Les Complices de la dernière chance (The Last Run, 1971)

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Un film de George C. Scott.

Sans doute réalisé par Richard Fleischer, The Last Run fut avant tout un projet porté par sa tête d’affiche, George C. Scott, le génial général psychopathe de Docteur Folamour (Stanley Kubrick, 1964). Éjectant John Huston du poste de réalisateur, troquant l’actrice Tina Aumont pour Trish Van Devere, sa future femme, George C. Scott prit les rennes du film avec la prétention du vieux briscard, embué d’un goût naturel pour le roman noir. Nous pouvons aisément imaginer George C. Scott séduit par l’idée d’endosser le costume d’Harry Garmes, chauffeur expert pour mafieux véreux.

Quand The Last Run démarre, Harry a déjà raccroché. Poussé vers la retraite par un passé glauque, un fils décédé et une femme disparue, Harry s’est enfermé dans un petit village portuaire au fin fond du Portugal. Quand la pègre le rappelle, lui propose du boulot, il décroche, puis accepte. Harry devra guider par-delà les frontières portugaises un jeune voyou insupportable (Tony Musante), accompagné de sa petite amie (Trish Van Devere).

Un homme peu bavard au passé trouble, claquemuré au fond d’un garage, une pègre fantôme jaillissant des années 1930, pas de doute, nous sommes en territoire film noir. Explorer The Last Run, c’est revisiter une portion du cinéma classique hollywoodien, où tous ses badass patibulaires savaient affronter l’adversité l’œil mélancolique et la mine boudeuse. Nous pourrions qualifier tout cela, de la part d’un film de 1971, de scories surannées, mais George C. Scott, conscient de sa pose anachronique, arbore les couleurs de la testostérone tout en infligeant un douloureux doigt d’honneur à tous ses potentiels détracteurs.

Toujours le fouet à la main, George C. Scott ordonne, Richard Fleischer obéit. Ignorant les premiers effets de la toute nouvelle garde hollywoodienne (Coppola, Scorsese and co), George C. Scott (et Richard Fleischer), traditionnels, conservent du vieil Hollywood efficacité narrative, montage limpide et plombage sonore redoublant l’image. Ce décorum pourrait ressembler à un sketch (deux papys, deux déambulateurs, une cause perdue) s’il n’y avait pas Harry Garmes, personnage solide, homme bolide, créature mythologique, bétonnant un réseau de routes participant de la cohésion du film.

 
 

 
Harry est en constante symbiose avec son véhicule. Pas de rapport amoureux entre eux deux, plutôt un rapport organique, curieux et passionnant. Ses mains fondent dans son volant, ses roues sont ses pieds et son regard ses phares. Harry est l’individu mécanisé, roulant loin des souvenirs douloureux du Harry du passé. Cette fuite des souffrances cristallise en nous une empathie pour cet homme cabossé. Et si The Last Run fonctionne si bien, malgré son statut d’outsider, c’est grâce à la force centrifuge de son personnage principal, ce dernier rappellant à l’ordre chaque élément du film, dans une spirale définitivement labellisée Harry Garmes.

Les paysages entourant Harry, désert, montagnes, villages encastrés dans les hauteurs, pourraient appartenir au Portugal, à l’Espagne, qu’importe. Ils n’incarnent aucun pays, aucune nation, ne sont qu’asphalte vrombissante, outils d’une narration ramenée à Harry et son bolide. Ces lignes de béton tracent d’infinis parcours, sculptées par le film, enfonçant leurs courbes vers Ben Hur et ses chars, la faible force de The Last Run résidant dans cet enracinement mythique, beau et risible à la fois.

The Last Run divise. En faire l’éloge reviendrait à occulter ses séquences d’amour kitsch, greffées sur sa trame comme autant de caprices de star. Mais l’effacer d’un filmothèque grandement fournie serait injuste. Son charme de vieillerie bigarrée, dégotée sur un stand de marché aux puces, le préserve de l’oubli. Merci qui ? Merci Georges C. Scott ?

Titre original : The Last Run

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Durée : 95 mn


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