du village.

Très jeune, Buňuel fut imprégné par le sentiment religieux, avec une force proportionnelle à celle avec laquelle il le rejettera et le critiquera dans ses films.« Profondément enracinés dans le catholicisme romain, pas un instant nous ne pouvions mettre en doute cette vérité universelle (…), tout au moins jusqu’à l’âge de quatorze ans. » Bien que la famille ait déménagé à Saragosse après sa naissance, Luis retournera souvent à Calanda, où son père a fait construire la Torre, maison de campagne familiale. Un autre trait marquant de cette enfance aragonaise est peut-être la brutalité des moeurs (hommes qui pincent les jeunes servantes des cafés, caractère rude des habitants) ainsi que celle des paysages : en majeure partie des rocs et de la terre sèche. Les animaux fascinent le jeune Luis : il s’en souviendra dans ses études mais aussi dans ses films (La vie criminelle…, L’ange exterminateur et la plupart des autres), de même qu’il se rappellera toujours la cérémonie rituelle des tambours de Calanda, qui célèbrent la mort du Christ et les phénomènes naturels qui s’y associèrent, et pendant laquelle les hommes battent le tambour jusqu’à faire saigner leurs mains.

Buňuel ne regrette pas cette enfance : « J’ai eu la chance de la passer au Moyen Age, cette époque « douloureuse et exquise », comme l’écrit Huysmans. Douloureux dans sa vie matérielle, exquise dans sa vie spirituelle. Juste le contraire d’aujourd’hui » (D’après Mon dernier soupir, op. cit., p26). Il reconnaît en outre son caractère formateur décisif dans l’orientation de son oeuvre : « C’est à Calanda que je dois mes premières rencontres avec la mort qui, avec une foi profonde et l’éveil de l’instinct sexuel, composent les forces vives de mon adolescence » (Ibid, p17).Le père de Luis Buňuel revient de Cuba peu de temps avant que le pays prenne son indépendance, et muni d’une petite fortune. Il a alors 43 ans et épouse une jeune femme de 18 ans, qui lui donna sept enfants. « C’était un homme sévère mais très bon, qui pardonnait vite. (…) un libéral de l’époque, pas un révolutionnaire. En bon bourgeois, il était très alarmé par la situation politique d’alors : les grèves générales, la révolution. » (Ibid) à Saragosse, la famille se rend souvent au théâtre, ou au cirque.Après deux années passées au Collègue du Sacré-Coeur de Jésus, Luis entre comme pensionnaire chez les Jésuites au Colegio del Salvador. Il y restera sept ans, et marqué par cette expérience.

Si la solitude était bannie, les contacts entre élèves n’en étaient pas moins évités. Cette austérité et l’omniprésence de la religion n’empêchent cependant pas le jeune Luis de douter. « Ces doutes ont eu pour origine la réalité de l’enfer et surtout du jugement dernier, une scène inconcevable » (Ibid, p37). A l’âge de quinze ans, il se fait expulser du Colegio et intègre un lycée d’Etat pour passer son baccalauréat ; au cours de ces deux années, il élargit son champ de lecture et découvre les théories évolutionnistes de Darwin, ce qui « achève de lui faire perdre ce qui lui restait de foi ».Buňuel découvre le cinéma à l’âge de huit ans, au Farrucini, un cinéma de Saragosse : on y présentait des films muets français tels que les oeuvres de Méliès, ou de Linder. Pour le public aragonais c’est une grande nouveauté : « l’immense majorité du public avait beaucoup de peine à comprendre ce qui se passait sur l’écran, et comment les évènements s’enchaînaient, d’un décor à l’autre. Nous sommes habitués inconsciemment au langage cinématographique, au montage, aux actions simultanées ou successives, et même aux retours en arrière » (Ibid.., p41-42).

Chapitre 2 : 1917-1925, les études à Madrid

Cette seconde période de la vie de Buňuel fut de ses propres aveux très important pour lui : « si riches et si vifs sont mes souvenirs de cette période que je peux dire, sans crainte de me tromper, que sans la Résidence (NDLR sorte de campus universitaire à l’anglaise, soutenu par des fondations privées, et dirigé par Don Alberto Jimenez) ma vie eût été toute différente » (Ibid, p62). Influencé par les souhaits de son père, Buňuel entame des études préparant au diplôme d’ingénieur agronome. Mais l’abstraction mathématique a raison des ambitions paternelles, bien que Luis soit doué pour la biologie. C’est cette dernière matière qui l’intéresse le plus ; il travailla d’ailleurs un an au Musée d’Histoire Naturelle tout proche de la Résidence. Il finit toutefois par s’orienter vers la philosophie, avec option histoire.Ses aptitudes au sport (il pratiqua la boxe, l’athlétisme, et … le bras de fer) sont à cette époque davantage exploitées que ne l’est sa conscience politique : pourtant, la montée du mouvement anarchiste, ouvrier et syndicaliste commence à faire parler de lui (assassinat du Président du Conseil, Dato, et de l’achevêque de Saragosse, Soldevilla Romero), tandis que naît, encore timide, le parti communiste espagnol.Buňuel fréquente à cette époque les réunions de café que présidait Gomez de la Cerna, où il retrouve nombre de ses amis, et que visite parfois Jorge-Luis Borges, l’auteur du Livre de Sable. Le mouvement « ultraïste possède alors une grande influence sur la littérature et la poésie espagnoles : « Le mouvement auquel je me rattachais de près ou de loin s’appelait « Les Ultraïstes » et se voulait à l’extrême avant-garde de l’expression artistique. Nous connaissions Dada, Cocteau, nous admirions Marinetti. Le surréalisme n’existait encore pas. » (Ibid). Buňuel compte parmi ses amis les plus intimes le poète Rafael Alberti et surtout Frederico Garcia Lorca et Salvador Dali.

Avec Lorca, Buňuel parle d’une « amitié, qui fut profonde, et qui date de leur première rencontre. (…) Très brillant, charmeur, avec une volonté visible d’élégance, la cravate impeccable, l’oeil sombre et brillant, il exerçait une attirance, un magnétisme auquel personne ne résistait. » Luis découvre à son contact la poésie, et tout particulièrement la poésie espagnole. « Je me transformais lentement, je voyais un monde nouveau qui s’ouvrait, qu’il me dévoilait chaque jour. » Témoin de la puissance de l’amitié que Lorca éprouva pour Buňuel, voici un poème que le poète espagnol composa pour lui :

La primera verbana que Dios envia (La première foire envoyée par Dieu)es la de San Antionio de la Florida (est celle de Saint-Antoine de la Floride)Luis : en el encanto de la madrugada (Luis : dans le charme du petit matin)Canta mi amistad siempre florecida (chante mon amitié, toujours en fleur)la luna grande luce y rueda (la grande lune brille et roule)por las altas nubes tranquilas mi corazon luce y rueda en la noche verde y amarilla (dans la nuit vert et jaune)Luis mi amistad apasionada (Luis, mon amitié passionnée)hace una trenza con la brisa (fait une tresse avec la brise)El nino toca el pianillo (l’enfant joue du petit orgue)triste, si una sonrisa (triste, sans un sourire)bajo los acros de papel (sous les arcs de papier)estrecho tu mani amigo (je te serra ta main ami)

Dali avait une personnalité plus marquée, il finit d’ailleurs par se faire expulser de l’université pour avoir refusé le droit de le juger à ses examinateurs. « Il était un jeune homme timide, avec une grosse et profonde voix, de très longs cheveux qu’il fit couper, mal à l’aise avec les exigences quotidiennes de la vie et très étrangement habillé » (Extrait de Mon dernier soupir, op cit, p 78) se souvient Buňuel.

Le groupe s’amuse beaucoup, que ce soit à Madrid ou à Tolède. Mais en 1923, Buňuel doit prendre la tête de sa famille après la mort de son père, qu’il aura à peine le temps de voir mourir. Il renonce à poursuivre ses études plus avant (c’est à dire jusqu’au doctorat) et ne souhaite à présent qu’une chose : partir. L’occasion se présente en 1925, années au cours de laquelle Buňuel part à Paris en tant que secrétaire (fictif en réalité) à la société internationale de Coopération intellectuelle, nouvel organisme sous tutelle de la Société des nations (S.D.N.).

Chapitre 3 : 1925-1929, Paris

Luis Buňuel s’installe dans l’hôtel où il fut conçu en 1899 ; mais, peu après, il rencontre un autre étranger (appelés à cette époque les « métèques ») et décide d’emménager près de lui, rue de l’Ecole de Médecine, au coeur des arrondissements de Paris où la concentration en cinémas est, aujourd’hui encore, la plus importante. Commence alors pour le futur cinéaste une période de sa vie où la fête est très présente, en compagnie d’amis artistes, dans les cabarets les plus en vogue des années 20. L’argent ne lui pose pas de problèmes puisque le cours du franc par rapport à la peseta espagnole est très faible. C’est aussi à Paris que Buňuel rencontre Jeanne Rucan, qui devait devenir sa femme.

Après une première expérience de mise en scène, en collaboration avec une formation musicale d’Amsterdam, et ayant pour objet de produire le Retablo de Maese Pedro, de Manuel de Falla, Buňuel sent monter en lui l’envie de faire du cinéma. Il visionne de nombreuses oeuvres, jusqu’à trois par jour, et écrit des critiques pour des magazines français, comme les Cahiers d’Art, ou espagnols. Parmi tous les auteurs dont il fréquente les travaux, c’est Fritz Lang qui lui insuffle sa motivation, notamment après avoir vu Les trois lumières (« … et je crois que la scène de la procession funèbre qui rentre dans un mur décida de ma vocation », propos tiré de Le Christ à cran d’arrêt, Plon, 1995, p287), film traitant de la Mort, et racontant entre autres trois histoires de couples à trois époques et lieux différents. Buňuel s’inscrit alors aux cours pour comédiens donnés par Jean Epstein, et obtient du réalisateur qu’il le laisse assister et aider au tournage de Mauprat, « ma première expérience cinématographique » avoue-t-il. Puis Epstein l’engage comme second assistant pour la réalisation de son film suivant, La chute de la maison Usher, adapté d’une nouvelle d’Edgard Poe. Mais suite au refus exprimé par Buňuel d’aider Abel Gance à tourner une scène, il se fait congédier par le réalisateur, qui lui confiera peu après : « Méfiez-vous. Je sens en vous des tendances surréalistes. Éloignez-vous de ces gens-là. »

Chapitre 4 : 1929-1933, le surréalisme

Epstein ne croit pas si bien dire. « Depuis les vitres brisées de la Closerie des Lilas, je me sentais de plus en plus attiré par cette forme d’expression plus irrationnelle que proposait le surréalisme – ce surréalisme contre lequel Jean Epstein m’avait vainement mis en garde. Particulièrement frappé par la publication, dans la revue la Révolution surréaliste, de la photographie qui montrait « Benjamin Péret insultant un prêtre », j’avais été fasciné, dans la même revue, par une enquête sexuelle, interrogatoire mené auprès des différents membres du groupe, auquel ils répondaient, apparemment en toute liberté et franchise. » (Extrait de Mon dernier soupir, op. Cit., p123). Ce sont donc à la fois des thèmes et l’esprit chers aux surréalistes qui a motivé le jeune Espagnol à entrer dans le groupe.

