Les Frères Sisters

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Frères brûlés.

« Un jour, il y a une vingtaine d’années de cela, Jean-François me dit : « Tu sais, ce que j’espère, c’est que, si ton nom apparaît dans un dictionnaire, j’y sois mentionné aussi comme frère du précédent. Cela me fit sourire à l’époque, cela m’émeut profondément aujourd’hui. » Jean-Bertrand Pontalis, Frère du précédent (2006)

Ce premier film en anglais de Jacques Audiard, réunissant un casting américain et s’inscrivant dans un genre, le western, intrinsèquement lié aux Etats-Unis, ne se dépare pas, au premier abord, de l’abrasivité qui caractérise l’ensemble de ses œuvres. Sa précédente, Dheepan (2015), était d’ailleurs très problématique de ce point de vue, dans la représentation spectaculaire qu’elle proposait d’un réel « explosif ». Les Frères Sisters apparaît comme un chemin moins risqué dans cette semence de violence, tant le western y trouve ses plus essentiels ressorts, jusque dans son imaginaire. Le long métrage s’ouvre donc sur une nuit de suie, dans l’Etat de l’Oregon en pleine ruée vers l’or. Les frères Sisters, Charlie (Joaquin Phoenix) et Eli (John C.Reilly), chasseurs de primes intraitables, déclenchent un incendie qui brûle tout sur son passage, après une salve de balles qui se perdent dans l’obscurité. Ce départ tout feu tout flamme dans la tuerie, va pourtant se consumer progressivement. Une carte bien plus confidentielle se déplie, celle du lien fusionnel entre les deux frères, véritable sédiment du film, et de la filiation à laquelle ils tentent d’échapper dans un monde qui les brûle.

 

 

Union en chiasme

Payés par Le Commodore pour traquer Hermann Kermit Warm (Riz Ahmed), un immigré inventeur d’une formule chimique qui doit faire émerger de l’or gisant au fond des eaux, ils cherchent à retrouver Morris (Jake Gyllenhaal), détective chargé de retenir Hermann en attendant que les deux frères le tuent (ce qui réunit une deuxième fois à l’écran le duo Riz Ahmed et Jake Gyllenhaal après Night Call – Dan Gilroy, 2014). Deux paires d’hommes, deux frères, au lien redoublé par leur nom de famille (les « frères sœurs »), tel est l’équation en chiasme hautement fraternelle que pose Jacques Audiard. C’est cette forme de conjugalité qu’il développe qui constitue le véritable réacteur du film. Le western classique s’éloigne, le long métrage se dégage de la monumentalité (et pour cause, il a été tourné en Europe) du genre, resserrant les plans sur des paysages arides et montagneux qui seraient privés de démesure dans des captures d’ensemble. Ce qui a pu répondre à une contrainte de production devient à l’écran une composante singulière d’un western atypique, concentré sur ses personnages plutôt que sur son territoire et ses motifs. Un encerclement qui resserre naturellement l’étau dramatique autour de la personnalité des quatre hommes. La rudesse portée en étendard par les deux frères est ébranlée par une fragilité brouillonne : l’alcoolisme de Charlie et la recherche d’affection maladroite d’Eli (à travers un bandeau rouge offert par une femme qu’il conserve précieusement ou l’attachement qu’il porte à son cheval boiteux). Tandis que pour l’association entre Morris et Hermann, l’avenir se dessine dans le souhait d’un enrichissement par le talent de chimiste qui puisse permettre l’instauration d’une société de paix.

 

 

Brûlure et statue du Commandeur

Cette ruée vers l’Or de l’époque, où l’appât du gain mobilise entièrement les quatre hommes finit par s’éloigner du récit et bientôt c’est Le Commodore (statue du Commandeur symbolique) que veulent faire tomber Charlie et Eli, gagnés peu à peu, dans une bascule amenée de façon un peu trouée dans le film, par la vision d’avenir de leurs deux camarades. Une bifurcation stoppée nette par le sinistre que le réalisateur fait vivre, à son habitude, à ses personnages, leur laissant comme seule revanche la possibilité de tuer leur père tyrannique, une deuxième fois. Au-delà de la manière esthétique parfois corsetée du film, ce sont les portraits des quatre hommes, avec leurs teintes particulières et leurs bémols, la complémentarité de ces quatre acteurs habités qui donnent sa densité au film. Adepte d’une forme aux touches sensationnelles, c’est pourtant bien dans les détails et les failles (la découverte de la brosse à dents, une formule chimique qui « tombe à l’eau ») les moins visibles, éloignées de leurs saillies de violence, que son cinéma trouve à s’incarner le plus.

 

Titre original : The Sisters brothers

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Durée : 109 mn


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