On peut considérer la France comme un des pays « berceau » du cinéma. Les cinéastes français tels que Jean-Luc Godart ou François Truffaut ont connu leur heure de gloire lors de la Nouvelle vague et ils ont contribué à l’essor du cinéma français à l’étranger. Cet essor a été permis par l’ouverture culturelle de la France sur les autres pays. L’organisation de nombreux festivals et manifestations cinématographiques sur le territoire français permet des échanges riches entre des professionnels de pays variés. La France s’intéresse aux cinéastes étrangers, et malgré un relatif déclin de sa production ces dernières années, elle intéresse les cinéphiles de tous pays. Actuellement, les critiques français accordent leur attention à un cinéma jusqu’alors ignoré : le cinéma coréen.
Des rétrospectives ont eu lieu en 1989 à Nantes, en 1993 au centre Pompidou, en 1999 à l’occasion du festival d’automne de Paris et cette année à la cinémathèque française du Palais de Chaillot. On parle d’un nouveau phénomène, d’une renaissance du cinéma coréen, d’une « nouvelle vague » coréenne. Ce cinéma attise la curiosité des Occidentaux. Aussi, l’intérêt se vivifie constamment et les films coréens envahissent de plus en plus de salles françaises, les affiches de films se multiplient. Il y a deux ans, il était difficile de trouver plus de trois ou quatre salles parisiennes qui projetaient simultanément un même film coréen. A sa sortie le 13 avril 2005, Les Locataires de Kim Ki Duk était projeté dans quarante salles parisiennes. Le cinéma coréen a donc trouvé des amateurs. Mais l’opinion générale reste divisée.
Certains trouvent fascinant ce phénomène venu d’Asie et tentent de le découvrir plus largement. D’autres émettent des préjugés ou estiment en connaissance de cause que le cinéma coréen est trop violent et traite les sujets de façon trop artificielle et creuse. Ce ne sont que les films récents qui sont jugés ainsi. Le phénomène est en effet trop nouveau pour que les cinéphiles français aient eu le temps de découvrir le cinéma coréen depuis ses débuts.
Ces constats chatouillent notre curiosité et on se demande alors ce qui interpelle tant dans le nouveau cinéma coréen. Alors que les films se comptent par centaines, comment se fait-il que nous n’en prenions connaissance que maintenant ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre au fil de ce mémoire. En retraçant son évolution historique et générique, nous tenterons de déceler quelle est cette spécificité du cinéma coréen qui attire aujourd’hui l’attention générale. Mais avant de commencer, apportons quelques précisions et justifications. La naissance du cinéma coréen est souvent fixée le 27 octobre 1919 avec un drame intitulé La Juste vengeance.
Cependant, pour expliquer les réalisations actuelles, il n’est pas indispensable d’examiner la production cinématographique coréenne depuis ses débuts. Le faire apporterait sûrement beaucoup d’éclaircissements, mais c’est un travail trop fastidieux par rapport à la longueur exigée de ce mémoire. D’autant plus que la totalité des œuvres de cette période a disparu pendant la guerre de Corée. Tous les renseignements récoltés par les cinéastes sur cette première période ont donc été récoltés via des témoignages ou des articles de l’époque. Nous l’évoquerons donc rapidement, mais nous centrerons notre étude sur la période qui débute en 1953. En effet, la guerre et l’instauration d’un nouveau régime politique ont constitué un tournant pour le pays et donc pour la création artistique et médiatique.
Depuis, aucun événement n’a été suffisamment important pour être considéré comme point de repère plus pertinent du commencement d’une nouvelle ère du cinéma en Corée du Sud. Nous laissons de côté la Corée du Nord dans la mesure où son régime politique ne permet aucune diffusion à l’extérieur des frontières.Enfin, il est utile de préciser au lecteur qui souhaite approfondir ses connaissances à propos des cinéastes cités que le nom d’un même cinéaste a plusieurs traductions. Ainsi, le fameux réalisateur des années soixante qui a réalisé L’Invité de la chambre d’hôte et Ma mère verra son nom écrit Shin Sang-ok ou Sin Sangok. Il faudra donc parfois faire usage de la phonétique pour retrouver ou reconnaître un cinéaste.
Partie 1 : L’évolution de la structure de l’industrie cinématographique est indissociable de l’histoire du pays
Chapitre 1 : La censure et les influences sous l’occupation japonaise puis américaine
Des 156 films réalisés de 1919 à 1945, la Korean Film Archive (les archives cinématographiques coréennes) n’a pu récupérer aucune copie. Toutes les informations recueillies proviennent donc de témoignages de cinéastes âgés et d’articles publiés durant cette période.Le cinéma coréen naît sous l’occupation japonaise. Le premier film, La Juste vengeance, voit le jour le 27 octobre 1919. Au départ, l’activité cinématographique consiste en la projection de scènes filmées lors de pièces de théâtre. Cette pratique, le « ciné-drame », est typiquement japonaise. C’est en 1923 qu’est réalisé le premier long métrage coréen, Promesse d’amour sous la lune de Yun Paengnam. Comme la plupart des films jusqu’en 1945, Promesse d’amour sous la lune est produit par des Japonais et sa réalisation est contrôlée par les services de propagande. Parallèlement au cinéma soumis au régime, un cinéma de résistance se développe, qui s’efforce de sauvegarder les valeurs de la Corée d’antan. En effet, les Japonais détruisent les monuments historiques et les œuvres d’art.
La langue coréenne est interdite dans les spectacles et dans les films dès 1938.La première manière de résister à l’occupant est l’évocation des valeurs patriotes. Le premier film reconnu par les cinéastes coréens est Arirang, film muet de Na Un’gyu réalisé en 1926. L’histoire débute par un meurtre : un fou tue le soldat japonais qui a violé sa sœur. Si ce geste lui rend sa lucidité, Yonjin sera tout de même envoyé dans les prisons japonaises. Les spectateurs coréens ovationnent le film : reflet des souffrances nées de l’occupation, il a un effet cathartique.
Le titre annonçait déjà cette prise de défense des valeurs patriotiques puisque Arirang est le nom d’une chanson populaire coréenne. Bien que ne puissant plus être visionné, Arirang est toujours décrit comme le chef-d’œuvre de cette première moitié de siècle, artistiquement et symboliquement. La deuxième manière de résister à l’occupant est plus franche. En 1925, des militants communistes créent la KAPF (Korea Artista Proletaria Federatio en esperanto). Ils tentent de passer outre la censure japonaise, mais la répression les rattrape. Les cinéastes qui ne finissent pas en prison connaissent l’exil.
Tous les films de l’époque sont caractérisés par un lyrisme dont l’exagération soulève parfois les critiques. Ce courant sentimental est attribué à la situation douloureuse du pays et à l’influence de la culture japonaise : les œuvres tristes et torturées des Japonais auraient entamé le naturel joyeux des Coréens. Mais c’est le réalisme qui définit le mieux la tendance de l’époque. D’autres films, qui abordent prudemment le thème de la résistance à l’occupant, méritent d’être cités : La Femme des cinq rêves (1937) de Na Un’gyu, Le Prix des leçons (1940) de Ch’oe In’gyu.
En 1945, la Corée est libérée de l’occupant japonais. En 1946, le gouvernement militaire de l’armée américaine assouplit la réglementation sur le cinéma. La production prend son envol. Mais faute de moyens, les films en 16 mm sont muets. L’exaltation de la libération passée, les films gagnent en qualité esthétique et en profondeur de réflexion. Celui qui marque la période est Vive la liberté de Ch’oe In’gyu, sorti en 1946.
Lorsque la guerre éclate en 1950, matériels et cinéastes sont réquisitionnés par les organes de propagande du Nord et du Sud. Certains sont même enlevés : c’est le cas du célèbre Ch’oe In’gyu. Sur place, les Américains tournent et diffusent des documentaires et des actualités de guerre. Ainsi John Ford tourne This is Korea ! en 1951. Il reviendra sept ans plus tard réaliser Korea : battleground for Liberty. Dans le contexte national de guerre civile, et dans le contexte mondial de guerre froide, la Corée du Sud passe sous la « protection » des Etats-Unis. Les Coréens se familiarisent donc avec les méthodes et les techniques de tournage américaines.
Chapitre 2 : Au lendemain de la guerre, « l’âge d’or » du cinéma coréen
Dès 1954, une série de mesures contribue à relâcher l’étau qui étouffait l’industrie cinématographique. Seule la Korean Film Unit, créée en 1958, reste réellement un outil de propagande du gouvernement via la production des documentaires et des actualités. En 1954, le président Yi Sungman abolit l’impôt sur les billets de cinéma. Il abolira ensuite l’impôt sur la production. 1955 est une année symbolique : le cinéma n’est plus placé sous la tutelle du ministère de la Défense mais sous celle du ministère de l’Education. Des associations de producteurs, de réalisateurs, de distributeurs et plus tard de scénaristes (en 1958) sont créées.
