Le Grand Chef

Article écrit par

Plus proche du traiteur asiatique bas de gamme que de la grande cuisine coréenne, Le Grand chef nous ressert de vieilles recettes éculées sans originalité ni inventivité.

Le menu avait pourtant l’air plus qu’appétissant : voilà un cinéaste un peu touche-à-tout (Jeon Yun-su, réalisateur de la fresque S.-F. Yesterday comme de la comédie sentimentale My Girl and I) qui s’attaque à l’adaptation d’un Manhwa (bande-dessinée coréenne) dans la plus pure tradition de la comédie culinaire asiatique. Quand on se souvient des excès visuels que peut donner le genre en repensant au Festin Chinois de Tsui Hark, on salive en se demandant ce que va donner cette transposition dans un univers coréen, généralement excessif et inventif, allié aux codes graphiques du Manhwa.

Et malheureusement, ça ne donne pas grand-chose. L’histoire, on la connait déjà par coeur : c’est celle d’un chef, doué et droit, qui refuse de cuisiner depuis qu’il a empoisonné par erreur le jury devant faire de lui le grand chef, mais obligé de reprendre ses instruments quand le fourbe qui a pris sa place lui lance un défi lors d’un tournoi. C’est en effet celle de dizaine de films de kung-Fu : remplaçez seulement les plats élaborés par des coups de tatane, l’école de cuisine par une d’arts-martiaux, et vous obtenez le scénario du parfait petit Shaw Brothers. On pourrait alors s’attendre à quelques surprises dans le déroulement  d’événements attendus. Mais non, dès qu’une sous-intrigue commence (le film respecte le découpage en chapitres de la BD), on sait déjà tout de sa résolution. Les personnages n’apportent pas non plus d’épaisseur à l’ensemble, de la jeune journaliste maladroite au méchant chef vraiment méchant, ils forment tous une constellation de caricatures sans épaisseurs. La morale simpliste (c’est avec le cœur que se fait l’art culinaire, alors que la perfection professionnelle et mécanique n’est que fourbe illusion), associée à une forme de nationalisme assez étrange, ne hausse guère le niveau.

Rien non plus à se mettre sous la dent au niveau visuel. La mise en scène, plate et sans effets de style, n’exploite pas vraiment le potentiel graphique de la bande-dessinée pour donner du rythme au mince – mais long – récit qu’elle relate. A part une utilisation sympathique de split-screen prenant la forme de cases de BD lors d’une scène de préparation d’un plat, l’inventivité est totalement absente du métrage. Et le pire est atteint quand certaines scènes – qui peuvent peut-être passer en bande-dessinée grâce à la distance plus grande que prend ce support par rapport à la représentation de la réalité au cinéma – emmènent le film aux confins du ridicule. L’histoire du charbonnier utilisant sans aucun recul les (l) armes des pires mélo pour nous faire pleurer devant un fils tuant l’amant de sa mère (au passage, l’acteur choisi semble plus vieux que sa mère) est déjà difficile à avaler. Mais quand le film nous montre une brave vache, que le héros considère comme sa sœur, se sacrifier pour qu’il puisse gagner le concours et pleurer (sic), tout en envoyant un dernier regard à son maître dans le couloir qui la mène à la mort, le film devient vraiment indigeste.

Les nostalgiques du Petit Chef, dessin animé culinaire de notre enfance, ne retrouveront pas la grandeur (certainement illusoire et magnifiée avec les années) de l’anime dans ce Grand Chef et tout petit film. Mais ils pourront peut-être trouver un intérêt culturel à voir comment les codes asiatiques du film de kung-fu, de cuisine et de la BD sont passés à la moulinette pour un résultat insignifiant, mais populaire : car ce film est le plus gros succès de l’année passé en Corée. Pas sûr cependant que cette cuisine arrive à plaire hors de ses frontières.

Titre original : Shikgaek

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Durée : 113 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Journal intime

Journal intime

Adapté librement du roman de Vasco Pratolini, « Cronaca familiare » (chronique familiale), « Journal intime » est considéré à juste titre par la critique comme le chef d’œuvre superlatif de Zurlini. Par une purge émotionnelle, le cinéaste par excellence du sentiment rentré décante une relation fraternelle et en crève l’abcès mortifère.

Été violent

Été violent

« Eté violent » est le fruit d’une maturité filmique. Affublé d’une réputation de cinéaste difficilement malléable, Zurlini traverse des périodes tempétueuses où son travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Cet été
violent est le produit d’un hiatus de trois ans. Le film traite d’une année-charnière qui voit la chute du fascisme tandis que les bouleversements socio-politiques qui s’ensuivent dans la péninsule transalpine condensent une imagerie qui fait sa richesse.

Le Désert des tartares

Le Désert des tartares

Antithèse du drame épique dans son refus du spectaculaire, « Le désert des Tartares » apparaît comme une œuvre à combustion lente, chant du cygne de Valerio Zurlini dans son adaptation du roman éponyme de Dino Buzzati. Mélodrame de l’étiquette militaire, le film offre un écrin visuel grandiose à la lancinante déshumanisation qui s’y joue ; donnant corps à l’abstraction surréaliste de Buzzati.