L’enfant du paradis

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Film exigeant sur le monde du cinéma et le métier d’acteur.

Le style Kechiche

Après Hafsia Herzi, découverte par Abdellatif Kechiche puis devenue à son tour réalisatrice de talent (Tu mérites un amour et Bonne mère), voici venu le tour de Salim Kechiouche de passer derrière la caméra après un court-métrage en 2019, Nos gènes, remarqué au festival d’Angoulême. Il avait certes été engagé par Gaël Morel (« ce frère de cinéma ») à la suite d’un casting sauvage alors qu’il n’a que quinze ans pour A toute vitesse et trois autres ensuite. Suivront Les amants criminels en 1998, Ce que le jour doit à la nuit d’Alexandre Arcady en 2012 et, enfin, La vie d’Adèle en 2013 et Mektoub my love en 2017 d’Abdellatif Kechiche. Parallèlement, champion de France de kick boxing en 1998 et vice- champion de muay thaï en 1999 et 2002, le vrai rêve depuis l’enfance de Salim Kechiouche est la réalisation et c’est chose faite grâce à l’influence d’Abdellatif Kechiche en qui il reconnaît un maître : « Je ne peux pas le cacher, déclare-t-il dans le dossier de presse du film, j’ai beaucoup appris d’Abdellatif Kechiche, pour qui j’ai le plus grand respect. Il m’a transmis, non pas une méthode, mais une manière d’aborder le jeu un peu à la manière de Cassavetes. »

Entre méta-film et film-confidence

D’où sans doute cette approche au plus près des visages dans son premier film, dont la lumière et la photo de Jérémie Attard magnifient bien sûr ces personnages un peu perdus dans le monde du cinéma, notamment la beauté solaire de Salim Kechiouche qui, à 44 ans, s’installe dans la peau de Yazid, le personnage principal de son film qui est confronté à ses souvenirs d’Algérie et à ses démons familiers comme la drogue et l’alcool. Travaillant avec des actrices et acteurs qu’il dit aimer aussi dans la vie, comme Nora Arnezeder, Zinedine Soualem, Naidra Ayadi, Pascale Arbillot et Hassane Alili, on peut dire que, pour son premier long-métrage, Salim Kechiouche a mis la barre très haut et on pourrait presque affirmer qu’il nous livre déjà une réflexion, à la manière de Federico Fellini (Huit et demi) ou François Truffaut (La nuit américaine), sur le cinéma à la fois comme objet de fantaisie et de beauté, mais surtout de retour sur soi et sur l’enfance et ses angoisses. en acceptant d’incarner son personnage principal, il était évident que, du coup, Salim Kechiouche reviendrait lui aussi sur sa propre vie sans que l’on sache bien, comme pour Fellini d’ailleurs, ce qui est réel et ce qui est imaginaire. Du coup, on le sent pris au piège du Paradoxe du comédien mis à jour en son temps par Denis Diderot, notamment dans les scènes où ses anciens potes de la cité lui demandent s’il a vraiment « sucé des bites » car, souvent, le public ne fait pas la différence entre la fiction et le réel. Salim Kechiouche aborde cet aspect dans l’entretien du dossier de presse du film : « Je trouve complètement fou de devoir expliquer ce qu’est le métier d’acteur. Il y a un truc qui s’est troublé entre l’image qu’on véhicule et la distance qu’on peut avoir avec ses personnages. Si on a choisi d’incarner tel personnage, cela ne veut pas dire qu’on valide ce qu’il est. Ce qu’on peut montrer ou ne pas montrer sont des questions qui se posent dans ces milieux-là. Or, quand j’ai commencé ce métier, je voulais être totalement libre et prouver que j’étais capable de tout jouer. Je suis pudique en réalité, mais j’arrive à dépasser ma pudeur pour le cinéma. Dès qu’on touchait des personnages qui n’étaient pas fidèles à une représentation masculine, virile, hétérosexuelle, ça gênait les gens. » La dilution de la vie personnelle dans le cinéma apparaît aussi dans le choix que Salim Kechiouche a finalement dû faire en décidant d’opter pour les vraies archives de sa famille – grâce au travail de montage de Luc Seuge – où l’on voit sa mère disparue lorsqu’il avait quatorze ans et non les films d’animation qu’il avait à l’origine choisis pour établir une plus grande distance avec sa propre vie. 

Amour/haine

Pour preuve encore que ce premier film est une déclaration d’amour/haine au cinéma, il faut se référer au fait que l’acteur réalisateur est entré ici dans la peau d’un cher ami, acteur comme lui et mort accidentellement lors d’un accident de moto à la suite d’une soirée bien arrosée. Il lui rend ici un bel hommage, dans ce film sobre, puissant et qui va à l’essentiel. Quand on demande à Salim Kechiouche d’expliquer le titre du film, il déclare que c’est d’abord un hommage au film de Marcel Carné, Les enfants du paradis (1941), que cet ami adorait, mais aussi au fait qu’il espère que cet homme torturé a pu enfin entrer au paradis. 

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