Dès 1959, les universités ouvrent leur département de cinéma. La production de films s’accélère et approche les deux cents films par an. Les plus grands studios d’Asie sont construits au Sud de Séoul et sont inaugurés en 1956. Cette explosion est bien sûr permise par une fréquentation élevée des salles de cinéma. Au lendemain de la guerre et d’une longue période d’oppression, le Coréen profite de ce loisir qui lui est offert. Les foyers n’ont pas encore la télévision : le cinéma est le premier média. Cette frénésie pour le grand écran s’accompagne d’un phénomène de société : l’apparition de stars et de leurs admirateurs.Ce phénomène de croissance permet de récolter des bénéfices et donc de réaliser des investissements technologiques. En 1958 sort le premier film en cinémascope : Une vie de Yi Kangch’on. En 1961 sortent les deux premiers films en couleurs : Song Ch’unhyang de Sin Sangok est filmé en cinémascope, L’Histoire de Ch’unhyang de Hong Songgi est filmé en 35 mm. Tous les deux sont des succès et s’inspirent de la même légende populaire : Ch’unhyang. Cette histoire d’amour et de traditions avait aussi été à la source du film marquant le début de cet âge d’or, en 1955 : L’Histoire de Ch’unhyang de Yi Kyuhwan.
Les cinéastes révélés à cette époque deviendront les têtes de file des années soixante et soixante dix. Sin Sangok, Kim Ki-young et Kim Suyong sont les plus célèbres. Tous sont autodidactes et ont appris du contact avec les Américains. On les nomme « artistes civiques » : leur expérience de la vie, de la guerre et leur statut de réalisateur les incite à témoigner au nom de leur peuple et à faire partager leur sagesse. La qualité de leurs films leur ouvre les portes des festivals étrangers tels que Berlin, Sydney ou San Francisco.Dès la rupture géopolitique de 1953, le cinéma nord-coréen s’entoure de mystère. Les minces informations récoltées prouvent son existence et son importance. Les scénarios sont considérés comme des œuvres littéraires. Dans les années soixante dix, le gouverneur Kim Chong II a publié La Théorie cinématographique. On y apprend que les cinéastes ont un rôle philosophique et politique important : ils doivent avoir « un objectif idéologique évident et élevé (et montrer) la vie de façon précise et approfondie, car ils étudient les problèmes posés par celle-ci en s’inspirant de la ligne politique du Parti ». Plusieurs cinéastes de Corée du Sud seront enlevés par les autorités du Nord afin d’atteindre les ambitions du régime communiste : améliorer la qualité et l’impact propagandiste du cinéma nord-coréen.
Chapitre 3 : Dès 1961, le cinéma subit les effets de la dictature militaire répressive
Le 19 mai 1960, les étudiants se révoltent contre les abus du gouvernement. Le dictateur Yi Sungman, au pouvoir depuis 1953, s’est présenté pour la quatrième fois aux élections. Les troubles entraînés au sein de la population et au sein du gouvernement permettent au général Pak Chonghui de parvenir au pouvoir après le coup d’Etat du 16 mai 1961. Il y restera jusqu’à son assassinat en octobre 1979.
En 1961, le cinéma quitte la tutelle du ministère de l’Education pour passer sous celle du ministère de l’Information. Le gouvernement débute une politique de « culture de masse ». Il agit au niveau de l’organisation de l’industrie cinématographique en multipliant les réglementations dès 1962, mais surtout il s’attribue les pleins pouvoirs en ce qui concerne le contenu des films. Il censure et développe sa « politique des 3S » : Screen, Sex & Sport.
Section 1 : Les normes et les quotas
La loi de 1962 marque le début d’une série de lois contraignantes à tous les niveaux de l’industrie du cinéma. Les tournages sont soumis à des normes techniques et financières : un minimum de quatre caméras et quinze salariés. Les producteurs doivent réaliser au moins quinze films par an. Les producteurs-distributeurs doivent produire un nombre minimum de films nationaux pour pouvoir importer un film étranger. Le cinéma national est ainsi favorisé et devient quantitativement prédominant. Mais les trois quarts des maisons de production ne peuvent pas supporter ces nouvelles normes et elles mettent la clef sous la porte. Les seize maisons qui subsistent se regroupent dans un quartier de Séoul : Ch’ungmuro, surnommé alors le « Hollywood » de la Corée.
En 1972, les normes se consolident, les quotas de production et de distribution fluctuent. C’est l’époque des « quotas quickies » : des films à petit budget sont réalisés à la hâte pour satisfaire aux quotas mais certains ne sortiront jamais sur les écrans. Im Kwont’aek, par exemple, parvient à réaliser six films par an. Dans l’année, un nombre minimum de jours est réservé à la diffusion des films nationaux (121 jours en 1973). Les films japonais sont interdits. Les films étrangers pénètrent difficilement le territoire : pour un film importé, quatre films coréens doivent être exportés. Si la production atteint un record de 229 films en 1969, elle chute à 122 films en 1972. Les nouvelles normes sont devenues trop contraignantes, et surtout la censure s’affermit.
Section 2 : La censure des années 60 et 70
Le « Comité pour l’éthique de l’art et de la culture », puis celui de « l’éthique des spectacles publics » dès 1978, devait examiner un film avant d’en autoriser la sortie. Dès le lendemain du coup d’Etat du 16 mai 1961, Une Balle perdue de Yu Hyonmok fut interdit de diffusion. De nombreux films furent ensuite mutilés lors du montage. Parmi ces « films-martyrs », on peut citer La Marche des imbéciles du talentueux Ha Kilchong. Dès 1972, la censure se renforce. Seuls les films marqués du label de l’Etat sont autorisés à la sortie. Le label n’est pas accordé si le film est soupçonné de véhiculer des idées anti-gouvernementales, anti-libérales ou anti-américaines.
Les censeurs passent bientôt au stade supérieur et s’attaquent aux cinéastes qui doivent payer des amendes, qui séjournent en prison ou disparaissent mystérieusement.Les films pro-gouvernementaux sont évidemment avantagés et n’ont aucune difficulté à être diffusés. Sont considérés comme pro-gouvernementaux les films qui critiquent le communisme de Corée du Nord ou qui louent les généraux ayant résisté à l’occupant japonais. Parallèlement à ces films politiques, le gouvernement favorise l’essor des « films de genre », aussi appelés « films de série B ». Oublieux de la qualité, ces films ont pour seul but de faire du profit. Les outils du gouvernement pour attirer le spectateur sont Sex & Sport. Autrement dit, l’érotisme infiltre le film mélodramatique de tradition et les émissions sportives et patriotiques se multiplient.
Section 3 : Les conséquences de cette dictature sur l’industrie du cinéma
La politique des quotas quickies et la censure draconienne ont pour effet évident d’affecter la qualité de la production sur cette période. Les spectateurs coréens et étrangers se détournent des films coréens. Un autre phénomène contribue à ce déclin : la diffusion des téléviseurs dans les foyers. Si avoir un téléviseur est considéré comme une marque de richesse en 1956, il devient un bien courant dans les années 70. Les femmes, qui constituaient l’essentiel du public de cinéma, ont dorénavant leur télévision à la maison. Les cinéphiles déçus par les films coréens bâclés ou de propagande se replient sur les films étrangers. Mais ceux-ci sont rares dans les salles de cinéma à cause de la politique « culturelle » qui filtre les entrées des films étrangers sur le territoire. Les cinéphiles fréquentent donc les centres culturels pour visionner des films européens, et ils profitent de la télévision pour voir des films hollywoodiens.
Si des producteurs connus, tels Sin Sangok ou Yu Hyonmok, ont freiné ou complètement cessé de réaliser sur cette période à cause du contexte oppressant, d’autres ont pris la relève. Im Kwont’aek et Yi Tuyong ont nourri la production des films de série B de l’époque. Deux genres se profilent : le mélodrame à tendance érotique et le film pour adolescent. Si les films des années 70 passent inaperçus auprès des critiques cinéphiles, ils contribuent toutefois à forger une identité au cinéma coréen.
