Like Someone in Love

Article écrit par

Kiarostami filme l´amour enfoui et des taxis dans la nuit.

Ça commence dans un bar chic du centre de Tokyo. Banquettes en cuir, ambiance lounge, musique jazzy en fond sonore, jeunes gens jolis. Et Akiko, vingt ans et quelques, qui navigue entre deux tables, discute avec une copine, s’engueule au téléphone avec son mec à qui elle fait croire qu’elle est ailleurs. Akiko se prostitue à l’occasion pour arrondir ses fins de mois d’étudiante. Ce soir-là, elle n’a pas envie, son patron la convainc finalement de se rendre chez un client « important ». Tout cela prend une bonne vingtaine de minutes, et c’est l’exact opposé d’ennuyeux : c’est juste ce qu’il faut à Abbas Kiarostami pour installer son Like Someone in Love, beau film ouaté et ensommeillé, suite pas illogique dans l’oeuvre de l’Iranien à Copie conforme (2010), qui s’amusait déjà des jeux de miroirs et des faux-semblants.

C’est donc au Japon qu’après l’Italie, Kiarostami a installé son dernier film, le deuxième à être tourné hors de l’Iran. Pourquoi le Japon ?, lui demanda Marin Karmitz, son producteur. « Eh bien parce que si je tourne au Japon on ne me dira pas que j’ai fait un film occidental. » De fait, Like Someone in Love a bien le caractère exotique des films asiatiques, douceur apparente et élégance discrète. C’est un film qui avance par touches successives, parfois quasi impressionnistes, où ce qui se joue – presque rien – peint en creux le quotidien de personnes ensemble mais seules. Akiko d’une part, que les autres personnages croient reconnaître partout sauf là où elle est vraiment (une photo de petite annonce de call-girl) ; son client, un vieillard sympa mais frustré qui aimerait bien dîner avant de passer au lit (il a payé pour la nuit) ; et l’amoureux jaloux maladif d’Akiko, qui n’aime que l’inquiétude de savoir qu’il pourrait la perdre.

 

Tous trois semblent jouer le jeu de l’amour, en ratant le coche à chaque fois. Parce qu’Akiko a une double vie, elle ne peut plus gérer son copain, trop occupé à la soupçonner. Parce qu’elle est prostituée, elle peut offrir son corps, pas son affection. Encore moins son temps quand l’attend sa grand-mère toute une journée durant devant la gare centrale de Tokyo, elle qui a fait le déplacement sur 12h pour voir sa petite-fille. Il y a beaucoup d’intérieurs de voitures dans Like Someone in Love, comme à l’habitude de Kiarostami. Ces espaces ni tout à fait publics ni tout à fait privés où l’on peut converser, penser, s’endormir. On s’endort beaucoup ici, parce que la nuit n’en finit pas mais que la nuit a été courte. On somnole à l’arrière des taxis qui emmènent en banlieue de Tokyo où, une fois arrivée, Akiko préférera dormir. On s’assoupit le lendemain matin quand, au volant de son véhicule, le feu reste un peu trop longtemps au rouge.

C’est cette langueur que filme Kiarostami tout au long de Like Someone in Love, en même temps qu’un manque de communication qui n’a rien de l’étude sociologique, même si sa caméra révèle bien, au fur et à mesure, quelque chose de ses personnages qui relèverait de l’universel. Rien de grave ici cependant, où l’amer est doux, où l’ennui est le prétexte à l’humour. Tout y est affaire de reflets : ceux de la ville et des passants dans les vitres des voitures, ceux de l’image que les personnages se renvoient les uns aux autres, des miroirs qu’ils se tendent réciproquement, donnant un peu à voir d’eux-mêmes, offrant aux autres la possibilité de s’y reconnaître. La mise en scène est à l’avenant, glissement progressif d’un état à un autre, sorte de copie améliorée de la vie où l’instant d’après est incertain. Like Someone in Love est un film-cocon, un film où l’on est bien, celui d’un cinéaste qui, chez lui comme ailleurs, sait toujours aussi bien prendre le temps de raconter son histoire. On aurait pourtant tort de croire qu’il donne dans la stase : en un plan final brillant, il éclate littéralement le récit, termine sur une image arrêtée qui sort de la torpeur dans laquelle on s’était si délicieusement installée et fait que, de la suite, on ne pourra qu’augurer.
 

Titre original : Like Someone in Love

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Durée : 109 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…