L’Insoumise

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La « South Belle » prend les traits de Bette Davis dans cette belle odyssée romanesque.

Un film racontant les amours tumultueuses d’une jeune fille capricieuse et arrogante issue de l’aristocratie sudiste de l’avant-guerre de Sécession, cela rappelle forcément quelque chose… Adapté de la pièce de théâtre éponyme (1933) de Owen Davis, Jezebel est effectivement pour la Warner l’occasion de surfer sur le phénomène pour l’instant encore littéraire suscité par Autant en emporte le vent (Margaret Mitchell, 1936). C’est également pour Bette Davis l’occasion d’incarner « sa » Scarlett puisqu’elle fera partie des candidates éconduites par un David O. Selznick désireux d’installer une actrice peu connue dans le rôle – pour le plus grand bonheur de Vivien Leigh. Si la comparaison entre Jezebel et Autant en emporte le vent est inévitable et qu’ils entretiennent, sorti de l’argument romanesque, de nombreux points communs thématiques (tout le passage de flambeau entre la tradition du vieux Sud et les mutations à venir qui entraîneront la guerre de Sécession), ce sont deux œuvres bien différentes. Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939) est un film total, baroque, outrancier et démesuré à tout point de vue, quand le film de Wyler est plus ouvertement sobre et intimiste – il est en quelque sorte ce que sera La Furie du désir (King Vidor, 1952) à Duel au soleil (King Vidor, 1946), pour citer une autre production jumelle d’O. Selznick.
 On reconnaît la subtilité de Wyler, qui éclaire d’un jour positif comme négatif les comportements de ses personnages. Julie/Bette Davis fait ainsi figure de rebelle dans ce Sud engoncé dans la tradition, alors que son acte le plus osé, mettre une robe rouge à un bal alors que le blanc est de mise pour les jeunes filles, est dicté par une vanité qui lui fera perdre son fiancé. Ce dernier, Preston, incarné par Henry Fonda, est un homme du futur, conscient des changements à venir et souhaitant moderniser le visage de son pays. Cela ne l’empêchera pas d’avoir une attitude masculine rétrograde (l’entrevue où il emmène une canne pour corriger Julie même si on sait bien qu’il ne s’en servira pas) lorsque sa fiancée lui fera part de ses velléités d’indépendance. Toute la dimension politique du sujet n’est d’ailleurs pas appuyée par Wyler (la censure des salles du Sud coupant sans vergogne ce qui leur déplaisait dans les films évoquant leur État), qui l’exprime constamment à travers ses personnages, des situations faussement anodines (Preston qui propose un verre au domestique noir Oncle Cato, ce dernier refusant gentiment pour ne pas froisser l’assistance) ou des idées visuelles fabuleuses (la salle de bal qui isole Julie et sa robe rouge, la laissant danser seule avec Preston). Ainsi les rivaux amoureux que sont Preston et Buck (George Brent) représentent également deux courants du Sud : ségrégationniste et refermé sur lui-même pour Buck, ouvert sur l’avenir et aux nouveaux courants d’idées pour Preston (qui durant un dialogue cite Voltaire à Buck, qui n’y comprendra rien). Pourtant, à nouveau point de manichéisme lorsque l’on voit la réaction bien plus intelligente de Buck lors de l’épisode de la robe, ce dernier semblant également bien conscient d’être manipulé par Julie afin d’attiser la jalousie de Preston.

Bette Davis est époustouflante comme toujours, passant de la candeur la plus sincère à un cruel égoïsme. Manifestant son amour par une volonté de domination et de soumission de l’autre, elle apprendra, après bien des déconvenues, à l’exprimer d’une manière désintéressée lors d’un touchant final sacrificiel. Narrativement, Wyler s’appuie sur la photographie d’Ernest Haller, dont l’éclairage immaculé idéalise cette société sudiste avant que des nuances plus sombres viennent imperceptiblement montrer les travers de ce monde et de ses personnages (Bette Davis passant, lors des gros plans, de la fraîcheur juvénile à une aura presque maléfique). Les décors de demeures luxueuses et imposantes glissent peu à peu vers les chambres sombres, les marécages menaçant tandis que l’opulence de la Nouvelle-Orléans (ce travelling d’ouverture sur le marché foisonnant) laisse place à une ville nocturne inquiétante rongée par la fièvre jaune. La reconstitution est splendide – même si on atteindra encore une autre dimension dans la magnificence avec Autant en emporte le vent, qui sortira l’année suivante – et le récit surprend par sa noirceur et la manière étonnante avec laquelle il esquive la tentation de la grandiloquence avec cette conclusion où l’héroïne atteint, au milieu du chaos, une forme de sérénité. Un superbe film qui vaudra à Bette Davis son second Oscar.

Titre original : Jezebel

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Durée : 101 mn


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