Chapitre 4 : La révolution des années 80
Section 1 : La libéralisation économique et ouverture du pays
En 1980, une révolte d’ouvriers a lieu à Kwangju dans la province méridionale du Challado. L’armée tire sur les manifestants et lâche des bandes de tueurs à sa solde dans les rues. Le bilan humain est lourd : on compte des centaines de morts, des milliers de disparitions et d’arrestations. En 1987, les Jeux Olympiques sont organisés à Séoul. La population profite de la présence des autorités occidentales pour manifester. Le gouvernement doit faire figure démocratique : il libéralise tous les pans de l’industrie. 1987 marque la renaissance du cinéma coréen.En conséquence, la double censure sur le scénario et sur le film s’atténue. Celle sur le scénario est abolie en 1988. Les militaires cessent d’emprisonner les cinéastes engagés. Les productions indépendantes sont autorisées, ôtant ainsi le monopole aux sociétés de production du quartier de Ch’ungmuro. Les collectifs d’étudiants se développent. Les co-productions sont autorisées avec d’autres pays asiatiques tels que la Chine, Hong Kong ou Taiwan. Les activités de production et de distribution sont séparées, facilitant ainsi l’entrée des films étrangers.
Section 2 : Les luttes étudiantes
Marqués par le massacre de Kwangju de 1980, les étudiants réagissent et commencent à produire et à projeter clandestinement des films dans les universités. Ils se regroupent en collectifs, entités sans aucun statut légal. Le plus actif est le collectif Chang Kotmae. Au sein d’un collectif, chaque participant doit être apprendre à s’occuper de chaque poste : réalisation, montage et techniques. Il n’existe ainsi aucune hiérarchie dans le collectif et ses membres s’allient volontairement, non par nécessité technique. Les films collectifs abordent des thèmes subversifs vis-à-vis du gouvernement et tabous dans la société.
Dans le sillon du massacre de Kwangju, les étudiants se préoccupent surtout de la condition ouvrière mais ils se donnent aussi pour but de dénoncer la brutalité policière, la corruption, la misère ou encore les dysfonctionnements de leur système éducatif basé sur la mémorisation et l’absence de développement critique autonome.Ces collectifs tourneront beaucoup de courts-métrages en super 8 et 16 mm. Ces films ont donc une dimension documentaire et journalistique : les étudiants se déplacent et recueillent les témoignages des ouvriers grévistes victimes des sévices policiers, et les témoignages de leur famille. Ces cinéastes en herbe s’attaquent à des sujets interdits et affichent leur volonté de changement politique et social. De ce fait, ces intellectuels rebelles se déclassent du cinéma conservateur traditionnel.
Chapitre 5 : La « Nouvelle vague » coréenne
Section 1 : Une évolution à double voie
Dès 1987, le mouvement amorcé par les cinéastes de collectifs se développe. Les collectifs n’ont plus lieu d’être : le gouvernement est moins oppressant et il n’est plus nécessaire d’être soudés pour oser s’exprimer. Chaque cinéaste réalise ses films de manière indépendante par rapport à ses camarades de collectif. Rappelons que chacun était polyvalent au sein du collectif. Cet essor centrifuge des cinéastes par rapport à leur ancien groupe s’est donc fait naturellement. Parmi les aînés de la nouvelle vague, on compte Park Kwang-Su (La République noire, 1990) et Jang Sun-Woo (Un Pétale, 1996). Tous deux abordent le tabou de la répression politique et dénoncent les travers de leur système sociétal. Cette première vague de réalisateurs est complétée par une seconde vague (au sein de laquelle on retrouve Hong San Soo et Kim Ki Duk) lors du passage au gouvernement civil de 1993.
1993 marque aussi la recrudescence de la fréquentation des salles de cinéma grâce au film d’Im Kwont’aek La Chanteuse de Pansori. Dès cette année 1993, certains critiques (voir l’ouvrage consacré par le centre Pompidou au cinéma sud-coréen en 1993) perçoivent déjà que le phénomène n’en est qu’à son début et qu’il sera d’importance. On parle d’un deuxième âge d’or du cinéma coréen, le premier ayant eu lieu dans les années cinquante et soixante.
Les médias commencent à s’accorder sur l’existence d’une « Nouvelle vague » coréenne dans le milieu des années 90. Elle ne concerne pas seulement le cinéma mais la culture de masse coréenne dans sa globalité. Les stars des séries télévisées et les chanteurs coréens font fureur en Chine, puis à Taïwan, Hong Kong et au Vietnam. Récemment, le phénomène s’est développé au Japon. En Chine, les stars coréennes deviennent même plus populaires que les vedettes japonaises ou états-uniennes. En 1997, le cinéma coréen accapare 18 % du marché national, en 1999 il atteint 37%. Il devient alors logique et naturel que les gros investisseurs cherchent à devenir détenteurs des parts de ce marché en croissance. Jusqu’en 1997, les chaebols (conglomérats nationaux) tels que Daewoo étaient prioritaires sur le marché, mais ils ont passé le flambeau aux Américains après la crise.
Les cinéastes de la « Nouvelle vague » ont pour caractéristique d’être jeunes. Au contraire de leurs aînés qui ont appris progressivement en débutant assistant réalisateur, la plupart des nouveaux venus ont étudié l’art en école et se font connaître dès leur premier film. Film dans lequel ils sont d’emblée réalisateur. Certains de ces débutants sont ambitieux et plaisent aux investisseurs qui financent leurs superproductions. Les cinéastes indépendants plus modestes et les maîtres du cinéma traditionnel en pâtissent et peinent à trouver des fonds.
D’un autre côté, les nouveaux réalisateurs sont critiqués pour leur zèle excessif. Ils veulent traiter trop de thèmes à la fois et feraient des films incohérents. Beaucoup voient encore le cinéma coréen comme un cinéma de genre où l’érotisme, l’action et la tragédie sont maladroitement exploités afin de divertir l’audimat. Ceux qui adoptent ce point de vue affirment que si un cinéma dynamique se développe, aucun cinéaste ne se démarque pour autant. C’est faux. Certes, le cinéma des années 90 porte les marques de son histoire : il est pour la toute première fois libéré des chaînes de la censure et comme tout nouveau né il balbutie, il bégaie un peu. Mais certains cinéastes comme Jang Sun Woo (Timeless, Bottomless, bad movie, 1997), Park Chan Woo (Sympathy for Mr Vengeance, Old boy, 2004), Hong Sun Woo (La Vierge mise à nu par ses prétendants) ou encore Kim Ki Duk (Printemps, été, automne, hiver…et printemps ou Les Locataires, 2004) confirment leur originalité à chaque nouveau film. Si les premiers films de Kim Ki Duk présentent des passages gores jusqu’à être qualifiés de grotesques, ses films présentent néanmoins de moins en moins de défauts.
La poésie et l’esthétique trouvent leur pleine mesure dans Les Locataires, son dernier film. En réalité deux courants se profilent et divisent la critique à la fin des années quatre vingt dix. D’un côté, les jeunes réalisateurs de « blockbusters » plaisent à la majorité des spectateurs asiatiques. Ce sont eux qui reçoivent les aides étatiques et qui attirent les investisseurs nationaux, japonais et américains. Les critiques, eux, trouvent leurs œuvres sans finesse, dénuées de réflexion et de piètre qualité technique. D’un autre côté, certains réalisateurs privilégient la qualité aux bénéfices financiers. Ce sont les « indépendants » dont font partie les maîtres du cinéma traditionnel coréen. Ils sont boudés des investisseurs : faute de trouver des fonds, Sin Sang Soo a du mal à terminer son dernier film, La Visite. Cette catégorie est oubliée ou même méprisée par les spectateurs coréens (c’est le cas du jeune Kim Ki-Duk), mais elle est vivement encouragée par les critiques et fait fureur dans les festivals étrangers. Le Chant de la fidèle Chunhyang, film d’Im Kwont’aek sorti en 2000, a été un échec sur le plan commercial en Corée mais un succès à Cannes.
Depuis la fin des années 90, les Américains font pression sur le gouvernement pour qu’il abolisse complètement les quotas. Le but de ces quotas est de réserver un minimum de 100 à 140 jours par an à la projection des films coréens dans les salles de cinéma. Tous les professionnels du cinéma s’opposent à cette suppression. Ils sont massivement soutenus par les citoyens coréens, qui défendent hargneusement le cinéma dont ils sont fiers. La Corée est aujourd’hui le troisième pays producteur de films. Elle a développé un style qui lui est propre et devient même un épicentre de l’Asie dans ce domaine. Depuis la crise de 1997, la production et la distribution sont passées des mains des conglomérats nationaux (les chaebols) à celles des géants américains. Si en plus d’avoir des parts dans la production et la distribution, les Etats-Unis exportaient leurs films en Corée à leur guise, alors les films « made in & by » Korea seraient menacés. Les médias et politiciens coréens sont pourtant favorables à cette suppression des quotas. Ils estiment que le cinéma coréen est désormais assez compétitif et n’a plus besoin de réclamer la protection ou l’aide étatique. Ce débat scinde le pays en deux. Parce qu’il était opposé à cette suppression des quotas, le cinéaste Lee Chang Dong, a démissionné de son poste de ministre de la culture en juin 2004.