Section 1 : Un chien andalou (le titre est utilisé en tant qu’image, Buňuel est un peu ce chien andalou qui monte à Paris pour s’amuser et créer)

C’est donc tout naturellement que Buňuel entreprend en 1928 de réaliser son premier film. L’écriture du scénario reprend quasiment le principe surréaliste de l’écriture automatique, à deux mains toutefois : la sienne et celle de Dali. Il faudra que Buňuel emprunte de l’argent à sa mère pour le financer. En quinze jours le tournage est bouclé, aux Studios de Billancourt, avec une équipe très réduite, et une atmosphère plus qu’étrange : « les acteurs ne savaient absolument pas ce qu’ils faisaient (Extrait de Mon dernier soupir, op. Cit., 126) » reconnaît le cinéaste dans ses Mémoires.Il reste à montrer le film au public. C’est alors que Buňuel rencontre par l’intermédiaire de Fernand Léger, Man Ray, qui à son tour lui présente Aragon ; tous les deux appartenaient déjà au groupe surréaliste. Après avoir vu le film, les deux artistes décident d’organiser une première. Buňuel fait alors connaissance du groupe surréaliste dans son ensemble : Ernst, Breton, Eluard, Tzara, Char, Unik, Tanguy, Arp, Alexandre, Magritte… Seul manque Benjamin Péret, d’un poème duquel le cinéaste s’est inspiré pour écrire une scène d’Un chien andalou.

C’est surtout par les écrits de ce dernier que Buňuel et Dali ont connu le surréalisme. « J’avais commencé à lire les surréalistes. Surtout Benjamin Péret dont l’humour poétique m’enthousiasmait. Nous le lisions, Dali et moi, et nous nous tordions de rire. Il y avait là quelque chose, un petit moteur étrange et pervers, un humour délicieux, de type convulsif. » (Extrait de Conversations avec Luis Buňuel, Cahiers du cinéma, 1993, Paris.) La première séance publique d’Un chien andalou a lieu le 6 juin 1928, au studio des Ursulines, cinéma encore en activité aujourd’hui, et remporte un vif succès, ce qui ne manque pas de surprendre Buňuel, qui accusera dans la Révolution surréaliste « la foule imbécile qui a trouvé beau et poétique ce qui, au fond, n’est qu’un désespéré, un passionné appel au meurtre ». A la suite de la projection, le cinéaste entre dans le groupe des surréalistes et participe à leurs réunions au Cyrano, ou « plus rarement chez Breton, au 42, rue Fontaine ».

Qu’est ce qui attire Buňuel dans le mouvement surréaliste ? « Comme tous les membres du groupe, je me sentais attiré par une certaine idée de la révolution. Les surréalistes, qui ne se considéraient pas comme des terroristes, des activistes armés, luttaient contre une société qu’ils détestaient en utilisant comme arme principal le scandale. Contre les inégalités sociales, contre l’exploitation de l’homme par l’homme, l’emprise abrutissante de la religion, le militarisme grossier et colonialiste, le scandale leur parut pendant longtemps le révélateur tout-puissant, capable de faire apparaître les ressorts secrets et odieux du système qu’il fallait abattre. Le vrai but du surréalisme n’était pas de créer un nouveau mouvement littéraire, ou pictural, ou même philosophique, mais de faire éclater la société, de changer la vie. » Il approfondit sa pensée en ajoutant : « C’était surtout la force de l’aspect moral qui me fascinait (…). Pour la première fois de ma vie je rencontrais une morale cohérente et stricte, où je ne voyais aucune faille.(…) Notre morale exaltait la passion, la mystification, l’insulte, le rire noir, l’appel des gouffres (…) J’ajoute que les surréalistes étaient beaux. Beauté lumineuse et léonine d’André Breton, qui sautait aux regards. Beauté plus précieuse d’Aragon. Eluard, Crevel et Dali lui-même, et Max Ernst avec son étonnant visage d’oiseau aux yeux clairs et Pierre Unik, et tous les autres : groupe ardent et fier, inoubliable. » (Extrait de Mon dernier soupir, op. Cit. P 129-130)

Face au succès du film, Buňuel en laisse publier le scénario par la Revue du cinéma. Une dissension éclate alors entre le groupe et le cinéaste, les surréalistes reprochant au réalisateur espagnol son succès, et le fait qu’il ait cédé son scénario à une revue bourgeoise. Buňuel, souhaitant respecter sa parole donnée à la revue en question, s’entend rétorquer par Breton : « Etes-vous de la police ou avec nous ? » En dernier recours, ils lui enjoignent de détruire les plombs composés à l’imprimerie ; peine perdue car la distribution a déjà commencé. Finalement, le texte sera publié aussi dans le numéro de Variétés consacré au surréalisme. On refusa par contre à Buňuel l’autorisation de brûler les négatifs de son film.

Dali aussi rejoint le groupe, au sein duquel les surréalistes ont tendance à se regrouper par affinité : c’est d’Aragon, de Sadoul, de Ernst et Unik que Buňuel se sent le plus proche. Il passe en effet de longues et nombreuses soirées à discuter avec Pierre Unik, à jouer à des jeux « que j’appellerai chastement libertins », précise-t-il. Aragon lui témoignera son amitié tout au long de sa vie, et il sera avec Breton « ami jusqu’à la fin », lequel Breton ne lui reprochera jamais le succès commercial de nombre de ses films. « Il m’avoua même avoir pleuré devant Viridiana, raconte Buňuel.

Section 2 : L’Age d’or

« Je voulais à tout prix rester surréaliste », affirme Buňuel après avoir été reconnu en tant que cinéaste. Son problème principal reste celui de l’argent ; il ne veut plus solliciter sa mère. On le présente alors (par l’intermédiaire de Zervos, Rivière ou Cocteau, ce n’est pas très clair) à un riche couple d’aristocrate mécènes, les Noailles. Dans un article paru dans Positif, Dominique Rabourdin retrace le « scandale de l’Age d’or », « le plus grand de toute l’histoire du surréalisme » selon lui. Déjà producteur d’un film de Man Ray, Les mystères du château de dés, Charles de la Noailles, va sur les conseils de sa femme Marie-Laure financer Buňuel et Cocteau (pour le sang d’un poète). La condition du mécénat est la suivante : accepter de collaborer avec Stravinsky pour la musique. Buňuel refus, « Je ne peux pas travailler avec un génie », ce qui ne rebute pas Noailles.

Le prochain problème réside alors dans le procédé d’écriture : la complicité de Dali et Buňuel ne fonctionne plus, et surtout depuis que Gala est entré dans la vie du premier. « A ce moment-là, déclare Buňuel, Dali et moi avons mis un terme à notre amitié. Cela s’est passé précisément trois jours après le début de notre collaboration. Il était déjà très influencé par Gala. Gala est peut-être le grand amour de Dali, ou tout ce qu’on voudra, mais elle l’a incroyablement influencé, et en mal… » (Extrait de Conversations avec Luis Buňuel, Cahiers du cinéma, 1993, p38). Buňuel part donc travailler seul à l’écriture du scénario. L’énigme concernant la nature exacte des rapports qu’entretenaient Dali et le cinéaste d’autre part, Lorca et ce dernier d’autre part reste à jamais obscure et insolvable. Nous savons juste que Lorca était homosexuel et que Dali pour sa part n’aimait pas vraiment les femmes, et que Buňuel … était plutôt homophobe.

Il se lance donc. Peut de temps avant, Robert Desnos, autre surréaliste lui a fait lire Sade, et notamment les 120 journées de Sodome (« Chez Sade, j’ai découvert un mode de perversion extraordinaire, où l(on trouve tout : des insectes jusqu’au moeurs humaines, le sexe, la théologie. Bref, il m’a réellement ébloui ». Ibid, p 39). Buňuel s’en souviendra bien dans la dernière partie de son film, comme nous l’analyserons plus loin. Dominique Rabourdin fait une remarque intéressante : il n’a jamais été possible de retrouver le scénario original de l’Age d’or, ce qui fait dire à D.Rabourdin qu’« il n’est pas sans doute pas perdu pour tout le monde ». Ceci renforce le flou concernant la participation de Dali (qui communiquait avec Buňuel par lettres, lequel « n’a jamais pu écrire seul »), et l’origine de la phrase qui a tant fait scandale à l’époque : « le duc de Blangis est évidemment le Christ. » Vient elle de Jean Mauclaire, de Paul Eluard, qui ont tous les deux retranscrits le scénario ?

Le tournage commence le 3 mars 1930, une fois tous les problèmes de devis et de choix des acteurs et des techniciens réglés ainsi que le découpage minutieux du film. Les scènes d’intérieur sont terminées fin mars, et les extérieurs seront tournés jusqu’au 24 mai. La sonorisation du film est achevée le 14 juin. « C’est vers cette date qu’il prend sont titre définitif, après que Buňuel eut hésité entre la Bête andalouse et A bas la constitution! ».

Le film est prêt pour une sortie en salles. « Tout laisse à penser que la commission de censure accorde son visa sans même avoir vu l’objet du scandale » avance D.Rabourdin. Le 22 octobre, peu avant midi a lieu la première, devant le « tout-Paris » réuni pour l’occasion. L’exploitation en salles commence le 28 novembre 1930, elle est présentée par un programme des surréalistes (annexe 1) qui se sont appropriés le film pour, en quelque sorte, en faire leur étendard. Débute alors l’ « affaire » : saccage du cinéma le 3 décembre par des groupes d’extrême droite, présence de policiers dans la salle pour assurer le bon déroulement des séances, et la pression des journaux de droite entraîne l’interdiction totale du film le 10 décembre. Le préfet de l’époque s’appelait Chiappe, c’est pourquoi il est fait allusion à son nom dans Le charme discret de la bourgeoisie. Dans la correspondance de Buňuel et Noailles transparaît toute l’inquiétude du vicomte : il demande au cinéaste de le « protéger » en France, renonce à l’exploitation du film. Le directeur du Studio 28, où a eu lieu le saccage, part en Chine, sur les « conseils » de son père.

Les surréalistes continuent leur chemin ; avec l’adhésion d’Aragon au Parti communiste vient le temps des séparations : Buňuel, Sadoul, Unik, et quelques-autres se tournent eux aussi vers le communisme (et en ce qui concerne plus particulièrement le réalisateur espagnol : Enfin, le 6 mai 1932, Lui Buňuel, qui dit avoir été amené à donner son adhésion au Parti communiste espagnol, en suivant, précise-t-il, le devenir idéologique du surréalisme, estime devoir se séparer de ce dernier. », écrit Marguerite Bonnet dans sa notice à Misère de la poésie d’André Breton). Dali, Eluard, et d’autres restent fidèles à Breton.

Malgré la réalisation d’une version plus « politically correct » de l’Age d’or, la commission de censure refuse d’accorder son visa. Le film avait été rebaptisé, non sans humour, « dans les eaux glacées du calcul égoïste ».Buňuel gardera de bons contacts avec les Noailles, ou encore avec Breton, qui lui confiera en 1955, peu après l’exclusion de Max Ernst du groupe surréaliste : « Que voulez-vous, mon cher ami, nous nous sommes séparés de Dali, devenu un misérable marchand, et voilà que Max fait de même… C’est triste à dire, mon cher Luis, mais le scandale n’existe plus. » (D’après Mon dernier soupir, op.cit.137).

