L’Ombre des femmes

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Sorte de vaudeville compassé et apathique.

Il faut bien le dire l’œuvre de Philippe Garrel a une audience confidentielle même si le réalisateur peut compter sur un noyau dur de fans – en France et même à l’étranger – qui constituent pour lui un public, certes restreint, mais fidèle et fermement convaincu du talent et de l’élégance de son œuvre. Pour un pur novice du travail du cinéaste, tout cela n’aura rien d’évident. Pour preuve, le visionnage de L’Ombre des femmes – son vingt-cinquième et dernier long métrage, présenté à Cannes en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs -, est une étrange expérience de cinéma. Ce trouble, que l’on pressent dès le début, et qui se confirme après quelques scènes seulement,  vient de ce que nous ressentons les influences, presque de manière trop lourde, trop appuyée, d’Eric Rohmer et de François Truffaut. Garrel n’a jamais d’ailleurs caché avoir été très inspiré par ces deux maîtres, avouant, par exemple, que son film préféré de Rohmer est Ma nuit chez Maud (1969) (1), auquel du reste, nous ne pouvons nous empêcher de penser tant le noir et blanc superbe de L’Ombre des femmes et sa voix off, nous y replongent instantanément. On se dit que la ficelle est trop grosse, qu’on assiste ni plus ni moins qu’à une pâle imitation. Il faudra donc, pour découvrir l’éventuel style propre de l’auteur, fouiller un peu sa filmographie.

La longue carrière de Philippe Garrel a commencé dans les années 60 avant de connaître une époque charnière dans les années 80 – où le réalisateur passe, disons, d’un cinéma expérimental et poétique à un cinéma narratif. Elle est allée à un rythme régulier jusqu’à aujourd’hui. Philippe Garrel a donc du mérite, de la persévérance et l’amour de son art, c’est certain. Pourtant, en dépit de l’authenticité de son auteur, d’une virtuosité certaine dans la mise en scène et d’une mise en danger permanente (Garrel affirme ne tourner toujours qu’une seule prise), de sa belle photographie et du charme de la fluidité un peu surannée de son récit, L’Ombre des femmes est un film décevant.

Dans ce film nous assistons à une histoire sur le thème éternel de l’infidélité du couple, l’histoire de Pierre (Stanislas Merhar) et Manon (Clotilde Courau), jeune couple fauché d’artistes parisiens. Pierre trompe Manon avec Elisabeth et Manon a un amant. Dont acte : question pitch, rien d’anormal, tout est on ne peut plus banal, vu et revu. Mais ça n’a jamais été, que l’on sache, le sujet d’un film sur le papier, qu’en bien même fut-il d’une banalité confondante, qui fait sa teneur, sa puissance et son intérêt ! Il y a même, et il y aura toujours, des chefs d’œuvres sur le cocufiage et l’amour trompé. Mais ici, il n’y a pas vraiment de chair, contrairement à ce que laisserait supposer les aventures de Manon et Pierre. L’Ombre des femmes est un film désincarné au double sens du terme : d’abord parce que l’on ne perçoit pas la chair, la passion amoureuse (ou ne serait-ce que ses odeurs, ses effluves), censés être les thèmes cardinaux du métrage, et aussi parce que les acteurs nous laissent sur le carreau, automates passifs et réciteurs qu’ils sont d’un texte qui ne semble pas les concerner plus que ça. A l’instar d’un Stanislas Merhar traversant ce bref film (1h13) comme un caillou avec des airs poseurs, nonchalants et maniérés. De temps à autre, en la personne du jeune premier, nous croyons voir Jacques Dutronc. Mais ce n’est qu’une image furtive, Merhar étant bien loin d’atteindre, sur la distance, la géniale nonchalance de son aîné. Seule, à vrai dire, Lena Paugam (Elisabeth), tire son épingle du jeu, délivrant une partition plus authentique que ses camarades. Le badinage du quatuor d’acteurs se passe donc loin de nous, tellement loin que nous en sommes exclus. L’intrigue est simple, ce qui n’est pas un défaut en soi, mais ici l’on ne ressent aucune émotion. C’est une histoire qui se regarde comme on tourne les pages d’un roman photo – très bien rythmée certes, mais sans aucun soubresauts, plate et finalement ennuyeuse.

En fait, Philippe Garrel ne parvient tout simplement pas à nous intéresser à ce qu’il filme. Pourtant, il sait filmer, n’en doutons pas. Mais L’Ombre des femmes ressemble à une pièce de boulevard (à cause de son sujet et de ses cadres statiques). Mais c’est une pièce où les portes ne claquent pas, l’humeur est tristounette et les acteurs sont poseurs et mornes. Dans un article récent sur La Jalousie (2013), le précédent opus de Philippe Garrel, très comparable à L’Ombre des femmes, notre confrère Antoine Benderitter résume bien la sensation de flottement, voire d’atrophie, que donne le film : « L’attention du spectateur est captée le temps d’une séquence (…) mais la suivante semble rabattre les cartes, et insensiblement le film se disperse, se dilue dramatiquement. »

(1) Dans une interview aux Inrockuptibles, 21 décembre 2013

 

Titre original : L'Ombre des femmes

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Durée : 73 mn


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