Section 2 : La structure de l’industrie cinématographique contemporaine
Au cours des années 90, la structure de l’industrie cinématographique a connu de profonds bouleversements. Le pays connaît une forte industrialisation dans tous les domaines et particulièrement dans les domaines de l’électronique et de l’automobile. Les chaebols, groupes financiers qui détiennent des parts dans tous ces marchés porteurs, remarquent un nouvel essor du cinéma. Les géants Daewoo, Hyundai et Samsung décident d’investir dans ce secteur. Survient alors la crise de 1997.Les conglomérats nationaux cèdent alors leur place à des sociétés. Seul Samsung, on le verra, conserve quelques intérêts dans le domaine.
Trois sociétés se distinguent par leur importance. La CJ Entertainment est la major dans l’industrie du cinéma en Corée en ce qui concerne la production, la distribution et le nombre de salles détenues. Elle est dirigée par un des membres de la famille Samsung (les chaebols étaient à leurs débuts de gigantesques structures familiales ; la famille fondatrice est restée ensuite le noyau dur du chaebol). C’est donc de façon indirecte et officieuse que Samsung garde certains intérêts dans le secteur.La CJ a une stratégie d’ouverture sur l’Asie : elle reprend les succès japonais pour les reproduire à la manière coréenne ; elle tourne dans des paysages chinois, avec des acteurs chinois ; elle coproduit ses films avec des Japonais et espère bientôt en coproduire avec des Chinois. En 2003, elle a acquis sa rivale Cinema Service. Cinema Service a été créée en 1994 par Kang Woo Suk. Réalisateur et producteur, Kang Woo Suk est considéré comme l’homme le plus puissant de l’industrie du cinéma en Corée.
Depuis son rachat par la CJ, Cinema Service a vendu toutes ses salles pour tenter de racheter la totalité de ses parts. Sa politique commerciale diffère de celle de la CJ. Cinema Service ne produit pas seulement des superproductions mais aussi des films indépendants. Elle a financé les derniers films d’Im Kwont’aek, Ivre de femmes et de peinture et La Pègre, ainsi que Green Fish de Lee Chang Dong. Depuis trois ans, la société de production Showbox s’est aussi convertie à la distribution. Dirigée par l’esthète spécialisé dans l’Art et l’Essai Jeong Tae-Sung, elle détient déjà 12% des parts de marché dans la distribution et elle accumule les succès.
D’autres organismes ont pour fonction de garantir une certaine concurrence et de donner leur chance aux petits cinéastes. Le KOFIC vient en aide aux petits festivals et au secteur de l’Art et l’Essai. Il mène aussi des études de simulation, par exemple dans le cas où les quotas seraient supprimés. Les résultats sont bien entendus défavorables à cette suppression. La Korean Film Archive, elle, est chargée de la gestion et de la conservation du patrimoine audiovisuel. La Korean Culture & Art Fondation est chargée de la culture. En 2004, elle se battait pour rétablir les taxes sur les tickets de cinéma, taxes qui financent les aides au cinéma. Enfin, l’Asian Film Industry Network (AFIN) associe les professionnels coréens, chinois, hongkongais, singapouriens, thaïlandais, taïwanais, vietnamiens et japonais afin de créer un vaste réseau asiatique de production et de distribution.
Le cinéma a donc subi les difficultés de son pays. Nous avons montré l’impact de l’histoire sur les institutions qui encadrent le cinéma ; nous avons vu que le cinéma n’est libéré de l’étau gouvernemental que depuis la mise en place d’un gouvernement civil en 1993 ; maintenant que nous avons compris le contexte, nous allons entrer dans le vif des œuvres.
Partie 2 : Les thèmes redondants et les genres
Chapitre 1 : Les goûts du spectateur coréen
Récapitulons brièvement le type d’audimat et ses centres d’intérêts sur la période considérée. Jusqu’au début des années soixante, le public est très varié, les spectateurs vont en moyenne cinq à six fois par an au cinéma. La télévision est encore un bien rare. Le cinéma est le médium principal. A partir de la mise en place du régime militaire en 1961, l’accent est mis sur les mélodrames à héroïnes féminines. Le public est alors largement constitué de ménagères. Mais dans les années soixante dix, la qualité des films se dégrade et la télévision envahit les foyers. Les ménagères abandonnent les salles de cinéma. Le public se compose alors surtout d’adolescents et d’hommes. Simultanément, à la fois cause et conséquence de la prépondérance masculine dans le public, la tendance érotique est de plus en plus exploitée. Ca ne suffit pas à fidéliser le spectateur : il fréquente les salles à raison d’une fois par an.
Les cinéphiles trouvent leur bonheur ailleurs. Et ce n’est plus de films coréens qu’ils se repaissent. Ils noient leur dépit en s’abreuvant de productions étrangères : française, allemande, italienne dans les centres culturels ou hollywoodienne sur les chaînes hertziennes. Puis surgissent les troubles politiques des années quatre-vingt. Les étudiants se révoltent contre l’hypocrisie du régime. Pour la première fois les défaillances du système sont abordées avec franchise. Le public montre un vif intérêt pour le sujet politique, néanmoins les aspects social, juridique et éducatif de la société sont aussi remis en question. Depuis l’amélioration démocratique de 1993, d’autres sujets sont abordés : l’égalité entre hommes et femmes, l’émancipation de cette dernière, l’opulence de la société de consommation. Le cinéma retrouve le succès des années cinquante. Il est redevenu un moyen de libre expression, en plus d’être un art bénéficiant des progrès du numérique.
Chapitre 2 : Les thèmes
Section 1 : La guerre
Le 25 juin 1950, l’armée de la Corée du Nord franchit le 38e parallèle et envahit la Corée du Sud. Les pays de l’ONU, et plus particulièrement les Etats-Unis, s’alignent aux côtés de la Corée du Sud tandis que la Chine apporte son soutien aux nordistes. L’armistice est signé à P’anmunjom le 27 juillet 1953. Quasiment tous les films de la première moitié du siècle ont alors disparu ou ont été détruits. La rumeur court qu’à l’heure actuelle, des œuvres comme Arirang seraient conservées en Corée du Nord. Pendant ces trois années, matériels de cinéma et cinéastes ont été réquisitionnés par les organes de propagande. Cependant la période est totalement stérile en ce qui concerne la production cinématographique.
De 1953 jusqu’à aujourd’hui, la guerre est au centre de nombreux films. On en distingue deux types. Tout d’abord, beaucoup de films d’action reproduisent tant bien que mal les combats. Parmi cette multitude, aucune réalisation ne sort du lot. Ensuite, des films comme La Saison des pluies (Yoo Hyeon-Mok, 1979) ou Adresse inconnue (Kim Ki-duk, 2001) montrent la vie quotidienne et les conflits idéologiques entre les civils pendant la guerre. Enfin, dans des films centrés sur d’autres sujets, des allusions à la guerre et à ses retentissements actuels sont glissées. Par exemple, Une femme coréenne d’Im Sang Soo, sorti en 2005, débute en montrant l’exhumation de squelettes datant de la guerre. L’allusion à la guerre se présente ici sous forme d’anecdote, mais les images sont parmi les plus marquantes du film.Si la guerre a eu lieu il y a plus de cinquante ans, la blessure est toujours fraîche dans les esprits.
Certains cinéastes étaient enfants à l’époque. Im Kwont’aek avait quatorze ans lorsqu’elle a débuté et que sa famille a souffert du conflit. Son oncle a abandonné sa famille pour aller se réfugier en Corée du Nord parce qu’il était communiste. Sa mère a été torturée et a perdu l’enfant qu’elle portait. D’autres n’étaient pas encore nés lorsqu’elle s’est terminée. C’est le cas de Kim Ki duk, qui est né en 1960. Cependant il a vécu l’occupation américaine et a été témoin des séquelles physiques et mentales laissées sur ses aînés. Les cicatrices de la guerre se transmettent de génération en génération. La guerre demeure vivante dans les esprits, donc dans les films. Elle a été source de blessures physiques, d’humiliation, de division des familles.