Concluons cette partie par les propos très juste d’Alain et Odette Virmaux, dans leur ouvrage Les surréalistes et le cinéma (Editions Seghers, Paris, 1976, p53-54) : « Buňuel a donc été considéré par les surréalistes comme seul auteur de films qui les ait représentés totalement. » En effet, la tendance du cinéaste espagnol à ne rien dire sur ses films, sans accepter ni refuser les interprétations qui lui sont proposées, bref, son laconisme têtu, a fait de lui un artiste se comportant à l’opposé de « la grande majorité des auteurs d’avant-garde, continuellement prêts à épiloguer sur leurs moindres velléités. Au milieu de cette tribu bavarde, il a mérité par son active discrétion d’imposer l’image d’un créateur véritable. »

Ainsi, c’est à Paris, au contact des surréalistes, que l’artiste espagnol prend son envol dans le cinéma. De cette émulation intellectuelle naissent deux oeuvres de jeunesse, Un chien andalou et l’Age d’or. Il convient à présent d’analyser plus en profondeur ces deux premiers films de Buňuel, car il est possible, à travers eux, de sentir la pensée vive et alerte du cinéaste, qui ne se contente pas de choquer ou de séduire par ses effets, mais donne bel et bien sa vision du monde et de l’homme, par l’angle d’une de nos pulsions les plus violentes, le désir.Quel traitement du temps original pouvons-nous y voir ? Quels sont les thèmes surréalistes qui y sont développés ? C’est ce que nous allons découvrir.

Partie 2 : Etude des deux premiers films de Buňuel, la spirale -tragique- du désir se heurtant à l’ordre de la société comme condition humaine

 

Chapitre 1 : Un chien andalou

 

Section 1 : La structure du film

Paragraphe 1 : La narration

Il apparaît difficile, voire impossible de résumer le film sans le trahir, tant les mécanismes qui le soutendent sont d’origine inconsciente ; on peut cependant discerner trois parties de longueur inégal : une première, qui correspondrait à une sorte de prologue, au cours duquel Buňuel tranche l’oeil d’une jeune femme ; une seconde, qui couvrirait quasiment toute la durée, montrant les différentes phases de la vie d’un couple, mais qui reste sans cohérence apparente tant les images qui sont proposées laissent dans un premier temps perplexe ; enfin un épilogue très court et tragique. Il n’y a aucune logique dans le déroulement du récit : ceci correspond bien à un principe surréaliste majeur qui postule que, tout comme pour l’écriture automatique, l’apparente incohérence du scénario et des images révèle une idée inconsciente.

Paragraphe 2 : L’espace et le temps

Les structures spatiale et temporelle d’Un chien andalou découlent directement de sa non-logique narrative : Les indications temporelles sont on ne peut hétérogènes (« Il était une fois », « 8 ans après », « Vers 3 heures du matin »…) et se succèdent sans que le spectateur puisse trouver dans le film la confirmation de ces indications ; Au contraire, elles le troublent en le faisant passer brutalement d’un récit atemporel (« Il était une fois ») à une histoire où les précisions temporelles diffèrent et semblent purement arbitraires : même si un intertitre indique que la scène qui suit se déroule « 8 ans après », les personnages, eux, n’ont pas vieilli d’un an. La contradiction la plus flagrante concerne la femme à l’oeil tranchée du début du film, que l’on retrouve dans toutes les séquences suivantes.Il est facile de sentir, dans cette représentation pour le moins non-conventionnelle du temps, une parodie de la temporalité classique utilisée par tous les autres films : il s’agit donc aussi de choquer le spectateur non seulement par les situations ou les images (le film s’ouvre tout de même sur un gros plan d’un oeil que l’on tranche, ce qui ne peut manquer de frapper les esprits sensibles, comme le gros plan d’un sexe d’homme choque dans les première minutes de Ridicule de Patrice Leconte).

De même, l’espace est utilisé pour priver le spectateur de ses repères habituels : certaines scènes commencent dans un leu et s’achèvent dans un autre (lorsque l’homme tombe en arrière dans l’appartement, il finit sa chute dans une prairie), et les déplacements des personnages sont souvent illogiques (la femme ouvre la porte de l’appartement et se retrouve au bord de la mer). Cette déstructuration spatio-temporelle, si elle fut utilisée par des réalisateurs comme Alain Resnais dans Providence, pour se mettre au service de l’imaginaire d’un personnage-narrateur, est ici le résultat de la collaboration de Dali et Buňuel, sans autre intention a priori que de mettre en scène les idées leur passant par la tête.

Paragraphe 3 : Les personnages

La représentation des personnages dans Un chien Andalou s’oppose, comme celles du temps et de l’espace, aux représentations traditionnelles du cinéma de l’époque. Ainsi, de même que dans les romans de Nathalie Sarraute, les personnages sont anonymes : le spectateur ne peut pas les identifier et par-là se donner ne serait-ce que l’illusion de leur réalité. A la différence de la plupart des autres films qui prennent ce parti de conserver un voile de mystère, mais qui finissent toujours par révéler les informations capitales ou basiques au spectateur, le film de Buňuel reste muet sur ses personnages, tendant peut-être ainsi à leur conférer un statut d’universalité : l’homme et la femme « héros » du film correspondant davantage à des archétypes tels que les décrit C.G. Jung qu’à des personnages classiques.

Le caractère surréaliste du film se trouve renforcé par l’importante laissée à l’onirisme : de même que les rêves nous révèlent une part de ce que contient notre inconscient, les situations vécues par les personnages semblent tout droit venir des rêves de Dali ou bien de Buňuel : en effet les trois personnages masculins qu’on peut relever dans le film sont joués par le même acteur, Pierre Batcheff ; par ailleurs le premier personnage, joué par Buňuel lui-même, disparaît au bout de la première séquence, ce qui va à l’encontre des conventions concernant la représentation du personnage de cinéma, encore aujourd’hui.

Section 2 : La cohérence de cette structure

L’apparente déstructuration du récit et des lieux d’Un chien andalou cache en réalité une vision profondément cohérente de la vie, des êtres humains, et du monde. Cette vision ne s’offre pas directement au spectateur et emprunte le mode d’expression surréaliste comme l’a indiqué le recours à l’écriture automatique pour le scénario.

Paragraphe 1 : L’auteur/narrateur

Si dans Rien sur Robert de Pascal Bonitzer, il y a au moins une réplique anodine dans le film qui puisse servir d’appui pour expliquer l’origine du titre et sa possible interprétation, il n’en va pas de même dans Un Chien andalou, où rien ne permet de comprendre ce qui a pu motiver le choix d’un tel titre. Buňuel lui-même ne peut se l’expliquer, et revendique clairement l’absurdité de ce fait. Frederico Garcia Lorca crut y voir une attaque directe menée contre lui du fait de son éloignement spirituel du groupe surréaliste ; il n’en est rien : le titre gardera semble-t-il à jamais son mystère.

Il ne subsiste en revanche pas d’ambiguïté en ce qui concerne le narrateur du film : c’est bien Buňuel qui s’adresse à nous, spectateurs, et essaie d’emblée de nous choquer avec la scène de l’oeil. En se mettant en scène dès le début du film, Buňuel s’affiche comme l’auteur/narrateur, véritable chirurgien de l’esprit, et nous met en garde : ce film n’est pas comme les autres, il faut , pour le comprendre, le voir d’un autre oeil, adopter un regard interne qui se placerait « de l’autre côté de l’oeil », selon l’expression de Dali. Pour cette première scène, Buňuel a confié s’être souvenu sans doute d’un poème de Benjamin Péret, l’un des surréalistes les plus durs du groupe, tiré du Grand jeu, et intitulé Les Odeurs de l’amour :

« S’il est bien un plaisirc’est bien celui de faire l’amourle corps entouré de ficellesles yeux clos par des lames de rasoirs. »

Paragraphe 2 : La logique interne du récit

« Un chien andalou n’a d’absurde que le titre » affirme Buňuel. Selon lui, la logique suivie par le film se confond avec celle de l’inconscient, qui pour beaucoup ne possède aucune logique, sans aucun contrôle de la raison sur la pensée. Peut on parler d’écriture automatique en ce qui concerne Un chien andalou ? Pas exactement. Même s’il s’agit au départ de « n’accepter aucun idée, aucune image qui pût donner lieu à une explication rationnelle, psychologique ou culturelle ; ouvrir toutes les portes à l’irrationnel, n’accueillir que les images qui frappaient, sans chercher à savoir pourquoi », Buňuel explique que Dali et lui recherchaient « un équilibre instable et invisible, entre rationnel et irrationnel, tel qu’à travers ce dernier nous puissions comprendre l’inintelligible, unir le rêve et la réalité, le conscient et l’inconscient, en dehors de tout symbolisme » (D’après Entretiens avec Max Aub, Belfond, Paris, 1991, p52).

Cela correspond finalement à la recherche avouée d’une continuité « qui soit satisfaisante pour l’inconscient, sans léser le conscient », le but final étant de communiquer quelque chose au spectateur. Buňuel et Dali ont donc organisé leurs idées, venues spontanément, pour les inscrire, au moyen d’un langage choisi, dans un discours cinématographique. On ne peut s’empêcher dès lors de recourir à une lecture psychanalytique du film, même si Buňuel rejette toute intention de symbolisme ; il est par exemple possible d’interpréter l’oeil sectionné comme l’image de la castration ; l’oeil est l’instrument du désir puisqu’il nous permet de voir, donc d’éprouver du désir ; en le sectionnant, on castre son désir, comme on castre les animaux pour qu’il cessent de se reproduire conformément à leur instinct. Buňuel déploie ainsi toute une métaphore du désir frustré, en orchestrant, de la même manière que le fait notre inconscient, les images autour desquelles vont s’articuler les deux thèmes principaux du film/rêve.

Le rêve est en effet un mode d’expression très utilisé par le cinéaste espagnol, comme nous le verrons plus loin dans notre exposé. La scène où l’on peut voir les deux jeunes héros, derrière la vitre de leur appartement, assister impuissants à l’accident d’un cycliste, témoigne bien de cette atmosphère onirique qui se dégage du film. La plupart des lieux qui sont utilisés dans le film sont en fait caractéristiques de ce type d’univers : l’appartement clos, qui ouvre non sur la rue mais sur une prairie ou sur le bord de mer, témoignent de l’enfermement des personnages non seulement dans ce monde où ne cessent de flirter rêve et réalité, mais à un niveau plus métaphorique en eux-mêmes, prisonniers de leurs inclinations instinctives, de leurs désirs. Buňuel aimait en effet répéter : « Personne ne peut sortir de soi », c’est à dire que l’homme est toujours piégé par ses désirs qu’il ne peut s’empêcher de vouloir satisfaire, mais qu’en même temps il ne peut jamais vraiment réaliser, comme le montre de façon assez onirique le dernier plan du film, « Au Printemps », où les deux amants se retrouvent dans un grotesque et tragique face-à-face. Le scénario précise même qu’ils sont « aveugles, les vêtements déchirés, dévorés par les rayons du soleil et par un essaim d’insectes », ce qui sans vouloir à tout prix trouver une symbolique à chaque image, peut signifier une ultime victoire de la nature sur l’homme, et sans doute de sa nature sur l’homme lui-même.

