Le marché du court-métrage en France : état des lieux.

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Avouons le : le cinéma est une activité commerciale. Certes, la production d´un long métrage est coûteuse et risquée (en termes financiers, temporels et énergétiques), mais lorsque les spectateurs sont au rendez-vous en salle, DVD´s, diffusion à la télévision et, pourquoi pas, prêts à acheter les produits dérivés du film, les bénéfices risquent d’être suffisamment conséquents pour investir dans quelques autres nouvelles productions. Bien malgré nous, un long métrage est, dans son essence même, un produit à vendre, un produit à acheter.

Mais qu’en est il du format court ? La légende urbaine du petit chef-d’œuvre tourné avec tout juste l’argent pour offrir un sandwich à l’équipe pendant le week-end de tournage est irrémédiablement répandue. Mais les systèmes de production de courts-métrages sont tout aussi variés que la qualité des films eux mêmes. L’offre étant grandissante, en partie à cause de l’accessibilité des outils numériques, une sorte de marché se concrétise de jour en jour autour de cet autre produit de consommation, pas si nouveau que ça. Essayons de rendre compte de l’état actuel du marché du court-métrage en France.

1. Les festivals

Un festival est, pour un court-métrage, le premier lieu d’exposition face à un public très réceptif. Un festival est aussi un lieu de rencontre et d’échange labellisé par les acheteurs. C’est ainsi qu’un film faisant partie de la sélection officielle voit sa valeur augmenter automatiquement aux yeux des acheteurs potentiels.

Prenons comme exemple le festival du court-métrage de Clermont-Ferrand. Avec la mise en place du « Marché du Film », qui en est à sa 24ème édition, il existe la volonté de rendre le plus accessible possible tout court-métrage en recherche de diffusion, mais pas seulement. On trouve également, dans ce salon ouvert pendant le festival, des régions intéressées par l’accueil d’éventuels tournages, des écoles de cinéma, des syndicats d’auteurs, le CNC, et autres organisations ayant pour but de consolider leur propre réseau.

Du côté du court-métrage unitaire, la recherche d’un acheteur reste une priorité. Clermont-Ferrand a installé dans ce sens un moteur de recherche disponible pour les professionnels, donnant un accès immédiat au visionnage de tous les courts-métrages envoyés pour l’édition en cours, qu’ils fassent ou non partie de la sélection. Le but principal est de donner une certaine visibilité à tous les courts qui n’ont pas été sélectionnés. Mais ce système, quoique louable, a un effet pervers immédiat : les films les plus visionnés restent ceux qui font déjà partie de la sélection officielle.

Donc le choix « de qualité », pour ainsi dire, revient systématiquement au jury de sélection du festival. Or cette tache est rude dans tous les sens du terme. En prenant en compte le côté marathonien d’une telle entreprise (une équipe d’une dizaine de personnes chargées de visionner plus de 1000 films en quelques mois, d’une durée variant entre 2’ et 60’), à quel point peut on considérer la sélection des « meilleurs films » comme vraisemblable ? Combien de films n’ont pas été retenus car n’emportant pas les voix de la majorité du jury ?

A cela s’ajoutent deux autres questions : quel film fera l’objet d’un coup de cœur de la part des acheteurs cette année là, et, soyons clairs, qui sont exactement les acheteurs ?

2. Les télévisions

La télévision est, sans aucun doute, l’acheteur principal. Du simple achat d’un film fini jusqu’au pré-achat au stade du scénario, les télévisions s’impliquent de plus en plus dans la fabrication d’un court-métrage. En France, 5 chaines de télévisions achètent des courts métrages (France 2, France 3, Canal +, ARTE, et la toute nouvelle Orange)*. C’est à croire que le court métrage se porte bien, comparé à d’autres pays européens où la concurrence est inexistante, comme par exemple l’Allemagne où seul ARTE diffuse des courts.