Enfin, la guerre a eu pour conséquence la partition du pays en deux. Les Coréens, attachés à leurs traditions, ont assisté à la mutilation de leur nation. Tous ont encore des attaches en Corée du Nord, que ce soit des attaches familiales, affectives ou symboliques (avant la guerre, et malgré l’occupation japonaise, les Coréens étaient très fiers de leur pays). Dans l’esprit populaire, la dichotomie n’est pas naturelle, pertinente. En effet, la Corée a été le champ de bataille d’un conflit à grande échelle qui ne la concernait pas exclusivement : la Guerre Froide. Les sentiments de manque et d’incompréhension sont à la base d’un grand nombre de films traitant de la dualité et de la schizophrénie. Un des films les plus confirmés sur la schizophrénie est Deux sœurs. L’histoire est celle d’une adolescente qui fait revivre sa sœur en imagination. Il est tentant de déceler ici une mise en abîme symbolique : souvent surnommées « les deux sœurs », la Corée du Sud souffre de la séparation avec sa sœur du Nord. D’ailleurs, depuis peu, un vent d’espoir souffle en Corée du Sud concernant la réconciliation avec la Corée du Nord. Il serait la source d’inspiration de nouveaux films.
Section 2 : Les religions
Actuellement, plusieurs religions coexistent en Corée. Les plus importantes sont, par ordre décroissant, le bouddhisme, le protestantisme et le catholicisme. Il est plus difficile d’obtenir des chiffres pour le chamanisme, qui est considéré comme une superstition plutôt que comme une religion. Le confucianisme non plus n’est pas considéré comme une religion à part entière.
La plupart des films sur le christianisme ont été réalisés dans les années quatre-vingt. Ils mettent en scène des héros ou des martyrs faisant face à leurs doutes, ou devant surmonter des difficultés lors de la propagation du christianisme. La majorité de ces films a été réalisée dans le but de prolonger cette phase de conversion. Cinéastes et organisations chrétiennes ont collaboré pour créer ces films. Les plus marquants sont Les Invités de Ch’oe Hawon (1981), Je m’appelle Alleluia de Kim Suhyong (1981) et La Vocation de Ch’oe Inhhyon (1984). Les premiers films sur le bouddhisme ont été créés dans une optique de propagande. Sous l’occupation (1910-1945), les Japonais ont utilisé le cinéma pour tenter de soumettre le bouddhisme coréen au bouddhisme japonais.
Dans les années soixante, ce sont les militaires qui essaient de gagner la faveur des bouddhistes. Ce n’est qu’à partir des années soixante dix que le thème du bouddhisme est exploité sans arrière pensé politique. Im Kwont’aek a réalisé deux films remarquables à ce sujet : Mandala (1981) et Plus haut, encore plus haut (1989). Kim Ki Duk a récemment mis en scène un jeune bouddhiste détourné un moment de la foi par l’amour dans Printemps, été, automne, hiver…et Printemps. L’intrigue est souvent la même : un jeune bouddhiste traversé par le doute en discute avec un maître spirituel. Le doute est si souvent étudié à cause de la façon dont est exercée cette religion en Corée.
Contrairement à la religion chrétienne qui a ses institutions, ses initiateurs et son livre, le bouddhisme est très difficile d’accès. Il apparaît comme une énigme aux citoyens. En effet, les moines bouddhistes sont retirés dans les montagnes. Ils n’ont ni institution organisée, ni système doctrinal, ni livre. L’initiation se fait donc au contact du maître, à travers la discussion et l’expérience. Soumis à la tentation féminine comme c’est le cas dans Le Rêve (1967, Shin Sang-ok) ou Printemps (2002, Kim Ki-Duk), le jeune moine cède, en subit les fâcheuses conséquences, et est épaulé par son maître lorsqu’il prend la décision de se consacrer à nouveau à la religion. Tous ces films portent le même message : ils encensent la sagesse et la pureté du mode de vie bouddhiste opposé à la décadence et la perversion alimentées en société.Enfin, les films sur le chamanisme sont les plus nombreux. Deux points de vue s’opposent. Soit le cinéaste fait de la chamane un personnage secondaire négatif, soit il en fait un personnage principal tragique pour lequel le spectateur éprouve de la compassion. Les films content le conflit entre le chamanisme et le christianisme.
Souvent, ce conflit s’accompagne d’un conflit entre générations ou entre classes (la chamane est souvent pauvre et marginalisée). Le chamanisme symbolise la Corée traditionnelle et unie. Le christianisme est synonyme de modernité. Le chamanisme est indissociable des rites de la culture coréenne que les chrétiens rejettent. Dans le contexte de modernisation rapide du pays, des réalisateurs comme Im Kwont’aek (La Fille du feu 1983) ou Yi Changho (Même sur la route, Le Voyageur ne se repose pas 1987) réintroduisent le chamanisme comme valeur culturelle positive dans des films teintés de nostalgie. Le chamanisme n’est plus considéré comme une superstition comme c’était le cas au début du siècle, mais comme une religion à la base de toutes les autres.
Section 3 : La société : La Place de la femme dans la société
Longtemps, la femme coréenne a eu une place difficile dans la société. Soumise simultanément au patriarcat et aux traditions confucianistes, elle n’avait d’autre rôle que celui d’assurer la descendance de son mari en lui offrant de préférence un fils. On lui demandait bien sûr d’avoir les qualités féminines que sont la douceur, la soumission, la vertu et la patience. Deux films décrivent de façon réaliste la situation pénible de la femme au cours des derniers siècles. L’Invité de la chambre d’hôte et ma mère (Sin Sangok, 1961) narre au travers le regard d’un enfant l’histoire d’amour entre sa mère et un vieil ami. La mère est veuve depuis longtemps et se dévoue à sa famille. Lorsque se présente la possibilité de revivre l’amour, elle refoule son désir et ses sentiments pour rester fidèle à la tradition et aux normes sociales. La morale veut que la femme traditionnelle se sacrifie. La Mère porteuse (Im Kwont’aek, 1986) est l’histoire de deux femmes. L’une est stérile. Son mari est contraint par la famille de féconder une autre femme. Selon la morale confucianiste, l’héritier est plus important que la femme. Im Kwont’aek s’attarde sur les scènes de coït et sur celle de l’accouchement. De cette manière, il insiste sur le rôle de la femme limité à la procréation. Dans les deux films, c’est la mère d’un des deux époux qui insuffle la parole confucéenne, aux dépens du bonheur de la jeune mariée. La tradition est si bien assimilée par les femmes elles-mêmes qu’il est ardu de s’extraire de son cercle vicieux.
Dès 1956, le thème du désir de la femme est abordé par Han Hyongmo dans Une femme libre. L’héroïne, mariée, se libère de la contrainte sociale en assumant ouvertement ses liaisons avec plusieurs hommes. A la fin du film elle est reniée par sa famille. A l’époque de la sortie du film, le public a approuvé la punition finale. Longtemps, la femme qui cède au désir ou éprouve du plaisir est considérée comme une femme de mauvaises mœurs. La femme traditionnelle doit vaincre sa libido. Elle n’est même pas censée avoir de libido si elle est réellement vertueuse : c’est toute la sexualité féminine qui est reniée. Les films diffusés jusque dans les années 90 contribuent donc à renforcer la morale traditionnelle confucianiste. Mais si la femme vertueuse doit pratiquer l’abstinence, l’homme, lui, n’est soumis à aucune contrainte.
A partir des années 70, une nouvelle tendance de films lui est destinée : le mélodrame à tendance érotique. Ces films narrent l’histoire de femmes infidèles ou l’histoire plus tragique de femmes pauvres obligées de se prostituer. Le fond est alors un prétexte pour justifier la forme : l’histoire importe peu, le but avoué par les producteurs est d’attirer les spectateurs masculins. La femme reste une femme-objet si elle subit ce qui lui arrive ; le personnage à l’écran est une femme-catin si elle assume son désir tandis que l’actrice, nue dans la plupart des scènes, est une femme-objet au service des nécessités du capitalisme. Le corps féminin est devenu marchandise.
Dans les années 90, on retrouve cet ingrédient qu’est l’érotisme dans les films de genre mais aussi dans les films indépendants de meilleure qualité. Certes, le sexe reste sujet à marchandisation, mais la femme acquiert un nouveau statut dans la société. Elle se hisse à égalité de l’homme. C’est particulièrement vrai dans le milieu du cinéma où la moitié des emplois sont occupés par des femmes. Et elles n’ont pas les plus mauvaises places : Catherine Park est directrice de l’international chez CJ, Jennifer Munh est directrice de la distribution chez Cinema Service. Nombre de films récents mêlent cette libération sexuelle avec l’ascension sociale de la femme. C’est le cas dans La Femme est l’avenir de l’homme (Hong Sang-Soo) et Une femme coréenne (Im sang-Soo, 2005), où les héroïnes n’ont plus rien à voir avec la femme traditionnelle coréenne mais se rapprochent plus de la femme libérée occidentale.