Chapitre 2 : L’Age d’or

 

Section 1 : La structure du film

Paragraphe 1: La narration

L’Age d’or se découpe en six séquences de longueurs inégales : la première est un documentaire animalier sur les scorpions ; la seconde met en scène un groupe de bandits déguenillés s’attaquant à un ennemi qu’on ne verra pas ; la troisième séquence nous montre la séparation de force d’un couple dont les effusions troublent une inauguration ; la quatrième se déroule dans la ville de Rome et met en parallèle la situation de la femme et de l’homme, dans la dernière d’entre elles, échappe aux policiers qui le gardaient ; l’avant-dernière séquence fait se retrouver les deux amants au cours d’une réception huppée. L’homme et la femme se retrouvent dans le jardin mais la femme s’enfuit vers un autre ; l’homme furieux, démolit l’intérieur d’une chambre ; enfin la dernière séquence met en scène le Christ dans une adaptation cinématographique d’un extrait d’une nouvelle de Sade.

La trame narrative est bien plus perceptible ici que dans le premier film de Buňuel ; le couple est au centre de toutes les séquences si l’on met à part les deux premières et la dernière, pouvant être conçues comme prologue et épilogue. Cependant, il est impossible de trouver dans L’Age d’or une continuité entière, loin de là : si les deux héros sont clairement identifiés, leurs comportements et les situations dans lesquelles ils se trouvent plongés ne peuvent de manière évidente pas être qualifiés de cohérents. De nombreux éléments du film restent sans réponse pour le spectateur. L’épisode des bandits en guenilles, l’homme, dans Rome, avec une pierre sur la tête (idée de Dali), ou encore le choix-même de la ville de Rome pour situer l’action de la quatrième séquence. Ce n’est donc pas la logique de la réalité qu’à choisi de suivre Buňuel, tout comme dans Un chien andalou.

Paragraphe 2 : L’espace et le temps

Ici encore, les quelques indications temporelles données dans le film entre les séquences, laissent plus perplexe qu’elles ne renseignent sur l’action et son évolution. Entre les deux premières séquences par exemple, l’intertitre indique « Quelques heures après », alors que d’une part il est impossible de savoir si les deux séquences ont un quelconque rapport temporel, et que d’autre part elles sont totalement distinctes l’une de l’autre de l’autre du point de vue du sens. De même, aucun lien n’est a priori perceptible entre l’intertitre « Parfois, le dimanche » et le plan suivant, qui montre des maisons s’écroulant.Les lieux non plus ne suivent pas de logique spatiale, mais semblent plutôt adhérer à la logique narrative, c’est-à-dire à une absence de logique. Si à l’intérieur des séquences le lieu de l’action reste ne général cohérent (mais pas toujours, comme le prouve le dernier épisode de la 5e séquence, où le héros jette tout ce qui passe par la tête de Buňuel à travers la fenêtre, et que certains de ces objets atterrissent dans la mer), rien toutefois ne permet de les rattacher entre elles, ou du moins rien n’est susceptible d’indiquer pourquoi on passe d’une rue à une salle de réception, ou d’une scène côtière à une vue de la ville de Rome.Le spectateur doit donc être vigilant vis-à-vis des idées que Buňuel sème tout au long du film et indifférent, si l’on peut dire, aux indications « directes » qui sont données dans la mesure où elles ne sont présentent que pour déstabiliser, le plus souvent en détournant le degré de précision employé dans les films les plus conventionnels.

Paragraphe 3 : Les personnages

Comme dans Un chien andalou, l’homme et la femme accèdent dans l’Age d’or à un statut d’universalité, puisqu’ils n’ont pas de noms ; le spectateur peut ainsi difficilement s’identifier à eux. Qui plus est, le film est assez frustrant pour qui est habitué à un récit plus conventionnel : les personnages sont multiples et restent des inconnus pour la plupart ; c’est le cas pour les bandits de la deuxième séquence, mais aussi pour les noceurs du château Selliny, dont il ne nous sera montré qu’un seul représentant, certes emblématique aussi, car portant les traits du Christ, mais muet et éphémère dans son apparition (« comme le Christ lui-même ! », aurait ajouté Buňuel à cette remarque). La narration centrée autour de deux amants est elle-même fragmentée et désordonnée, peu constructive, et reste d’un point de vue psychologique très obscure. Même si les deux héros appartiennent vraisemblablement à un milieu assez aisé et bourgeois, comme Buňuel, nul ne sait comment ils se sont rencontrés (la rencontre est un aspect incontournable dans les films traitant du thème de l’amour, c’est même souvent elle qui sert de point de départ à bon nombre d’entre eux). Buňuel, plus encore dans l’Age d’or que dans son premier film, cherche à susciter la perplexité puis le scandale chez le spectateur, de manière plus construite et donc, a fortiori, plus efficace.

Section 2 : La cohérence de cette structure

Paragraphe 1 : L’auteur/narrateur

Si l’auteur n’apparaît pas en personne au début du film, il se fait représenter par les scorpions du prologue. En effet, le documentaire animalier qui nous est proposé montre des scorpions très agressifs (« L’humeur venimeuse(…) le rat même succombe à ses coups) »), dont nous pouvons comprendre qu’ils jouent le rôle de l’oeil tranché au début d’Un chien andalou : le spectateur est prévenu une fois de plus qu’il lui faut adopter un regard nouveau sur le film qui va lui être montré. Il y a une sorte de cohérence dans l’incohérence narrative de l’Age d’or : tout ce qui est déstabilisant pour le spectateur (ruptures de ton, dialogues surréalistes…) l’empêche de se glisser trop facilement dans le film, et l’oblige à garder une position inconfortable tout du long.

Paragraphe 2 : La logique interne

Contrairement au premier film de Buňuel, l’Age d’or n’a que très peu été le fruit de la collaboration entre Dali et le cinéaste : seule une ou deux scènes renvoient directement à une idée du futur mari de Gala. Ado Kyrou y voit un gage de la supériorité du second film sur le premier : « Les symboles d’Un chien andalou pouvaient peut-être prêter à confusion et le scandale pour le scandale chatouille agréablement le bourgeois. L’Age d’or ne chatouille pas. Ses griffes sont empoisonnées. » (Propos de Ado Kyrou, in Le surréalisme au cinéma, Ramsay Poche, Paris, 1985, p209). En effet, l’homme est dans le films « aux prises avec le monde social et son ordre moral » et non plus seulement comme dans le premier film de Buňuel en permanente lutte contre ses désirs sans cesse frustrés. L’analogie est en revanche flagrante entre les deux oeuvres du point de vue de la logique narrative, qui nous l’avons dit précédemment est plus sensible dans l’Age d’or, mais qui utilise la même apparente incohérence au sien même des séquences.

Reprenons les divers moments du film pour mieux saisir la pensée de l’auteur. La première séquence s’apparente à un anodin et cruel documentaire animalier ; pourtant dès ces premières images Buňuel nous parle directement : le comportement des scorpions n’est pas si éloigné du comportement humain, qui sous cet angle mêle cruauté, agressivité, instinct, et rappelle aux spectateurs que nous ne sommes pas si détachés de nos origines primaires, lesquelles ressurgissent parfois de manière brutale et souvent mortelle. C’est avec cette idée que Buňuel invite à regarder son film et la société, comme un malade regarde la vie et les autres d’un regard neuf lorsqu’il se sait mortellement atteint.

La deuxième séquence est plus obscure : on y voit un groupe de bandits, dont l’aspect extérieur fait davantage penser à des clochards qu’à des brigands organisés et menaçants, essayant de parer à l’arrivée de mystérieux Majorquins, et qui mourront sans même avoir combattu, sous le regard de quatre archevêques. Représentant en quelque sorte des émissaires des prochains arrivants. Pour de nombreux analystes cette scène montre le prélude à la fondation de la Rome impériale, origine de notre civilisation occidentale.Arrivons maintenant à la partie la plus riche du film du point de vue thématique et surréaliste : l’histoire d’amour, d’un amour que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter de manière définitive, en un mot l’« amour fou ». La scène se déroule en « l’an de grâce 1930 ». un couple dont les ébats couvrent le discours du gouverneur est séparé par la foule (qui représente donc l’ordre moral de la société). Les deux jeunes amants se suivront en pensée à travers Rome, dont divers lieux, certains célèbres comme le Vatican, d’autres beaucoup plus anodins (plans de rues, de scènes de vie courante) nous sont montrés avant que ne réapparaisse d’abord l’homme, encadré de deux policiers, puis, sous forme d’image mentale, la femme. Celle-ci se trouve en fait chez sa mère, comme nous le constatons peu après.

Ce sera d’ailleurs là l’occasion d’admirer, de l’avis unanime des critiques, une scène surréaliste d’une poèsie et d’une puissance visuelle inouïe, lorsque la jeune fille, se penchant sur son miroir, y contemple non pas son reflet mais des nuages, de « merveilleux nuages » comme l’a dit si joliment Baudelaire, et ce avec en bande sonore trois sons qui se superposent et témoignent de l’enchevêtrement des imaginaires des amants : les aboiements du chien dans la rue où se trouve l’homme, les clochettes de la vache croisée auparavant dans la chambre, et le bruit du vent, symbole de la liberté que conservent quoiqu’il advienne les deux amants. Tout au long de cette première sous-partie se déroulant alternativement chez la mère et dans les rues de Rome, le héros se laisse aller aux fantasmes (majoritairement de nature érotique) qui lui sont suggérés par les objets qu’il rencontre sur son chemin : affiche représentant une femme lascive qui finit par se confondre avec la vision de sa bien-aimée (grâce à une superposition d’images opérée par Buňuel); publicité pour une pâte adoucissant les mains se muant en une image au caractère sexuel marqué, pour ne pas dire masturbatoire.

« Plan N°78. L’affiche en gros plan. Elle proclame l’excellence d’une certaine pâte pour adoucir les mains. Une main de femme, très blanche, dont l’annulaire disparaît dans un trou peint sur la même affiche, y est représentée.Sur une main vivante très ressemblante et qui oscille nerveusement en s’appuyant sur le doigt qui disparaît dans le trou. L’effet de ce mouvement sera troublant à l’extrême, son expression étant particulièrement onaniste » (Extrait du scénario publié par l’Avant-Scène, N°27-28, p 35).

Ces interprétation de l’imaginaire dans la réalité sont tout à fait caractéristiques de l’oeuvre de Buňuel : le cinéaste espagnol joue avec les images et le spectateur, créant un réseau pictural dense et cohérent dans son ensemble et avec le recul, et il est par conséquent évident qu’une étude des plans dans leur succession se révélerait impossible à interpréter sans considérer la spécificité de cette logique narrative, plus proche de la logique du rêve que celle du réel.La seconde sous-partie de la quatrième séquence suit le même procédé : les deux amants s’étreignent dans le fond du jardin, la puissance de leur désir nous étant signifiée par les visions imaginaires qui s’intercalent dans le cours de la scène (la jeune fille qui suce l’orteil de la statue ; l’homme qui met la main de son amante dans sa bouche).

