Après Monsieur Verdoux, Chaplin livre avec Les Feux de la rampe son neuvième et antépénultième long métrage. Il s’agit également de la dernière œuvre américaine du cinéaste qui, contraint par la « Chasse aux sorcières », finira sa carrière et sa vie en Europe.
Les Feux de la rampe, tout comme son précédent film, fut boudé par le public américain, tandis que l’Europe lui réservera un accueil chaleureux. Pourtant, si l’on peut comprendre l’échec public de Monsieur Verdoux (peut-être le long-métrage le plus faible du cinéaste), qui montra un Chaplin sous un nouveau jour, aigri, désabusé, virulent, dénonçant ouvertement à grands coups de tirages pseudo philosophiques, les critiques qui se sont abattues sur Les Feux de la rampe sont un peu plus difficiles à concevoir, relevant presque d’une mise à mort médiatique. Aux Etats-Unis, les vedettes un temps idolâtrées peuvent être conspuées du jour au lendemain ou presque. La gloire est éphémère, et les feux de la rampe, justement, ne sont qu’illusions. Constat d’autant plus ironique qu’il fait partie des thèmes de l’œuvre de Chaplin.
Le ton des Les Feux de la rampe est complètement différent de celui de Monsieur Verdoux. Chaplin revient à ce qu’il sait faire de mieux : raconter une histoire simple et émouvante, traversée de moments de poésie et de grâce ultimes. Il s’agit de Calvero, un ancien clown ayant connu son heure de gloire mais aujourd’hui oublié de tous. Un jour, il sauve une jeune femme du suicide, une danseuse qui a perdu l’usage de ses jambes. Calvero, en l’aidant à reprendre goût et espoir en la vie, redonne un nouveau sens à la sienne. Il en tombe profondément amoureux.
Comme dans The Kid, son merveilleux premier long métrage, Chaplin a mis beaucoup de lui-même dans Les Feux de la rampe. Ainsi, le personnage de la danseuse Terry s’inspire de sa mère. Mais surtout, comment ne pas voir en Calvero une mise en abîme de son propre parcours ? Plus qu’un chef-d’œuvre, Les Feux de la rampe constitue une œuvre testament, avant même Un Roi à New York (vision désenchantée du rêve américain) et La Comtesse de Hong Kong. Comme le dit si bien David Robinson, le biographe officiel de Chaplin, on aurait tant aimé que Les Feux de la rampe soit le dernier son dernier film, car on ne pouvait rêver de meilleure conclusion à sa formidable carrière.
Car après le discours du petit barbier juif à la fin du Dictateur, qui résumait toute l’humanité du cinéma de Chaplin, le cinéaste évite dans Les Feux de la rampe une critique trop ouverte (et finalement un peu naïve) de la société pour revenir aux thèmes qu’il affectionne : la solitude de l’artiste, l’ambiguïté des sentiments, la dualité des êtres, la nécessité de se battre car la vie, même si elle peut se montrer cruelle, mérite d’être vécue. Bref il y a là tout ce qui rend le cinéma de Chaplin intemporel et immortel.
Le film débute avec ce carton : « L’éclat des feux de la rampe, que doit quitter la vieillesse quand la jeunesse entre en scène…. ». La dernière séquence lui résonne en écho. Calvero, revenu sous les feux de la rampe pour un dernier tour de piste, s’éteint paisiblement en coulisse tandis que la caméra, dans un mouvement continu, suit Terry en train de danser. Ce n’est pas simplement Calvero qui meurt, c’est aussi Chaplin qui tire sa révérence, nous quittant sur cette majestueuse séquence pour rejoindre l’éternité.