Chapitre 3 : Les genres
Section 1 : Le mélodrame classique des années 60 et 70
Le cinéma mélodramatique est la composante majeure du cinéma coréen. Ce genre se positionne dans la continuité du théâtre tragique du début du siècle importé par les Japonais. Il est donc exploité dès les prémisses du cinéma coréen et, comme le théâtre, il s’adresse au plus vaste public. On qualifie aussi le cinéma mélodramatique de cinéma populaire. C’est à partir de la fin des années cinquante que le mélodrame devient prédominant et il connaît son âge d’or pendant les années soixante et soixante dix.
Tous les sujets sont bons pour faire pleurer le spectateur. Les plus usuels sont la misère, l’aliénation féminine ou la prostitution, les histoires d’amour et les drames familiaux. Le but du mélodrame est de provoquer des émotions fortes chez le spectateur. Il agit comme une catharsis. Les critiques évoquent souvent le réalisme de ces mélodrames. La mise en scène est réaliste et l’histoire du film évoque de réels problèmes sociaux (la prostitution dans les quartiers de Séoul, par exemple). Cependant, il faut rester prudent lorsqu’on qualifie les mélodrames de réalistes.Tout d’abord, le mélo utilise beaucoup d’artifices pour atteindre la sensibilité du spectateur. Il ne se limite pas à une narration objective et descriptive.
Dans les années 70, les couleurs utilisées sont pâles, les éclairages sont faibles. La musique (souvent classique) est déjà un instrument à finalité émotive. Elle est un code pour le spectateur et lui signifie les moments où l’histoire atteint un de ses extrêma tragiques. Enfin, les personnages évoluent dans les décors de quartiers pauvres. Il est comique de remarquer que les mêmes décors sont réutilisés dans beaucoup de films tournés à des époques proches. L’effet réaliste en est diminué. De plus, ces décors sont installés dans les studios du quartier de Chung’muro. Or, les décors se veulent très pauvres mais Chung’muro est au contraire un quartier très huppé.
Enfin, si les problèmes sont pertinents, la manière dont ils sont traités reste superficielle. Ainsi, les mélodrames montrent les blocages de la société confucianiste : l’aliénation de la femme, l’importance des valeurs vertueuses et familiales. Mais aucune solution n’est proposée pour les résoudre. Au contraire, les personnages sont des martyrs qui subissent leur destinée, et qui ont raison de s’y soumettre. L’immuabilité de la société et la fatalité vont de pair, toutes deux relèvent de forces supérieures. C’est en acceptant la fatalité que le héros parvient à la rédemption. Le mélodrame n’encourage donc en rien le spectateur à se battre contre l’injustice sociale. La société apparaît comme une entité immuable contre laquelle il ne peut rien. Le plus sage est de s’y soumettre. On l’aura deviné, le mélodrame est encouragé par les militaires au pouvoir. Dans ce régime rigide et oppressant, le cinéma est un instrument de propagande, il amadoue le citoyen : les films lui offrent de la distraction à l’intérieur d’une société où il est impuissant. De plus, tous les films sont atemporels. Aucun repère historique ne permet au spectateur de situer le film dans une époque. Ces films ne pointent donc aucun problème précis, ils n’ont aucune fonction critique réelle vis-à-vis de la société. Ils n’offrent que de l’esthétique et de l’émotion.
Section 2 : Le cinéma marxiste de la fin des années quatre vingt
Après la révolte de Kwangju de 1980, un courant naît et prend le contre-pied du mélodrame classique. Des étudiants sensibles à l’injustice sociale décident d’agir pour changer les choses. Agissant seuls ou en groupe, leur moyen d’action est le cinéma. Les universités sont le foyer de ce cinéma d’opposition. Un bras de fer se joue entre les autorités et les étudiants. Alors que le mélodrame proposait une vision fataliste de la vie, le cinéma marxiste propose de bouleverser l’ordre établi. L’ouvrier doit prendre conscience qu’il a la possibilité de se dégager de l’emprise de son patron et de se révolter contre les abus policiers. Alors que le mélodrame utilisait de nombreux artifices pour mettre en scène la pauvreté, le cinéma marxiste tourne sur les lieux mêmes de l’action. Alors que le mélodrame donnait l’illusion de la réalité, le cinéma marxiste filme sans détours la réalité.
Ces deux façons de filmer sont intrinsèquement liées aux buts poursuivis par les cinéastes. Deux tendances du cinéma naissent de deux intentions politiques opposées.Le cinéma marxiste s’organise de deux manières. Quelques rares cinéastes comme Pak Chongwon (La République noire, 1990) ou Chong Chiyong (Les Partisans du Sud, 1990 ; Au-delà des montagnes, 1991) préfèrent rester indépendants, mais la plupart des étudiants s’organisent en collectifs. Le collectif le plus connu est celui de Changsan Kotmae, formé en 1989. Un collectif est une organisation informelle qui organise la réalisation de films documentaires et leur diffusion auprès d’un maximum d’étudiants. Tous les membres du collectif doivent être capables d’assurer toutes les étapes de la réalisation du film. Selon les principes communistes, le collectif ne fonctionne donc pas suivant une hiérarchie mais tous ses membres sont censés avoir des fonctions et des compétences égales. Les films sont capturés sur vidéo ou sur des bandes 8 ou 16 mm. Ce sont les membres du collectif qui le produisent. O Pays de rêves a coûté 120 000 francs. Chaque membre y a contribué à hauteur de 1 000 à 10 000 francs. Les projections ont lieu dans les campus ou dans les villes ouvrières. Jusqu’à ce que la police saisisse la bande. Les collectifs persévèrent malgré l’intimidation effectuée par les militaires et par les grandes sociétés de production de Ch’ungmuro.
En 1992, après la projection de L’Ouverture du portail des écoles, ce n’est plus du film mais des étudiants que se saisit la police.La Veille de la grève est le premier film du collectif Changsan Kotmae, en 1989. Une grève s’annonce dans une usine de la banlieue de Séoul. Les étudiants profitent de l’occasion. Aussitôt, un étudiant s’infiltre dans l’équipe d’ouvriers. Le déroulement de la grève et des négociations est filmé in situ. Certes, le collectif donne parfois quelques indications aux ouvriers, ce qui fausse un peu la véracité du film. L’intention du collectif n’est pas seulement de montrer les difficultés ouvrières à d’autres étudiants. Elle est surtout de faire prendre conscience aux ouvriers eux-mêmes qu’ils sont exploités et qu’ils peuvent changer les choses. La caméra les incite à se positionner dans le conflit. Le fait de se savoir acteur dans un film pousse l’ouvrier à construire son histoire. Le collectif se veut être une source de motivation et d’optimisme pour les ouvriers. La caméra est l’outil de la révolution des années quatre vingt.
Section 3 : Le cinéma de genre
Le cinéma de genre, encore appelé cinéma de série B, est le plus difficile à définir. En effet, ses origines remontent aussi loin que la naissance du cinéma coréen et il englobe aussi bien les films pour adolescents, les films érotiques, les films d’action, de guerre, les histoires d’amour ou d’horreur (le terme pour les films de fantômes est le goedam). Qu’est ce qui caractérise alors le cinéma de genre ?Lorsqu’un critique utilise le terme de cinéma de genre, c’est toujours de façon péjorative, pour parler d’un film de mauvaise qualité.
Les films de série B ont en commun d’avoir été tournés dans des délais courts et à budgets réduits. Leur objectif est d’attirer le maximum de spectateurs en ayant coûté le moins cher possible. Pour attirer le spectateur, le film de genre fait appel à ses plus basses pulsions. Il s’adresse directement au « çà » de l’individu et lui propose des hémorragies, du sexe facile, ou encore les fantômes de son enfance. Il peut aussi lui offrir de l’humour gras, du premier degré. Car enfin le rire aussi est un besoin primitif. Le film de genre se décline donc sous plusieurs formes : du goedam des années quarante (Mok-Dan Ghost Story, Kim So-dong, 1947) jusqu’au K-Horror (film d’horreur coréen intégrant les nouvelles technologies) des années deux mille (The phone, An Byung-ki, 2002) ; en bifurquant par le mélo à tendance érotique (Je suis mademoiselle n°77, 1978). En plus d’avoir fait fuir de nombreux spectateurs dans les années 60 et 70 et en plus d’avoir perdu la réputation du cinéma coréen à l’étranger, le cinéma de genre est en plus la cause de l’importation de films étrangers depuis 1988. La prolifération des films de mauvaise qualité agit à terme sur l’élaboration des lois, et ceci aux dépens du cinéma national. Car l’industrie de la distribution rapporte des capitaux à l’Etat, quelques soient les films distribués. Le cinéma de genre ronge le cinéma coréen de l’intérieur.