Buňuel met en place un univers complètement surréaliste qui use beaucoup de la répétition (« je me suis toujours senti attiré, dans la vie comme dans mes films, par les choses qui se répètent » d’après Mon dernier soupir, op. cit. p.294), que ce soit pour accentuer le thème du fantasme sexuel (l’onanisme) ou la force du désir. Il nous présente les signes d’une activité inconsciente intense, non refoulée, qui va à l’encontre de tous les codes existants de la morale bourgeoise et aristocrate, et qui vient s’ajouter aux effets irrépressibles de la passion amoureuse, la changeant en véritable révolte, comme nous le verrons plus loin. Remarquons enfin que la souffrance morale de l’homme, qui voit s’éloigner son amante, est ici exprimée par la bande sonore : nous pouvons entendre en effet des roulements de tambour, les mêmes que ceux qu’entendait Luis dans son Aragon natal à la fin de la semaine Sainte.

La dernière séquence, enfin, si elle peut paraître marginale par rapport au reste du film, se révèle en fait en être l’aboutissement logique. « A l’agressivité et à la fureur du protagoniste jetant tout ce qu’il trouve par la fenêtre, répond l’agressivité sadique des habitants du château à l’égard de leurs jeunes victimes, le duc de Blangis (qui offre une ressemblance frappante avec Jésus-Christ), écho des archevêques du début du film, se comportant, à l’instar du personnage incarné par Gaston Modot, comme le scorpion du prologue. » (D’après Claude Murcia in Un chien andalou, L’Age d’or, Etude critique, Nathan, Paris, 1994, p53-54). L’Age d’or nous convie donc a posteriori à un véritable voyage à travers l’univers psychique de l’homme : il commence par les archétypes hérités d’un monde animal, à la fois naissant et portant déjà en lui les germes du sadisme (cruauté du scorpion, mais aussi de la part du spectateur, fascination pour la mort), se poursuit avec le cloisonnement insupportable pour eux de deux être qui s’aiment passionnément, mais au sein d’un univers aristocrate aux valeurs chrétiennes et rigides, et s’achève par la suggestion (puisqu’on ne peut que deviner ce qui se passe dans le château) pessimiste d’un monde où les être, conscients de n’être que les jouets de leurs pulsions, s’y abandonnent pour mieux les satisfaire. Ce voyage est donc temporel tout autant que spatial.

Buňuel nous met ainsi face à nos propres contradictions : nous appartenons aujourd’hui à un monde civilisé (symbolisé par la maison des aristocrates où a lieu la réception), mais cloisonné par la morale et qui nous pousse parfois à chercher désespérément une brèche vers un monde plus proche des aspirations de notre nature profonde. Mais cet autre monde recherché, qui tendrait à se débarrasser de tous les attributs inhérents au monde actuel et civilisé, donc à se rapprocher du monde « ancien » ou tout du moins originaire, « s’il est un commencement du monde, est aussi une fin du monde, et la pente irrésistible de l’un à l’autre : c’est lui qui entraîne le milieu, et aussi en fait un milieu fermé, absolument clos, ou bien qui l’entrouvre sur un espoir incertain. » (D’après Gilles Deleuze, in L’image-mouvement, Editions de minuit, Paris, 1983, p 176-177). Le cinéaste espagnol, s’il met en scène des personnages capables d’ouvrir des brèches (intrusion de l’amant dans la demeure aristocrate, et par-là de la passion au coeur d’un univers dépassionné ; introduction de l’imaginaire, monde présenté comme parallèle, dans le concret…) du fond de leur prison existentielle, nous les montrent également et avant tout comme des être prisonniers de leurs désirs, et à l’origine de leurs propres frustrations (la femme finit par se donner à un autre), ceci étant valable de tout temps.

L’homme, être angoissé par ses propres limites, se focalise sur la réalisation de se désirs, éprouve une fascination pour la mort, et tend à s’égarer, persistant à s’accomplir comme un être sensuel plutôt que comme être spirituel.

Chapitre 3 : Étude thématique autour de deux films

 

Section 1 : L’amour

Paragraphe 1 : L’amour comme désir

Il n’est pas excessif de dire que le personnage principal, dans les deux premiers films de Luis Buňuel, soit le désir. Le désir représente manifestement pour le cinéaste espagnol une pulsion propre à l’homme, dans la mesure où chez l’animal elle reste encore à l’état d’instinct ; elle est en tous les cas fondamentale pour comprendre les comportements humains, dans leurs aspects social et psychologique.

Un chien andalou limite l’étude de ce désir aux rapports humains entre un homme et sa pulsion : comment en devient-il le sujet, l’esclave, quelle attitude adopte-t-il pour l’assouvir, quel est le résultat final de ce conflit permanent entre le désir et l’impossibilité de le satisfaire complètement ? Trois phases de la vie de l’homme sont en effet distinguées : une première où les désirs sont encore latents, refoulés, et où la sexualité est une activité solitaire (voir le cycliste habillé en enfant, les fourmis dans la main), une seconde où nos pulsions se libèrent et s’emparent de nous si elles sont très fortes ; l’amour devient donc dès lors un besoin premier pour l’hom

L’homme est à ce stade de développement gêné par les inhibitions que sa culture (familiale, religieuse, sociale) lui a léguées : le symbole en est presque lourd tant il est montré de manière ostentatoire, par la scène où l’homme tire le piano, les ânes putréfiés, et les deux frères maristes en même temps qu’il essaie de se rapprocher de la femme. Enfin une troisième étape de notre vie consisterait à dépasser toutes nos inhibitions pour vivre le véritable amour. Buňuel symbolise ce passage par le meurtre du surmoi, lequel revêt les traits psychologiques d’un double de l’homme. Mais là intervient l’ironie Buňuellienne, qui nous montre l’inévitable enlisement qui guette toute relation amoureuse, avec ce dernier plan du couple enfoncé dans le sable, animaux pris au piège de leur désir.

Le même constat est proposé avec l’Age d’or, à cette différence près que Buňuel y élargit le champ d’application du thème : le désir cette fois pousse l’homme à braver les interdits et conventions établis par la morale. Il reste quoiqu’il en soit frustré : quand au bout de bien des efforts le couple parvient à s’aimer au fond du jardin, les interruptions se multiplient jusqu’à ce que finalement la femme parte en aimer un autre. Ainsi ce deuxième personnage d’homme, après celui d’Un chien andalou, subit le sort de ceux qui n’ont pas su dépasser leurs inhibitions : c’est l’échec de l’amour, qui tend alors à plonger l’homme et la femme dans la régression plus que dans le progrès de l’âme : au début du film les deux amants se roulent dans la boue, les allusions scatologiques sont nombreuses et assez claires : images de lave en fusion ressemblant à des excréments, bruit de chasse d’eau, de même que les allusions à une sexualité solitaire, liée à la séparation des deux amants : tremblements des mains et des doigts se répètent, fantasmes et visions imaginaires se multiplient chez l’homme.

Dans ces conditions, le désir ne peut être que frustré, enfermant les êtres dans leur pulsions sans qu’il puissent s’y dérober. Qui plus est, Buňuel semble affirmer dans ces deux films sa vision du désir sexuel « comme solitude et comme échec » (Freud revient comme les nombreuses lectures de Buňuel).

Paragraphe 2 : Eros et Thanatos

Il est impossible de ne pas se sentir assez mal à l’aise face à l’oeuvre de Buňuel ; ce sentiment peut venir de l’incompréhension de ses films, mais une fois cette barrière franchie, subsiste une impression de noirceur, même si l’ironie et l’humour sont souvent présents. Cette noirceur provient sans doute en grande partie des nombreuses représentations et allusions à la mort en même temps qu’à l’amour qui sont disséminées dans les oeuvres du cinéaste. Buňuel lui-même en est conscient : « Pour des raisons qui m’échappent, j’ai toujours trouvé dans l’acte sexuel une certaine similitude avec la mort, un rapport secret mais constant. J’ai même tenté de traduire ce sentiment inexplicable en images, dans Un chien andalou, quand l’homme voit les seins nus de la femme, et que tout à coup son visage devient celui d’un cadavre. Est-ce parce que je me suis trouvé, dans mon enfance et ma jeunesse, victime de la plus féroce oppression sexuelle que l’histoire ait jamais connue ? » (Propos tiré de Mon dernier soupir, op.cit. p 22) Cette préoccupation au sujet de la mort et de ses rapports avec l’amour charnel pourrait provenir, pour Claude Murcia, de la récurrence du thème dans la génération espagnole des années 1927 (celle de Buňuel) : elle apparaît en effet chez d’autres artistes comme Lorca. Et puis l’expression « petite mort » a son équivalence en Espagne…

Plus sérieusement, il est aisé de remarquer que les situations qui mettent en scène la mort, abondent, ou plus exactement le meurtre, comme exutoire à un désir frustré : outre l’exemple que donne Buňuel, rappelons-nous la puissance destructrice qui s’empare de l’homme de l’Age d’or, après que la femme lui a préféré le chef d’orchestre, mais aussi les horreurs perpétrées par le duc de Blangy dans la dernière séquence, et la bande musicale choisie par Buňuel pour accompagner la scène d’échec de l’amour entre les deux amants, à savoir la Mort de Tristan, de Richard Wagner, oeuvre emblématique de la « puissance mortifière de l’Eros » (d’après Claude Murcia, in Étude critique… op. Cit. P 61). Cette dimension morbide dans les films de Buňuel ajoute encore à la fascination qu’ils exercent sur le spectateur.

Section 2 : L’ordre

Ce thème apparaît surtout dans le deuxième film de Buňuel, du moins y figure-t-il de manière plus explicite que dans Un chien andalou. Dans ce dernier, la seule allusion claire à un ordre social se situe dans la scène de la rue, où Buňuel insère en surimpression un groupe de manifestants « que la police écarte ». Au contraire, dans l’Age d’or, l’ordre par l’intermédiaire de la classe aristocrate et de la religion est un personnage à part entière, qui ne cesse de mettre des bâtons dans les roues de l’Amour fou.

Buňuel oppose le couple d’amants à la société tout entière qui les entoure, et qui successivement ou simultanément représentée par les aristocrates de la réception, les agents de police (l’armée) et le gouverneur (les institutions étatiques). Mais Buňuel ne s’arrête pas à cette dialectique-là. Il l’élargit et la simplifie en quelque sorte en plaçant dans le camp des opprimés les brigands du début du film :ceux-ci sont victimes de la religion et des ardeurs colonialistes, sous la forme des quatre archevêques. Notons au passage, comme le précise de manière très pertinente Claude Murcia, qu’« une telle vision de la société, sans classes moyennes, qui en globe bourgeoisie et aristocratie dans la même catégorie (celle des nantis) se rapproche davantage d’une conception anarchiste, dans ses formes populaires (voir Pérez Galdos), que de la pensée marxiste » (D’après Étude critique, op. Cit. P 62). La première victime physique, dans le film, à pâtir de cette volonté de ne rien s’interdire, et surtout de ne pas se conformer aux manières et usages hypocrites des mondains, est la maîtresse de maison : elle se fait gonfler à toute volée, et avec elle tout ce qu’elle représente, c’est à dire toute la culture bourgeoise, qui est aussi celle de Buňuel, et qu’il « rejette avec une violence masochiste dans un geste révolutionnaire et nihiliste ».