A l’occasion du dernier festival de Clermont, les télévisions étaient au rendez vous pour informer les réalisateurs et autres de leurs projets d’achat. Et le bilan de ces rencontres fut bien plus que négatif : triste. Entre le surmenage et la surcharge des programmateurs télé, plus le fait que le débat ait été monopolisé par la question financière (combien on paye/combien on gagne), une sorte de fatalité est tombée sur le public. L’argent est ici maître, la rentabilité après achat d’un film reste la priorité (la petite dernière Orange n’échappe pas à la tendance, bien au contraire). Peu de films, dans le lot, risquent d’être achetés. Du point de vue des réalisateurs, le panorama, pourtant optimiste à nos yeux, se ternit très vite.

3. Internet

Cependant, si l’objectif est de pouvoir montrer à un public le plus large possible un court métrage, internet est une solution probable. Car sur ce média, c’est bien la visibilité qui prime. La diffusion se fait majoritairement à travers des sites de partage tels que YouTube ou Dailymotion. Ici, la quantité devance irrémédiablement la qualité : parmi le nombre de courts disponibles sur ses sites, combien de temps faut-il passer pour la mise en place de notre propre sélection, la découverte d’une perle rare qui nous fera rêver ? Le plus souvent, on finira par cliquer sur les vidéos les plus vues, ce qui n’implique pas forcément l’accès à un chef d’œuvre. Comment faire alors ?

Une réponse possible à cette abondance de courts-métrages « on line » pourrait être justement la politique menée par le site de partage Dailymotion. Sur leur page d’accueil, une sélection des « meilleures » vidéos de la semaine nous est proposée, répartie en une quinzaine de rubriques (depuis l’« actu et politique » jusqu’aux « jeux vidéo »). Si le spectateur plébiscite les choix proposés par le site, il sera donc plus simple pour lui d’accéder rapidement à un produit satisfaisant. Nous remarquons pourtant que cette démarche s’apparente à celle de la sélection faite par les festivals.

Mais internet continue de poser deux problèmes majeurs. D’une part, la qualité d’image et son n’est pas encore idéale. D’autre part, et c’est ce qui nous inquiète le plus, cette tendance à croire que faire un film court est facile car cela prend peu de temps, et que l’absence de financement et rémunération ne pose pas de problème à l’équipe. C’est une idée fausse. La rémunération est nécessaire à la pérennité de l’exercice de toute pratique artistique. Cette réalité est déjà prise en compte à travers le versement des droits d’auteurs aux réalisateurs par des sites comme www.6nema.com, qui est en quelque sorte un site de vidéo à la demande, où l’accès à un court-métrage est payant. Mais la somme en elle-même reste insuffisante, bien que l’intention soit louable.

Le marché du court-métrage en France est ample, mais pas suffisamment développé. Malgré le CNC et les aides régionales, le financement reste précaire, et la vie d’un court-métrage produit pas toujours certaine. Pourtant, le public existe. Non seulement sur internet, où certaines vidéos atteignent le million de spectateurs, mais aussi à la télévision – ne soyons pas naïfs, si 5 chaînes s’efforcent de programmer des courts, c’est bien parce qu’une part de l’audience est conquise –, également en salles : le nombre de festivals créés augmente chaque jour, les spectateurs étant au rendez vous.

Pourquoi alors ce mépris du court-métrage pas les diffuseurs/acheteurs ?

Pourquoi n’est-il pas plus courant de voir en salles des programmes composés de courts-métrages, hors période de festival ?

Pourquoi n’est-il pas mis en place un vrai système de diffusion multimédia?

Pourquoi cette précarité des équipes de création, obligées la plupart du temps de faire appel au bénévolat ?

Ces interrogations nous tracassent, car ce n’est pas l’avenir du court-métrage qui est incertain, mais son présent.

*Des chaines qui s’obstinent souvent à diffuser leur programmes dédiés aux courts les mêmes jours, dans les mêmes tranches horaires…

 


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