Aujourd’hui encore, de nombreux cinéastes disposant de budgets plus avantageux cèdent encore à cette facilité proposée par le genre. Chez des cinéastes indépendants plus soucieux de la qualité, on retrouve parfois ces travers. Par exemple, certains passages de L’île de Kim Ki Duk relèvent du gore. Mais l’imagination de Kim Ki Duk sait rendre même le gore intéressant. Et il semble que ce côté plaise assez aux spectateurs européens. Les Occidentaux redécouvrent la crudité et la cruauté que les Coréens connaissent trop bien. Finalement, il semble que le gore bien exploité a ses avantages lorsqu’il sait à la fois choquer et fasciner l’Occident. L’histoire et la société sont les premières inspiratrices des réalisateurs. Il est possible de découvrir et de comprendre une part importante de la société coréenne à travers ses films. Cependant, la majorité des films coréens sont trompeurs et traitent de sujets sensibles tout en restant à la surface du problème. En effet, la franchise des réalisateurs est longtemps dissuadée ou étouffée par la censure. Les cinéastes de contestation sont timides jusque dans les années 80. C’est dans les universités et leurs clubs-ciné que le vent subversif a soufflé. La bravoure des étudiants cinéastes de cette époque a joué un rôle important dans la prise de conscience et le changement d’attitude de la population. Il est compréhensible que depuis le rétablissement de la liberté d’expression, les sujets traditionnellement tabous sont à l’ordre du jour. Les cinéastes crient au-delà de leurs frontières ce qu’ils ont longtemps tu. Examinons maintenant trois réalisateurs de trois générations différentes pour saisir concrètement le lien entre son environnement et l’attitude du réalisateur lorsqu’il crée. Leur colère vis-à-vis du gouvernement est-elle entendue à l’étranger ?
Partie 3 : Présentation de quelques cinéastes et de l’accueil qui leur est fait à l’étranger
Chapitre 1 : Le Pusan International Film Festival (PIFF)
Au cours des années quatre vingt dix, les réalisateurs basés à Pusan décident d’organiser un festival qui joue le rôle de tremplin pour les cinéastes encore non connus. Le PIFF a lieu pour la première fois en 1996 et il est complété par le Pusan Promotion Plan. C’est un succès. Kim Ki Duk, Hong San Soo, Lee Chang Dong (réalisateur de Peppermint candy, d’Oasis, promu ministre de la Culture en 2000 mais qui a démissionné en 2004) font leurs débuts au PIFF. L’effet est spectaculaire à l’étranger : le nombre de films invités à Cannes est passé de trois en cinquante ans à quatre vingt deux depuis la création du festival.
Le PIFF a une fonction plus importante que celle déjà noble de lancer de jeunes cinéastes coréens. Il est en relation avec de nombreux autres festivals. Des échanges de films et des rencontres sont organisés avec les directeurs des festivals de Canne, de Deauville, d’Udine ou de Rotterdam. L’effet profite aux pays voisins. Des films provenant de toute l’Asie sont présentés à des investisseurs provenant d’Europe et d’Asie. Le PIFF est donc une plateforme culturelle et commerciale où se signent les contrats de distribution.Enfin, le PIFF a évidemment des retombées locales. Sept universités de Pusan possèdent maintenant leur département cinéma. D’autres festivals ont été créés comme le Jeonju International Film Festival qui met l’accent sur les dernières technologies et les films alternatifs, ou le festival du film fantastique de Pucheon. Enfin, la Pusan Film Commission a été créée en 2000 afin de faciliter les tournages dans la ville.Le Pusan International Film Festival a incontestablement un rôle clef dans l’essor en Asie des activités liées au cinéma et dans la diffusion des films coréens au-delà des frontières asiatiques.
Chapitre 2 : Im Kwont’aek : réputé le plus grand réalisateur coréen, et objectivement un auteur prolifique incontournable
Im Kwont’aek a commencé à réaliser en 1962 et il reste aujourd’hui très actif. Son dernier film, La Pègre, date de 2004. Il a été présenté à Venise et on attend sa sortie sur les écrans en France. Si l’auteur persiste à aborder des thèmes traditionnels, s’il rechigne à utiliser des techniques plus modernes, il est tout de même considéré comme un modèle par les jeunes cinéastes de la nouvelle vague coréenne.
Im Kwont’aek est né le 2 mai 1936 à Changsong, dans la province de Cholla du Sud. Il fait partie d’une famille de sept enfants. Ses parents sont paysans. Son oncle est communiste : après la guerre il quitte sa famille pour la Corée du Nord, espérant leur éviter des ennuis. C’est peine perdue : la mère de l’enfant Im est torturée alors qu’elle est enceinte : elle perd l’enfant. Le père d’Im se convertit au communisme. Après la guerre, Im a l’âge d’entrer au lycée. Il quitte sa famille et part s’installer à Pusan, alors deuxième ville du pays. Là, les petits boulots se succèdent, mais Im ne s’y intéresse pas et aucun n’aboutit. Par hasard, il rencontre une équipe de cinéma qui lui propose de partir travailler à Séoul. Im accepte, sans motivation particulière, et part donc à Séoul en 1956. Selon ses mots, « il fallait manger ». Il travaille comme assistant sur plusieurs tournage de Chung Chang-hwa (A swordsman in the twilight, 1967).
En 1962, on lui confie la réalisation de Adieu au fleuve Duman. Im Kwont’aek a trouvé le moyen de gagner sa vie : le cinéma est en pleine croissance en cette période de quotas minimums et les Coréens n’ont pas encore la télévision.Jusqu’en 1972, Im Kwont’aek tourne une cinquantaine de films. Il faut atteindre les quotas. Mais beaucoup sont bâclés : il les reniera plus tard : les films n’étaient qu’un moyen de gagner de l’argent et il ne s’y était pas encore réellement investi. Au début, Im considère que le métier de réalisateur est un métier comme tous les autres. Cependant, au contraire de ses métiers précédents, il conserve celui-là. Il tourne des films à thèmes divers, qui embrassent toutes les périodes historiques. Ses films de genre n’attirent pas l’attention du public.
Ce n’est qu’en 1972 qu’Im Kwont’aek décide de franchir le pas : il tient enfin à apposer son empreinte dans un de ses films. Pour cet essai, il choisit de mettre en scène un sujet qui lui tient à cœur : la vie de sa mère. Il finance lui-même – ses moyens sont encore modestes- La Veuve abandonnée. Le film est un échec mais Im ne se démoralise pas. Il retente un film personnel l’année d’après, mais il se focalise cette fois sur la dimension esthétique. Les critiques actuels reconnaissent à Les Mauvaises herbes la qualité formelle qui deviendra une caractéristique de l’auteur, mais à l’époque, les critiques et les spectateurs restent sceptiques devant ce réalisateur qui n’a pendant dix ans tourné que des films de genre. Pendant cinq autres années, Im kwont’aek persiste à rendre ses films plus personnels.
Mais soumis aux contraintes de quotas et de censure, il alterne avec les « quotas quickies », tournés rapidement et sans budget. Il tournera jusqu’à huit films par an. Dans un contexte difficile où il doit jouer sur les deux fronts –contraintes commerciales et aspirations personnelles- Im Kwont’aek persévère. Aujourd’hui, on lui reconnaît du mérite pour s’être affirmé alors que le public restait indifférent à ses films. L’industrie du cinéma est alors en crise : la télévision se propage dans les foyers et l’audimat dédaigne les films manipulés par des mains mafieuses.
Enfin, en 1978, Im Kwont’aek est satisfait d’un de ses films. Il s’agit de L’Arbre généalogique. Viendront d’autres œuvres : L’Arc divin et Un porte-drapeau sans drapeau en 1979. Tous ces films racontent l’histoire nationale de la Corée. Mais s’il a à cœur à l’auteur de dénoncer le mensonge (mensonge dans l’industrie du cinéma, mensonges dans les films, mensonges politiques), Im Kwont’aek utilise plus le cadrage et le montage que la narration pour exposer sa vérité. C’est la construction des images qui est parlante, symbolique.
Im Kwont’aek fixe la caméra et c’est à l’intérieur d’un cadre immobile qu’évoluent les personnages d’un plan. Il insuffle de la dynamique via les éléments ou les personnes filmées. Il s’agit d’une façon de faire totalement contraire à celle de ses contemporains inspirés des réalisateurs occidentaux : la caméra est mobile, elle suit l’action de l’intérieur. Im Kwont’aek choisit donc d’avoir un regard beaucoup plus distant sur son action et sur ses personnages. Son point de vue est plus global et n’en est que plus enrichi : il observe le héros immergé dans son milieu. Le spectateur peut donc saisir plus d’éléments expliquant l’évolution du personnage en synergie avec le milieu naturel, social et culturel qui l’entoure.