Mais ce sont aussi les autres institutions de la société et de son ordre moral que fustige le cinéaste. Par-delà les nombreuses scènes blasphématoires (l’ostensoir posé sur le trottoir, la défenestration de l’évêque, le mariste musicien, …), c’est la collaboration, l’entente des trois institutions militaires, civile et religieuse qui est dénoncée comme mal suprême de la société, et qui pourtant a semble-t-il dans le film servi de fondement à notre civilisation moderne, bâtie sur les restes des cadavres des archevêques. Le christianisme est de toute façon attaqué sans ambiguïté lors de la séquence finale, hommage à Sade, et qui résonnera encore dans les films ultérieurs du réalisateur (voir Viridiana, en 1961, et le scandale lors de sa sortie).

Section 3 : La révolte

Dans Un chien andalou, l’homme se révolte contre lui-même, contre ses propres penchants innés et acquis, rendant impossible la réalisation complète de ses désirs, et vouant toute relation amoureuse à l’échec.

L’enjeu est tout autre dans l’Age d’or : il s’agit d’un homme qui se révolte contre tout ce qui entrave son désir, contre tout ce qui le frustre injustement. « Qu’on ne s’y trompe pas : la révolte de Modot (NDLR il est évoqué ici le rôle joué par Gaston Modot) n’est pas d’ordre idéologique. Elle est de l’ordre du corps. D’où cette rage du personnage(…). » (Ibid, p 67) C’est à la lumière de la connaissance de ce que réalisa Buňuel des années plus tard que nous sommes le mieux à même de sentir et de comprendre les enjeux qui commencent ici seulement à poindre. Si en effet le héros de l’Age d’or se révolte et frappe ou écrase tout ce qui se trouve à sa portée quand il éprouve une vive frustration, c’est aussi parce qu’il est le prisonnier de ses pulsions. L’Amour fou a donc une face sombre, qui est cette douleur (puisque c’est le corps tout entier qui éprouve la frustration), ce qui quasi-aveuglément nous ramène presque à l’état animal. Cette critique de l’Amour fou a lieu, comme nous les verrons plus loin dans El, réalisé 22 ans après l’Age d’or. Il n’en reste pas moins que le héros du film de Buňuel est prêt à renverser toutes les valeurs établies pour passer sa rage. Le passage direct de la vision de cet être qui a sombré dans la folie destructrice à un autre, proche du Christ (le scénario indique même « le duc de Blangis est évidemment le Christ »), n’est pas innocent. Il est clair que le christianisme a fait plus de mal que de bien à l’humanité, ou, plus exactement, à l’homme. Rien de surprenant donc à ce qu’il le compare avec un personnage de Sade, vautré dans la luxure et le mal jusqu’au cou.

Ainsi, l’étude des deux oeuvres majeures de l’époque directement surréaliste de Buňuel nous aident à y voir plus clair dans les intentions du cinéaste, qui ne sont pas d’ordre esthétique, bien que la qualité technique de l’Age d’or soit honorable et que ses procédés soient novateurs (film parlant, avec monologues intérieurs, collages d’images comme le fait Ernst, utilisation remarquable de la musique…), mais moral. « Filmer est un accident, un accident nécessaire pour que les autres puissent voir. » Il est à présent certain que le surréalisme a donné les meilleurs moyens de s’exprimer à l’artiste espagnol. Mais celui qui voit aujourd’hui les films qu’a réalisé Buňuel à Paris dans la fin des années 20, et qui auparavant n’avait toujours prêté qu’une attention amusée à ses oeuvres plus récentes, doit revoir d’un autre oeil ces mêmes films dont il a mésestimé la profondeur, l’habileté, ne s’attachant qu’à leur « inquiétante étrangeté »…

Partie 3 : Les marques du surréalisme dans quatre autres films de Luis Buňuel

Nous étudierons dans cette avant-dernière partie quatre films réalisés par Buňuel entre 1955 et 1962. La période peut sembler courte puisque le cinéaste a tourné son dernier film, Cet obscur objet du désir en 1977 ; toutefois elle est suffisamment révélatrice à nos yeux de l’emprunte indélébile que le surréalisme a laissée en Buňuel. Nul doute également que la prudence qui nous a guidés, tant il est vrai que « qui trop embrasse l’oeuvre de Buňuel mal étreint le surréalisme. »

Chapitre 1 : El, 1952, Mexique

Francisco, riche propriétaire, tombe amoureux fou de Gloria, aperçue lors d’un office religieux. Il réussit à la détacher de son fiancé, un ingénieur du nom de Raul, et à l’épouser. Quelques années plus tard, Gloria retrouve Raul et lui raconte son enfer conjugal. Fiasco de la nuit de noces en wagon-lit. Puis scènes de jalousie répétées : à l’hôtel, à propos des retrouvailles avec un ancien ami, ou lorsque que Gloria se confie à sa mère ou à un prêtre… Le mari jaloux découvre que Gloria a renoué avec son ancien fiancé, Raul. Le soir, il prépare tout un attirail (lame de rasoir, aiguille, cordes) et entre dans la chambre de sa femme. Celle-ci se débat et fui le lendemain matin. Francisco la poursuit et trouble une cérémonie religieuse. Des années plus tard, Raul et Gloria, accompagnés de leur petit garçon prénommé Francisco, font halte dans un monastère où est interné Francisco. Il y mène une vie apparemment paisible et semble guéri. Mais la dernière image nous le montre marcher en zigzag comme lors des crises de paranoïa…

« Peut-être est-ce le film où j’ai mis le plus de moi-même. Il y a quelque chose de moi dans le protagoniste. » (Extrait de Conversations, Luis Buňuel, op. Cit. P 107) Ceci méritait d’être pensé en regard de la phrase de Jean Renoir : « On ne se raconte bien soi-même qu’en racontant les autres » (Tiré de « Ce bougre de nouveau monde, Ecrits, 1926-1971, Belfond, 1974, p 70). Personnellement, jamais un personnage de Buňuel ne m’a autant effrayé que Francisco. La coexistence de la montée de sa paranoïa et le fait que sa femme ne le quitte pas plus rapidement procurent des frissons d’effroi ; à la seule idée de savoir ce qu’il va inventer pour se mettre en colère, ou à quel moment il va basculer de la gentillesse pour sa femme à la suspicion et à la méchanceté la plus terrible et maladive, l’angoisse m’étreignait. Le fait est que malgré ce climat très tendu tout au long du film, les gens ont paraît-il beaucoup ri lors de sa sortie, alors que la réaction la plus logique selon nous serait d’être glacé d’effroi devant le cas aigu de paranoïa.

Ce qui est remarquable dans El, c’est le foisonnement des signes qui nous sont dressés par le réalisateur. De ce fait, il peut y avoir deux lectures du film : l’une assez superficielle, mais qui permet de prendre en comprendre ce qui se passe, et l’évolution des personnages ; une autre bien plus riche et profonde qui est jouissive tant l’oeuvre se prête à l’analyse scénique. Nous essaierons donc ici de privilégier quelques clés de lecture qui permettent d’avoir par la suite une autre vision du film, et de reconnaître le génie et la malice de la mise en scène et des idées de Buňuel.

La première scène, dans l’église, est en elle-même très habile. Le réalisateur nous fait comprendre en quelques jeux de regard ce qui se passe au cours de la cérémonie. Celle-ci est double : d’une part il y a la cérémonie en soir, où Buňuel nous le curé en pleine activité de lavement des pied. Francisco, de par sa position dans l’église, tout près des prêtres, est privilégié : il ne rate rien de la cérémonie et en même temps c’est elle qui fait dévier son esprit, puis son regard …vers les pieds de Gloria. Le dédoublement est effectué : se déroulent conjointement une cérémonie religieuse très solennelle ainsi qu’une véritable séance de séduction entre Francisco et Gloria. Quelle image du lieu saint nous donne une fois de plus le cinéaste espagnol ! Mais tout ce que nous avons dit pour l’instant sur cette scène n’est rien comparé à ce que les analystes les plus fins ont pu apercevoir. Il existe en effet dans cette succession de plans assez courts un rythme ternaire, en rapport direct à la Sainte Trinité : le Père, le Fils, et le Saint-Esprit. Gestes, regards, découpage même de la scène générale en trois sous-parties, tout semble calculé pour respecter ce rythme. Cette première scène aura pour écho à la fin du film une autre scène de cérémonie religieuse, celle que vient troubler Francisco, devenu fou. Et cette fois, ce n’est plus lui qui jouit du spectacle, mais lui qui est le point de convergence de tous les regards.

Au cours de cette même scène, décidément très riche en information sur le héros, c’est encore le regard qui nous permet de mieux connaître Francisco. Il nous apparaît au départ comme un figurant potentiel, puis nous sentons, de par sa position privilégiée, qu’il va servir d’oeil pour la cérémonie, que nous allons a priori suivre par lui. Mais le sujet devient autonome et son regard se perd, volontairement toutefois. Car ce qu’il vient de voir, et nous avec, le trouble : le prêtre vient en effet de déposer un baiser « langoureux » sur le pied du jeune adolescent qu’il vient de laver. « Toute la question pour Buňuel consiste à savoir si ce geste est le révélateur de la personnalité singulière et exceptionnelle du prêtre ou bien si le prêtre, traducteur dévoué du rite et rouage anonyme d’une grande cause, celle de la religion, contribue à mettre à jour une dimension insoupçonnée et refoulée de l’attitude du Christ, révélatrice du conditionnement sexuel lié à l’automatisme des pratiques religieuses. (…) Telle est la fonction du geste dans l’univers Buňuellien, car s’interroger sur son origine revient à dépasser le stade de l’individu, celui de la nature humaine, pour entrevoir les fondements d’une culture, le geste ayant alors ce pouvoir vertigineux de mettre à jour son échafaudage afin de l’entrevoir dans sa dimension véritable. » (Extrait de C.Tesson, in Etude Critique de El, Nathan, Paris, 1996, p42-43)

Pour Francisco, le doute vient s’immiscer concernant une homosexualité latente chez lui : il n’a jamais été marié et est donc comme le personnage d’Archibald, dans la vie criminelle, que nous étudierons juste après. Francisco est donc vierge. Et cet incident de pensée, le fait que son regard saute de la cérémonie proprement dite à l’assistance va déclencher tout le mécanisme que nous allons suivre tout au long du film et voir se développer. Et l’image finale, terrible, de Francisco cheminant vers cette entrée sombre en faisant des zigzags s’éclaire à la lumière de la relecture de la première scène : cette façon qu’a son esprit de « clignoter » depuis le jour où il est tombé follement amoureux de Gloria, passant de la bonté à la cruauté paranoïaque sans qu’il soit possible de la prévoir à l’avance, peut être interprétée comme cette lutte meurtrière entre Eros et Thanatos. Qui était évoquée dans l’Age d’or. C’est en tous les cas ce trouble intérieur, cette déchirure qui se fait peu à peu plus béante et insupportable pour sa conscience, provoquée par la naissance en lui de l’Amour fou, qui le mène à sa perte. Voilà pourquoi Charles Tesson croit voir en El « un commentaire critique de l’Age d’or », visant à démontrer « combien les forces de l’amour portent en elles leur continent noir », l’angoisse que Francisco devient compréhensible dans la mesure où la vie de couple « dissimule dans les faits un inquiétant et minutieux programme d’élimination » (Ibid, p 6).

