Les Fleurs Bleues

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Ce film posthume d’Andrzej Wajda est un biopic mélancolique et pessimiste sur l’avenir de l’art.

Titre original : Afterimage. Soit la persistance d’une image dans la vision après son exposition.Titre français : Les Fleurs bleues. Ces fleurs sont celles, teintes au préalable, que Strzemiński apporte sur la tombe de sa femme Katarzina Kobro, artiste et figure majeure de l’avant-garde polonais du XXè siècle. Le titre français désigne alors Strzemiński comme une figure romantique, traversée par le deuil et l’agonie durant les quatre dernières années de sa vie. Mais peut-être aussi comme le dernier geste sensible d’un artiste, forcé par la suite à travailler dans un atelier de reproductions d’affiches de propagande, se laissant gagner par l’aigreur et la rancune au fur et à mesure du film.

Une autre idée de l’Art
Figure incontournable de l’avant-garde polonaise de la première moitié du vingtième siècle, Władysław Strzemiński est également un passeur important pour la jeunesse. Co-fondateur de l’école des Beaux-Arts de Łódź – où Wajda a lui-même étudié – Strzemiński est également un enseignant respecté et aimé de ses étudiants. Mais le régime communiste entre dans une phase de durcissement en Pologne et le gouvernement censure les artistes dont les idées ne sont pas en accord avec l’idéologie du Parti. Dorénavant, l’Art a une fonction uniquement utilitariste, et l’esthétique n’a plus de rôle émancipateur. Après les séquences de destructions des réalisations de ses étudiants et le démantèlement de l’espace consacré à ses oeuvres et à celles de Kobro, Strzemiński se voit progressivement évincé des cercles d’art de la ville pour simple perte ou oubli de cartes justifiant de son identité. Le film, dans ses tonalités gris béton, ne retrouvera pas les vastes étendues vertes du début, ni même le soleil éclatant qui brille au dessus de Władysław Strzemiński quand il fait cours à ses étudiants. Un monde se ferme et se clôt avec la mort de l’artiste, dans l’indifférence générale.

Le rouge et le gris
Si le gris domine, il n’en supporte pas moins la couleur rouge. Très belle séquence que celle du lâcher de l’immense bannière à l’effigie de Staline (à tel point que l’expression Petit Père des peuple retrouve ici une certaine ironie), qui nimbe de rouge l’appartement, empêchant Strzemiński de commencer son tableau. Le Parti gagne du terrain jusque dans son appartement, qui devient pourtant un lieu de résistance. C’est ici que les étudiants, après l’éviction de leur professeur, viennent trouver conseil, pardon, et recueillir son enseignement pour le publier clandestinement. L’appartement se vide petit à petit de ses travaux, de sa nourriture.
 

N’ayant plus de liens avec son ex-femme,  Strzemiński peut encore compter sur sa fille qui cherche à maintenir sa relation avec lui. Prévenante et attentive, le regard qu’il porte sur elle est plutôt ambivalent. Ne montrant pas beaucoup d’affinités avec l’art, elle est surtout préocupée par ses bons résultats scolaires. Son manteau rouge est comme une étape supplémentaire dans l’intrusion du Parti dans la vie privée du peintre: elle apprend, au détour d’une séquence, un hymne au Parti sous les yeux de son père. Après la mort de sa mère, elle viendra se réfugier chez lui ; puis, après, une dispute, quittera la maison, sans que son père ne la retienne. Strzemiński est tiraillé : la laisser s’émanciper ou essayer de l’influencer. Après tout, ça n’est qu’une enfant.
 

Résistance et répression
C’est dans son portrait de Strzemiński que le film est le plus intéressant, car sa facture classique ne cherche jamais à rejoindre la pratique artistique de son personnage et confine le film dans un biopic plutôt sage dans son déroulement. Wajda s’attache davantage à montrer les contradictions de Strzemiński, tandis qu’il inspire l’exaltation et le courage aux jeunes générations. Dans Génération (1955), le premier film de Wajda, un jeune s’engageait dans la Résistance par amour pour l’une de ses membres. Dans sa première trilogie (Génération; Kanal [1956]; Cendres et diamants [1958]), l’engagement révolutionnaire est lui-même pris dans un élan romantique, qui peut autant le motiver que le court-circuiter. Les Fleurs bleues se place du côté de celui qui inspire cet engagement et parle de la difficulté d’assumer ce rôle: Hannah, une de ses étudiantes tombe amoureuse de lui. A certains moments, difficile de ne pas penser que le vieux peintre, pas dupe, ne profite pas un temps de cette situation pour se sentir moins seul et parce que quelqu’un porte de l’intérêt à son travail. A cette époque, tout peut être acte de résistance, comme le vol d’une machine à écrire pour taper le manuscrit des réflexions théoriques de Strzemiński par exemple. Sa génération, gagnée par l’abandon général de tout esprit de lutte, laisse la jeunesse se débattre avec une société de plus en plus réppréssive. Quant à Strzemiński, il trouvera la mort dans l’indifférence générale, dans une vitrine remplie de mannequins. Echec de l’esthétique face à la politique. Afterimage: persistance dans la rétine de la résistance d’un artiste face à l’idéologie dominante. Wajda, Strzemiński, éternels contemporains.

Titre original : Les Fleurs bleues

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Durée : 108 mn


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