Les Prières de Delphine

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Résilience d’existence.

Le dernier long métrage documentaire de la cinéaste camerounaise (vivant désormais en Belgique) Rosine Mbakam, documentariste bien connue pour mettre en lumière les expériences des femmes migrantes africaines, est une longue interview de Delphine, une compatriote camerounaise de 30 ans immigrée en Belgique avec une histoire de vie captivante mais poignante. Tout en regardant souvent directement la caméra, Delphine explique qu’elle n’a pas toujours voulu parler de son passé, d’où elle vient et ce qu’elle a vécu, mais qu’elle a réalisé à quel point il pouvait être important de se confier à ce sujet, en particulier pour donner aux gens une perspective indispensable voire plus ouverte, sereine, sur leur propre vie et leurs expériences.

Les Prières de Delphine agissent essentiellement comme les mémoires oraux de Delphine (elle y fait même référence dans l’interview comme son « journal »), un récit d’une vie vécue, bonne et mauvaise.

Les nombreux combats traumatisants de Delphine incluent la mort de sa mère quand elle avait cinq ans, une enfance marquée par la faim et la pauvreté, voyant ses sœurs et elles obligées de se prostituer auprès d’hommes beaucoup plus âgés pour avoir assez d’argent pour se nourrir. Elle s’est également occupée de l’enfant de sa sœur qui souffrit un temps du paludisme, raison pour laquelle Delphine fut de nouveau contrainte de se vendre pour payer l’hospitalisation de sa nièce, mais l’argent vint tardivement.  « Tante De, tout ira bien maintenant », furent les derniers mots d’Yvette, sa nièce de 6 ans, avant de s’éteindre. Delphine raconte ensuite une dispute brutale avec ses sœurs à propos de cette tragédie familiale et comment elle a fini par épouser un Belge et déménager pour échapper à sa vie au Cameroun, après avoir connu une relation familiale complexe avec son père, l’homme dont le style de vie et l’insensibilité rendirent sa jeunesse déjà difficile. Delphine a été violée alors qu’elle était préadolescente par un garçon du coin alors qu’elle revenait de voir sa sœur à l’hôpital, et son père l’a blâmée et humiliée pour cela lorsqu’elle a décidé de se confier à lui (en repensant à cette période de sa vie, Delphine demande incrédule : « C’est à mon père que je parle ? »). C’est le seul moment dans le documentaire où Delphine semble s’arrêter et changer de sujet, et lorsque Mbakam tente d’aller au cœur de leurs problèmes, elle répond : ; « Il vivait comme un homme sans enfants… Je ne peux pas me forcer à le détester ».

 

Il y a  entretemps des plans  de coupe sur la météo dehors, des photos de famille, Delphine se maquillant ou se levant pour répondre à la porte. Force est de constater que Delphine dicte les pauses des entretiens, contrôlant en quelque sorte le rythme de sa propre histoire. Ces moments banals nous offrent une pause bien méritée car il serait bien trop intense et pénible non seulement pour Delphine mais pour chacun d’entre nous de vivre cela d’un seul tenant.

 

Elle ouvre la deuxième séance d’entretien en riant : « Passons aux choses sérieuses ». Elle évoque la difficulté d’obtenir un visa pour voyager en Belgique, même mariée à un Bruxellois blanc. Au cours de son entretien, on lui demande de s’engager à rester et à travailler dans le pays et à ne pas vouloir revenir si les choses ne fonctionnent pas. Elle répond avec perplexité au responsable de l’ambassade de Belgique au Cameroun : « Si vous quittez la pauvreté et allez vers la richesse, vous y restez ». Sa candidature ayant été dûment rejetée, elle a souligné sa grossesse lors de son deuxième entretien et a finalement réussi à se rendre en Belgique avec son nouveau mari.

Son mariage n’était pas un mariage d’amour, mais un sacrifice pour la qualité de vie que pouvaient avoir ses enfants. L’homme qu’elle aimait, un Français rencontré au Cameroun qui a traversé les eaux de crue et est resté dans la cabane de son père pour être avec elle, est revenu après quatre ans pour découvrir qu’elle était déjà mariée et enceinte de l’homme avec qui elle était sur le point de commencer sa nouvelle vie avec son mari invisible qui apparaît comme un homme condescendant et dominateur d’après ce que nous raconte Delphine : « Pourquoi veut-il que j’abandonne ma culture et que je rejoigne la sienne ?  » On ne peut pas simplement effacer des années d’expérience personnelle. Delphine raconte cette liaison inaboutie avec l’homme aimé véritablement en réfléchissant à quel point sa vie aurait été différente si elle avait attendu cet homme.

La dernière partie du film est construite autour d’une longue scène dans laquelle Delphine lance un appel déchirant à Dieu pour le travail et la sécurité pour elle et ses enfants. Au bout d’un moment, la caméra de Mbakam semble s’éloigner et donner à Delphine son espace lorsqu’elle est la plus vulnérable émotionnellement et spirituellement. « Mon Dieu, je ne suis pas mauvaise, je t’en supplie », plaide-t-elle « Si j’avais su, je n’aurais pas fait ces choix ». Cette scène se déroule pendant que la caméra plane sur Delphine, des fenêtres, des objets, le mur. Ensuite, la porte d’entrée s’ouvre. Nous entendons des voix d’enfants et une voix masculine (vraisemblablement son mari). Delphine se calme rapidement, essuie ses larmes et se ressaisit comme si de rien n’était.

Rosine Mbakam, que l’on voit dans la séquence finale du documentaire, n’a rencontré Delphine que par hasard, car même si elles ont le même âge, elles appartiennent chacune à une classe sociale complètement différente au Cameroun et ne se seraient donc jamais croisées si elles y étaient restées. En tant qu’expatriées en Belgique, elles étaient tous deux considérées comme différentes des Européens d’origine et partageaient donc une identité culturelle commune dans un pays étranger, même si leurs expériences vécues demeuraient opposées. Les Prières de Delphine reste un récit captivant et vital d’une vie difficile, maintenu par la mise en scène simple et sensible de Mbakam et le charisme de sa protagoniste, d’une honnêteté désarmante et à parts égales de force et de vulnérabilité.

Documentaire sans fard, témoignage résilient et combatif, Les Prières de Delphine constituent un film qui éveille, voire réveille nos consciences face aux existences douloureuses, intenses, mais dignes.

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Durée : 91 mn


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