L’un reste acteur, l’autre le fut. Tous deux, cinéastes et quadras, affichent une exigence rare, aussi bien en termes d’investissement personnel, que d’écho donné au monde alentour. L’un brun et méditerranéen, l’autre blond et wallon : forcément, la rencontre entre Yvan Attal, tête d’affiche de Rapt et Lucas Belvaux, son réalisateur, ne pouvait être tiède, anodine. D’autant moins que le sujet qui les réunit – le calvaire d’un homme de pouvoir, pendant et après son enlèvement, d’après l’histoire du baron Empain – ne l’est évidemment pas. De fait, parler avec eux, c’est bien entendre deux voix, mais un seul ton. Le bon. Vérification…
Que saviez-vous de l’histoire du baron Empain, avant de vous pencher dessus pour le film ?
– Lucas Belvaux : Ce que j’en avais lu dans la presse, ou vu à la télévision. À l’époque, en 1978, j’étais adolescent, j’avais 17 ans, c’était un grand patron, j’ai dû me dire qu’il méritait bien ce qui lui était arrivé… Et puis, quelques années plus tard, son bouquin est sorti. Je le vois chez Pivot, c’est extrêmement troublant et fort. Et même si nous sommes très opposés politiquement, ça me fait réfléchir. Parce que c’est l’histoire d’un homme nié. L’autre aspect passionnant de cette affaire, c’est qu’elle ne finit jamais.
-Yvan Attal : Je ne connaissais rien précisément. Je me souviens du journal de Mourousi, du flash info annonçant son enlèvement, mais pas de ce qui s’est joué réellement pour lui. J’étais jeune, j’avais 13 ans. Je n’en ai donc gardé que les souvenirs spectaculaires : la séquestration, le fait qu’on lui ait coupé le doigt. Mais j’ignorais totalement le fond de l’histoire.
Pourquoi cette transposition dans le Paris d’aujourd’hui ?
– L. B. : Je n’avais pas envie de raconter une histoire d’époque. On passe un temps considérable à trouver la bonne voiture, le bon panneau… Je ne voulais pas m’arrêter à l’anecdote. Et puis, dès lors que c’est une adaptation, libre qui plus est, c’est forcément faux puisque ce n’est pas vrai ! En situant l’histoire aujourd’hui, ça recentre le sujet sur ce qui m’intéressait, à savoir : comment vit-on une épreuve comme celle-là ? Et puis, ça me permettait de me libérer un peu des gens qui ont vécu cette histoire. En changeant les noms, certains faits aussi, je me situe dans la fiction. Ce n’est plus l’histoire du baron Empain, même si je sais que tout le monde y pensera, et que j’ai une responsabilité par rapport à lui, à sa famille. Je pense, de fait, que ce film est respectueux de tout le monde.
– Y. A. : Ce n’est pas pour rien si c’est moi qui joue le rôle… Je n’ai absolument rien à voir avec lui ! Ce n’est pas un biopic ! C’est vraiment l’imaginaire de Lucas. Même s’il y a une vérité qui sort de ce film. Je crois qu’on peut le dire, même si Lucas ne veut pas trop en parler… Mais le baron Empain, que Lucas n’a pas voulu rencontrer avant, a vu le film… après. Il a beaucoup aimé. Il a dit qu’il s’était retrouvé dans cette histoire…
On est surpris, au départ, par le choix d’Yvan pour jouer ce personnage, puis très vite impressionné par sa composition, digne et dure à la fois…
– L. B. : Yvan, j’y ai pensé très tôt pour ce rôle. Il a une espèce d’autorité naturelle, évidente, une arrogance possible en costume… J’y crois ! Et puis, en même temps, il y a de la mélancolie et de la fragilité chez lui. Yvan apporte énormément. Le travail physique qu’il a fourni est quand même extrêmement lourd à assumer. On s’en est rendu compte lorsque l’on a tourné la scène où il est torse nu : ça nous a fait mal pour lui. Chaque jour de tournage, quand on le mettait sous la tente, quand on l’enchaînait, c’était quand même très violent, l’équipe n’était pas très bien. Or Yvan n’en a pas rajouté. Il y a un engagement tel de sa part, c’est vraiment formidable. D’ailleurs, sa dignité, elle est juste ! Je ne voulais pas qu’on aille dans une espèce de dolorisme. J’avais envie de raconter comment ce personnage résiste sans se débattre. Il est impénétrable et Yvan a su rendre ça.
– Y. A. : La dureté, elle est d’abord liée… au régime que j’ai fait ! J’étais fragilisé à cause de ça. J’ai perdu 18 kg en deux mois. Il y a plein de moments où j’ai eu envie de craquer. Je ne mangeais plus avec ma famille, sur le tournage je m’isolais… J’avais de moins en moins d’énergie… Ce tournage a été très particulier pour moi. Je ne me suis pas reconnu. En même temps, le régime m’a permis de rentrer dans le rôle.
On a l’impression qu’avec ce film, l’un et l’autre, vous avez franchi une étape capitale dans votre travail. Comme si, en allant vers l’épure, vous acceptiez aussi de perdre un peu le contrôle…
– L. B. : Je pense que j’écris comme un acteur : je suis dans l’empathie. D’ailleurs, j’écris pour et sur des personnages. Et les personnages les plus noirs doivent avoir leur chance, ne serait-ce que pour leur part d’humanité. Au début, je voulais parler de la barbarie. De cette double peine : de la violence de l’acte, du rapt, et de la violence du retour aussi. Après, il faut rentrer dans la logique de chacun. Et puis, il y a le plaisir de l’écriture : après 30 séquences, il y a un début de perte de contrôle. Les personnages deviennent autonomes s’ils sont bien écrits…
– Y. A. : Un acteur progresse avec sa vie. Avec l’humanité qu’il dégage. Il faut avoir confiance dans le regard que le metteur en scène porte sur vous. Ce qui était le cas ici. Ce qui est difficile, au fond, c’est d’accepter d’être soi-même ! Quand je prenais mes cours de théâtre, je croyais que j’étais Robert De Niro, et tout le monde s’emmerdait ! Aujourd’hui, je ne crois pas qu’un acteur compose : il y a une nature. Même De Niro, regardez : au-delà de la coiffure, du maquillage, il a toujours joué la même chose !
Propos recueillis par Ariane Allard