Ainsi, une lecture assez superficielle du film nous amènerait à le considérer comme un mélodrame somme tout assez conventionnel, caractéristique de la péninsule ibérique : un homme puissant terrorise une femme frêle, qui paralysée, ne parvient pas, ne cherche même pas à lui échapper. Cet homme, malgré tous ses attributs de respectabilité (il porte l’écharpe des Chevaliers du Saint-Sacrement) est un monstre, et sa jalousie excessive jusqu’à en être maladive en fait finalement un assassin potentiel. Mais derrière ce film se trouve un autre paysage, dont les règles de conduite sont dictées par cet amour fou. Un paysage surréaliste, mais ayant comme toujours sa propre logique, sa propre cohérence. Seulement l’Amour fou qui est présenté ici n’est pas celui de Breton ou de Gaston Modot, c’est un amour égoïste et prédateur, qui cherche à détruire plus qu’à unir.

Chapitre 2 :La vie criminelle d’Archibald de la Cruz, 1955, Mexique

Archibald, enfant, croit qu’une petite boite de musique peut matérialiser tous les désirs. Ainsi souhait-il la mort de sa jeune institutrice, et celle-ci est aussitôt tuée par une balle perdue. Plus tard, il retrouve la boite de son enfance chez un antiquaire. Il aspire à voir mourir l’infirmière qui le soigne, une religieuse, qui va faire une chute mortelle dans la cage d’ascenseur. Il fini même par rêver qu’une jeune femme Lavina, qui est modèle, meurt ; ce sera cependant son double de cire qui sera brûlé. Archibald cherche à se dénoncer auprès de la police, en vain. Il jette alors la boite et se retrouve guéri, à tel point qu’il épargne la vie d’un insecte.

Buňuel retrouve ici un de ses thèmes favoris : la frustration, déjà largement présent dans son premier film, Un chien andalou. A ceci près qu’ici Archibald est frustré parce qu’il ne parvient jamais à tuer de ses propres mains : c’est un assassin que la réalité a rendu refoulé. Les obsessions de Buňuel sont dès lors très visibles, tournant toujours autour du rapport ambigu entre le sexe et la mort : dans le cas d’Archibald, le désir de tuer, qui renvoie à l’enfance du héros, marquée par la mort de cette belle institutrice qu’il désirait en même temps qu’il était excité par l’idée de la mort.

Cette ambivalence du désir (d’amour et de mort) est traitée sur le ton de l’humour grinçant propre à Buňuel : une première séquence très drôle pendant laquelle Archibald, qui ne peut toucher le corps du personnage joué par Miroslava, qu’il veut brûler dans son four, et qui se refuse à lui, se rabat sur son alter ego en cire ; à la suite de quoi l’humour se tente d’une sourde angoisse chez le spectateur puisque nous assistons à la fuite de la jeune femme, sauvée par un élément extérieur ; cela n’empêche pas l’homme de poursuivre son obsession en incinérant le mannequin de cire. Mais il faut préciser que pendant la séquence où la jeune femme est partie, et qu’Archibald caresse le modèle de cire, Buňuel s’est amusé à remplacer le mannequin factice par la vraie femme, ce qui évidemment rend la scène horrible pour nous, spectateurs impuissants du crime virtuel de l’homme. Il a de plus beaucoup été question du sort de l’actrice principale, Miroslava, qui s’est suicidée à 20 jours de la sortie du film, et qui avait demandé à être incinérée après sa mort.

Ce qui est aussi effrayant, c’est la pirouette finale : certes, la fin du film peut apparaître comme un happy end, mais au fond rien ne le dit. Et la touche d’humour ultime fait rire le spectateur, mais d’un rire jaune et empreint de doute : Archibald ne va-t-il pas rechuter et tuer cette jeune fille qu’il vient juste de rencontrer ? Ici réside tout le « mystère Buňuel » (Titre utilisé par Les Cahiers du cinéma).

La vie criminelle garde dont des traces évidentes de la période surréaliste de Buňuel, sous la forme de l’humour noir. « L’humour, tel que les grands surréalistes l’entendaient, tel qu’il était pratiqué (…) par Benjamin Péret, que Buňuel admirait tant, est dans la vie criminelle d’Archibald le grand ordonnateur des évènements. Buňuel aime rire. » (D’après Ado Kyrou, le surréalisme au cinéma, Ramsay Poche, Paris, 1985, p 235).

Chapitre 3 : Viridiana, 1961, Espagne

Jeune novice dans un couvent espagnol, Viridiana est invitée, avant de prononcer ses voeux, à faire une visite à son oncle Don Jaime. Celui-ci retrouve en Viridiana le souvenir de sa femme, morte le soir de leurs noces 20 ans plus auparavant. Après lui avoir enfilé la robe de mariée de sa défunte épouse, Don Jaime drogue Viridiana et essaie de la violer, Viridiana part et Don Jaime se suicide. Renonçant alors au couvent, Viridiana recueille des mendiants, tandis qu’arrive un fils illégitime de Don Jaime, Jorge, vient s’occuper du domaine. Mais les mendiants deviennent envahissants et livrent à une véritable orgie, au cours de laquelle l’un d’eux manque de violer Viridiana. Celle-ci, changée et docile, vient jouer aux cartes avec Jorge et sa maîtresse.

Comme l’Age d’or, le film est composée de trois parties, disproportionnées en faveur de celle au centre. Un prologue tout d’abord qui met en scène l’arrivée de Viridiana chez Don Jaime, et qui place l’homme dans un profond trouble, puisqu’il se rend compte qu’il désire ardemment sa nièce. Et dès le début du film, Buňuel place ses banderilles sur le dos de la religion, puisqu’en croyant faire le bien, la supérieur du couvent pousse en fait Viridiana dans un piège. Puis, reprenant le trait d’humour grinçant de la fin de la Vie criminelle, le vieil homme sauve une mouche de la noyade. Ce petit geste paraît insignifiant au spectateur n’ayant pas fréquenté l’oeuvre de Buňuel, et pourtant il est annonciateur du dérèglement irrémédiable de la situation : souhaitant montrer sa gentillesse, Don Jaime se dévoile en tant que monstre, simplement par ce détail, qui « renforce le réalisme jusqu’au surréalisme » (Ibid, p 240).

La suite confirme le caractère instable du personnage, puisque Buňuel nous le montre voyeuriste vis-à-vis de la petite fille qui saute à la corde, alors qu’il apparaissait au départ comme doux et croyant. Nous sommes donc, à nouveau, face à un personnage qui est frustré : il n’a pas pu consommer son mariage et subit la tentation face à l’image de son épouse projetée sur les traits de Viridiana. « Il ne peut plus vivre dans le présent, parce qu’il a honte d’avoir tenté de la posséder ; ni dans le passé, parce que Viridiana ne « réincarnera » plus sa femme morte. » (Extrait de Conversations avec Luis Buňuel, par Tomas Pérez Turrent et José de la Colina, cahiers du cinéma, 1993, Paris, p 165). Son suicide à la fin de ce prologue est donc logique, de même qu’il semble logique pour le réalisateur que Don Jaime se pende avec la corde à sauter qu’il vient d’offrir à la petite fille, objet du caractère phallique prononcé, et que Don Jaime prenait du plaisir à voir serré dans les mains de la petite fille. Autre détail caractéristique du thème de l’onanisme : la scène de la traite, où Viridiana touche un pis de vache.

La partie centrale développe quant à elle un thème énoncé par Buňuel : « le divorce entre la réalité et le rêve ». Pour le réalisateur de l’Age d’or, « c’est l’abîme qu’il peut y avoir entre une idée du monde et ce que le monde est réellement » (Ibid, p 161). Viridiana, bien que coupée du monde religieux (elle se croit impure car violée), continue sa mission chrétienne et veut faire le bien : elle accueille donc tout un groupe de mendiants dans la propriété de feu Don Jaime. Mais autant Viridiana représente la figure du bien, autant ses protégés, eux sont porteurs du mal, le mal absolu étant le personnage de l’aveugle, qui jouera le rôle du Christ dans la Cène improvisé au cours de l’orgie. Buňuel montre ainsi la vanité qu’il peut y avoir à vouloir rendre la charité à quelques-uns, quand ils sont innombrables à être pauvres et seuls.

Cette idée est renforcée par la scène où Jorge, l’architecte, sauve un chien d’une mort certaine en le recueillant. Ce que le cinéaste nous montre juste après et que Jorge ne voit pas, c’est une deuxième charrette à laquelle est attaché un autre chien, tout aussi malheureux que le premier.

Plus généralement, l’idée d’une Eglise qui se donne bonne conscience en soignant les pauvres, pour « cacher ses mains sanglantes (allusion aux guerre de religion et à ce qu’elle est « une vaste entreprise de coercition dont le but est la défense de la société établie ») dans des gants d’une blancheur immaculée » (D’après Ado Kyrou, op. Cit. P 244) est ici mise en valeur, bien qu’elle n’ait pas été le but premier de Buňuel dans le film. Lui veut choquer, mais de manière calme, sans violence, simplement en montrant, et sans vouloir rechercher le symbolisme à chaque plan. A ceux qui lui reprochent de faire systématiquement scandale, par exemple avec l’image des mendiants reproduisant la Cène, ou avec l’utilisation d’objets qui mêlent religion et meurtre, comme le couteau-crucifix, ou religion et sado-masochisme, avec l’accumulation d’objets de torture que Viridiana a apportés avec elle : une croix massive, des clous, un marteau, une couronne d’épine…, Buňuel répond que ce ne sont là que des objets anodins et qui existent, et ne sont en rien dénaturés. Le couteau-crucifix, par exemple, est très populaire au Mexique, parce qu’il est tout simplement pratique. S’il est interdit en Espagne, c’est à cause des excès du catholicisme, qui garde encore des relents d’inquisition malgré lui.

Une fois de plus, Buňuel nous propose un film plein d’humour et de malice. C’est en cela qu’il reste profondément attaché à une certaine forme de surréalisme. Il suffit de pense à quelques scènes, en commençant par celle où Don Jaime sauve une mouche, mais ne sauvera finalement même pas lui-même ; l’orgie des mendiants qui ne respectent aucun des usages, aucun des règles de bienséance au cours de leur festin, et qui finissent par former le tableau de la Cène ; enfin à la scène finale qui nous montre Viridiana acceptant de jouer aux cartes avec Jorge et sa maîtresse Ramona, et qui signifie clairement l’« ouverture » d’esprit de la jeune femme, éclairée à présent sur ce qu’est son corps et ce à quoi il peut servir. Elle y a d’ailleurs été amenée progressivement tout au long de diverses situations : la traite de la vache, le port de la robe de la mariée, et surtout la tentative de viol dont elle a été l’objet, et durant laquelle elle prend à pleines mains les poignées de la corde à sauter qui à ce moment servait de ceinture au pantalon du mendiant.

Restent quelques scènes complètement décalées, qui elles aussi participent à l’impression surréaliste qui ressort du film : la scène du somnambulisme, tout d’abord, où Viridiana répand des cendres sur le lite de Don Jaime peu de jours avant qu’il ne se suicide ; « dans la tradition catholique, les cendres signifient la mort : Tu es poussière et tu retourneras en poussière » (D’après Conversations, op. Cit. P 165), et celle qui donne à voir au spectateur le visage de Don Jaime au moment où il rédige sa lettre de suicide. En effet, la vision est fugace, mais révélatrice de la nuance que Buňuel souhaite toujours apporter à une scène qui, après tout, se devrait de nous montrer un homme à bout, torturé par la pensée de sa mort prochaine Don Jaime relève la tête et esquisse un sourire. « Le sourire à ce moment-là bouleverse la convention, introduit une contradiction qui est plus intéressante. Que savons-nous de ce que pense un homme qui se suicide ? » (Luis Buňuel, Ibid).

Ainsi le réalisateur espagnol, en choisissant de faire son film en Espagne, a déposé en fait un cadeau à l’intention de Franco, une véritable bombe, qui a provoqué jusqu’à la démission du Ministère de l’information, que le dictateur a néanmoins refusée… La partie de l’épilogue où la petite fille jette au feu la couronne d’épines marque l’aboutissement de sa critique de la religion : tout comme elle, la couronne fascine la fillette, puis celle-ci se blesse avec (importance du sang versé), et logiquement fait disparaître la chose malfaisante. « Y a-t-il plus beau spectacle qu’une couronne d’épines qui brûlé? » (D’après Ado Kyrou, in le surréalisme au cinéma, op. Cit. P 253).

Chapitre 4 : L’Ange exterminateur, 1962, Mexique

Les Nobiles, couple riche et possédant un superbe hôtel particulier, donnent une réception. Au cours de la préparation de la soirée, tous les domestiques sauf le majordome quittent la maison, par un mauvais suite à un mauvais présentiment. Effectivement, au moment de repartir chez eux, les invités s’aperçoivent qu’il leur est impossible de sortir ne serait-ce que du salon, comme empêchés par une force invisible. La promiscuité menace de tourner à l’aigre, quand un des personnes a l’idée de se placer exactement comme au moment du début de l’« emprisonnement » ; tous peuvent alors quitter la pièce. Mais à la fin de la célébration de la messe en l’honneur de ce sauvetage heureux, nul n’est capable de sortir de l’église. Des moutons viennent se précipiter dans le saint édifice.

Voici, à notre sens, l’un des plus films les plus réussis de Buňuel. Tout y est : surréalisme, présence simultanée du quotidien le plus ordinaire et de l’extravagance la plus poussée, humour, amour, animalité, mort et surtout mystère.

Buňuel, à la demande de la directrice de la salle projetant le film à Paris, rédigea ce petit texte en forme d’avertissement :

« Si le film que vous allez voir vous semble énigmatique ou incongru, la vie l’est aussi. Il est répétitif comme la vie, et comme elle sujet à beaucoup d’interprétations. L’auteur déclare qu’il n’a pas voulu jouer sur des symboles, du moins consciemment. Peut-être la meilleure explication pour l’Ange exterminateur c’est que, raisonnablement, il n’y en a aucune. » (Rapporté par Ado Kyrou, in Le surréalisme au cinéma, op. Cit. P 255).

Le comportement des personnages pendant toute l’histoire relatée par Buňuel comporte de nombreux éléments rationnels : nous sommes dans une maison, il s’y déroule une réception entre gens de la Haute Bourgeoisie, les invités mangent, ont faim, font l’amour, bref, conservent la plupart des comportements habituels de la vie de tous les jours. Mais ce qui ne dépend pas d’eux, leurs rêves, leur imaginaire, leur inconscient, tout ce qui n’est pas corporel, les dépassent, et se superposent à cette attitude banale une multitude d’extravagances confinant au surréalisme : les dialogues, assez souvent, n’ont ni queue ni tête : par exemple, deux personnes se parleront à deux reprises comme si elles ne s’étaient jamais vues alors qu’elles viennent de sa saluer quelques minutes auparavant.

La logique du film semble être celle du rêve : en effet, non seulement l’atmosphère est très onirique, avec cette porte ouverte infranchissable, et les délires des divers personnages pendant leur sommeil, comme la vision par une femme de la bête à cinq pattes, une main humaine courant seul sur le sol, mais qui plus est le spectateur lui-même croit au bout d’un certain temps se trouver en plein rêve. Buňuel a réalisé un film véritablement hypnotique, qui finit par placer le spectateur dans un registre de pensée différent de celui qu’il adopte habituellement au cinéma. Comme l’oeil sectionné d’Un chien andalou nous invitait à regarder le film d’une autre manière, la première répétition de l’Ange exterminateur, où les invités entrent deux fois dans l’hôtel, nous déconcerte et nous amuse sans aucun doute, mais contribue aussi à considérer d’emblée nos repères traditionnels de réception des images et des attitudes qui nous seront présentées.

Il est possible d_s lors de se mettre à interpréter les signes que l’inconscient du cinéaste a insérés dans le film. Mais pourquoi après tout ? Cette oeuvre est parmi celle du réalisateur espagnol qui est la plus intime, par sa proximité avec le rêve, et la plus mystérieuse, par les multiples interprétations que nous pouvons en faire. Comme l’a dit Jean de Baroncelli, « les évènements qui se succèdent dans ce film, les métaphores et les symboles sont le reflet d’une réalité qui n’appartient qu’à Buňuel. Lui seul serait en mesure de nous offrir les clés de cette histoire fantastique. (…) Avant que d’être un passage, le film de Buňuel est un poème, la projection d’un état de conscience, un fleuve mystérieux sur lequel il faut se laisser dériver, en s’abandonnant à la puissance des images, en se laissant guider par le tendre et cruel (et couvent facétieux) nautonier qui dirige la promenade. » (Extrait du Monde, 4 mai 1963).

Partie 4 : Le « mystère Buňuel »

 

Chapitre 1 : Naturalisme plutôt que Surréalisme ?

Gilles Deleuze, dans son dense et difficile ouvrage sur le cinéma, L’image mouvement, introduit dans son chapitre consacré à Buňuel la notion d’« image-pulsion », qui se situerait entre les deux images conventionnelles que sont l’image-action et l’image-affection. Cette nouvelle forme d’image se développerait selon lui dans le couple « Monde originaires-Pulsions élémentaires ». Dans ce monde originaire, les personnages sont « comme des bêtes, (…) bêtes humaines ; leur actes sont préalables à toute différenciation de l’homme et de l’animal ». Ce monde, nous dit Deleuze, « c’est le naturalisme. Il ne s’oppose pas au réalisme, mais au contraire il en accentue les traits en les prolongeant dans un surréalisme particulier. »

Buňuel, si nous suivions le philosophe, pourrait être qualifié de « médecin de la civilisation » parce qu’en tant qu’« auteur naturaliste », il connaît les symptômes et les fétiches des hommes ; un symptôme étant « la présence des pulsions dans le monde dérivé et les fétiches la représentation des morceaux », objets plus ou moins informes à forte puissance évocatrice.Par exemple, le salon dans l’Ange exterminateur peut être considéré comme un monde originaire, où les pulsions des hommes vont se révéler.

Deleuze conclut son court raisonnement par cet éloge : « Buňuel a quand même gagné quelque chose en faisant la répétition, plutôt que l’entropie, la loi du monde. Par là il dépasse déjà le monde des pulsions pour toucher aux portes du temps, et le libérer de la pente ou des cycles qui l’asservissaient encore à un contenu. Buňuel ne s’en tient pas aux symptômes et aux fétiches, il élabore un autre type de signe qu’on pourrait appeler « scène ».

Chapitre 2 : Le mystère s’épaissit

Combien de choses resteront à jamais tues ? Qu’y avait-il donc dans la boite de la maison de prostitution de Belle de jour ? Comment certains des personnages vont-ils évoluer une fois le film terminé ? Le réalisateur espagnol a toujours eu l’habileté de nous plonger en plein rêve et nous ôter le bandeau bien trop tôt, car une fois que nous avons goûté à la réalité selon Buňuel, il nous est difficile de se débarrasser de son image et de son parfum de liberté…

Conclusion

Ainsi, nous avons largement pu constater au cours de cette recherche que les films de Luis Buňuel, le plus souvent, parlent pour lui, mais sans que nous sachions pour autant ce qu’ils disent de lui. Il est vrai que la multitude des interprétations, surtout de ses premiers films, ne facilitent par le travail d’enquête. Ce n’est pas faute d’intentionnalité de la part du cinéaste, au contraire ; Buňuel est un moralisateur au cinéma : il est en fait « soupçonné d’intentionnalité, qui se montre encore plus dès qu’elle se soustrait à sa lisibilité apparente » (Propos de Charles Tesson). Il craint surtout d’être percé à jour, si tant est que cela est possible, étant donné ses déclarations affirmant qu’il n’était pas psychanalysable, se connaissant déjà très bien : il éprouve « l’angoisse liée à la certitude d’être malgré tout là où le film l’a mis », et use beaucoup de « l’humour comme forme de détachement ».

Quoiqu’il en soit, nous arrivons à la conviction forte que Buňuel est un surréaliste de nature, tant son oeuvre est restée fidèle aux thèmes et aux principes qu’il a forgés et exprimés de manière si virulente au début des années 30. Simplement, il souhaite rester révolutionnaire « mentalement », puisant dans son imaginaire probablement très fécond pour se satisfaire de la réalité telle qu’elle est.

Il aura toujours « cette expression de la réalité » de l’homme, dont « l’action est toujours impliquée dans la tentation de répondre à l’inconscient. » (Propos de Lacan).

Bibliographie

 

Les ouvrages :

 

De ou sur Buňuel :
  • Luis Buňuel, entretiens avec Max Aub, Belfond, Paris, 1991
  • Luis Buňuel, Mon dernier soupir, Robert Laffont, Paris, 1982
  • Luis Buňuel, Le Christ à cran d’arrêt, oeuvres littéraires, Plon, Paris, 1995
  • Conversations avec Luis Buňuel, Il est dangereux de se pencher au-dedans, propos recueillis par Tomas Pérez et José de la Colina, Cahiers du cinéma, Paris, 1993
Sur les oeuvres de Luis Buňuel :

 

  • Un chien andalou, L’Age d’or, Etude critique, de Claude Murcia, Collection « Synopsis », Nathan, Paris, 1994
  • El, de Luis Buňuel, Etude critique, de Charles Tesson, « Synopsis », Nathan, Paris, 1994

 

Sur le surréalisme et le cinéma :
  • Ado Kyrou, Le surréalisme au cinéma, Ramsay Poche, Paris, 1985.
  • Alain et Odette Virmaux, Les surréalistes et le cinéma, Seghers, Paris, 1976.

 

Sur le cinéma en général :
  • Gilles Deleuze, L’image-mouvement, Editions de minuit, Paris, 1983.
  • Jean Tulard, Guide des films, Collection Bouquins, Robert Laffont, Paris, 1997

 

Les revues et documents :
  • L’Avant-Scène Cinéma, N°27-28, 15 juin-15 juillet 1963, spécial Buňuel.
  • Le cinéma espagnol, témoin des transformations sociales, E.Jimenez, Editions du Groupe ESCP, Paris, 1994.


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