Im Kwont’aek confirme au fil de ses films son statut d’auteur au regard sage et spirituel.Ce n’est qu’en 1981 qu’il est enfin reconnu. Son soixante-quinzième film, Mandala, est un succès national et est diffusé dans les festivals étrangers. Ses films sont alors de plus en plus connus et reconnus : La Mère porteuse (1986), Adada (1988), Plus haut, encore plus haut (1989), mais surtout La Chanteuse de Pansori (1993) et Ivre de femmes et de peinture (2002) qui est encore diffusé sur les écrans français. Tous restent des films qui racontent l’histoire du pays et dépeignent sa culture de façon poétique et sobre. Mais chacun a un style différent – mélodramatique dans La Mère porteuse, réaliste dans Ticket, baroque dans La Chanteuse de Pansori -, et la diversité des thèmes traités font de l’œuvre d’Im Kwont’aek une véritable encyclopédie.
Chapitre 3 : Jang sun woo: le Leos Carax coréen
Jang Sun Woo, de son vrai nom Jang Man-chul, naît le 20 mars 1952 à Séoul. Il y étudie l’anthropologie et entre dans une troupe de théâtre. En 1980, il passe six mois en prison pour avoir mené des activités militantes (dont la distribution de tracts sur le massacre de Kwangju). Il entre dans le monde du cinéma en tant que scénariste. En 1982, il est assistant réalisateur de Choi Ha-Won. En 1986, il réalise son premier film en collaboration avec Son Yoo, L’Empereur de Seoul, qui sera interdit par la censure. Seul, il réalise en 1989 Lovers in Woomuk Baemi (L’Amour à Umukbaemi), adapté du roman de Park Young-han ; en 1991 Road to the racetrack (Le Chemin de l’hippodrome) et en 1993 La Voie de Bouddha. En 1996, il réalise un film qui lui tient à cœur depuis plusieurs années : A petal, qui narre le massacre de Kwangju.
En 1997, il filme les adolescents marginalisés de Séoul. Timeless, Bottomless, Bad movie n’obéit à aucune règle. La seule règle est de montrer. De tout montrer. Le spectateur coréen protégé dans sa bulle de confort assiste à la vie des marginalisés qu’il côtoie quotidiennement sans les voir. Le film n’a aucun fil conducteur, le scénario est écrit par des acteurs qui jouent leur propre rôle. Jang Sun Woo montre la prostitution, la vie dans la rue, tout le revers de la riche société capitaliste de Séoul. Il montre la vérité crue. Il ne veut pas ménager mais déranger. C’est sa façon de protester contre l’hypocrisie sociale. Pendant le tournage, la rumeur court qu’il abandonne le plateau aux mains de l’équipe et des acteurs et préfère se livrer à des orgies. Toutes ces légendes servent à construire sa réputation auprès du public mais aussi auprès des producteurs.
En 1999, il fait Lies (Fantasmes), film sado-masochiste et critique sociale adaptée d’un livre censuré en Corée. Le film est présenté au festival de Venise. C’est un tel succès que Jang Sun Woo décide de se lancer dans une superproduction audacieuse adaptée du conte d’Andersen : Resurrection of the little matching girl. Jang Sun Woo n’en finit plus de demander des délais et des capitaux frais. Son salaire est le plus élevé de tous les cinéastes coréens. Lorsque le film sort, les critiques sont mitigés : Jang Sun Woo utilise tous les ingrédients propres aux superproductions (érotisme facile, effets spéciaux impressionnants, simplicité du scénario) pour les tourner en dérision. A la surprise des cinéastes coréens scandalisés, le film est un succès. C’est à ce jour son dernier film. Actuellement, Jang Sun Woo prépare son prochain film dans les steppes de Mongolie.
Chapitre 4 : Kim ki Duk : l’autodidacte provocateur
Kim Ki-duk est un réalisateur, acteur, chef décorateur, chef monteur, directeur artistique, producteur et scénariste autodidacte.Né le 1er octobre 1960 à Bonghwa, un village de montagnes au Nord de la Province de Kyonsang en Corée du Sud, Kim Ki-duk déménage à Séoul à l’âge de neuf ans. Le renvoi de son frère aîné l’oblige à quitter le lycée. Il intègre alors une école d’agriculture puis travaille en usine dès l’âge de 17 ans. Trois ans plus tard, il s’engage dans la marine et y reste 5 ans.
A 25 ans, il envisage de devenir prêtre. Mais depuis l’enfance, c’est la peinture qui l’attire. Il s’envole à Paris en 1990 pour y étudier le dessin et la peinture. Peintre de rue à Pigalle puis à Montpellier, il gagne difficilement sa vie. En même temps, il découvre le cinéma à travers Basic instinct de Paul Verhoeven, Le silence des agneaux de Jonathan Demme, L’amant de Jean-Jacques Annaud ou Diva de Jean-Jacques Beinex. De retour en Corée en 1994, il écrit des scénarios. La Scenarist Association lui attribue le Prix de la création pour « Painter and prisoner », son premier scénario. Le second, « Illegal crossing », sera primé par la Korean Motion Picture Association. En 1996, Kim Ki-duk réalise son premier film : Crocodile. Il réalise ensuite au rythme effréné d’un film par an. Son deuxième film, Wild animals, est tourné à Paris et sort sur les écrans en 1997. Richard Borhinger et Denis Lavant y font une apparition. Mais Kim Ki-duk parle mal français : il se focalise sur « ses » acteurs coréens et donne peu d’indications aux acteurs français. Ces deux premiers films passent inaperçus en Corée et à l’étranger. Pour parer à ces échecs, Kim Ki-duk est contraint de réécrire un scénario, « Birdcage Inn », en 1998. Il est mieux accueilli par la critique, peut-être grâce à la note optimiste qui était absente dans ses deux premiers films.
En 2000 sort L’île. C’est un succès à l’étranger : il est primé au festival de Venise. La même année il réalise Real Fiction, un véritable défi technique. Pour ce film expérimental Kim Ki-duk utilise dix caméras numériques tournant simultanément à des lieux distincts, et il monte le film en une durée record de quatre heures. Kim Ki-duk tourne en 2001 son film le plus autobiographique : Adresse inconnue. Pour la première fois, le public coréen montre de l’intérêt. A l’étranger, certains pays refusent de le diffuser à cause des scènes de brutalité effectuée sur des animaux. Cependant les festivaliers occidentaux se disputent le film dans lequel ils décèlent une provocation intéressante. Ce n’est qu’en 2001 qu’il remporte son premier réel succès en Corée avec Bad guy. Mais il faut relativiser cette victoire, en réalité due à la popularité de l’acteur principal. Cho Jae-hyun, l’acteur fétiche de Kim Ki-duk depuis Crocodile, est devenu une star du petit écran. En 2002 il est invité par le Forum des Images de Paris : une rétrospective complète de son œuvre est organisée à l’occasion de l’Etrange festival. Il tourne The coast guard, et en 2003 Printemps, été, automne, hiver et… printemps. Si le spectateur est réticent à la violence du premier, il est séduit par la poésie et l’esthétique du deuxième.
A la même époque il décide avec sa maison de production, la Kim Ki-duk Film, d’investir 1 000 000 $ US dans son nouveau film : Samaria, autrement appelé « Samaritan girl ». Le film est tourné en dix jours. Il lui vaut un Ours d’Argent du meilleur réalisateur au festival de Berlin 2004. En France, Les Locataires sort en avril 2005 et on prévoit la sortie de « Fer 3 ».Des thèmes sont récurrents dans la filmographie de Kim Ki-duk, peut-être parce que ses films sont toujours d’inspiration autobiographique. Dès Crocodile, le type de son personnage principal est un homme violent en marge de la société. Dans la plupart de ses films, il se fait représenter : dans Adresse inconnue il est l’adolescent timide. Dans Printemps il joue lui-même le rôle du moine adulte.
Dans son interview donnée à Volker Hummel au festival de Berlin, Kim Ki-duk dit être motivé par la haine et l’incompréhension pour réaliser ses films. Frappé sans raison par un homme dans le quartier rouge, Kim Ki-duk avoue avoir ressenti une haine intense à son égard. C’est pour mieux tenter de comprendre la violence gratuite de son agresseur qu’il a inventé le personnage de Bad guy. Dans la même interview, il explique que la mise en situation via ses films est une manière pour lui d’appréhender de façon plus claire les injustices physiques ou sociales qu’il ne comprend pas. Son goût artistique ressort via les sujets traités : dans Wild animals et Real fiction, il met en scène un personnage peintre ; et via les plans esthétiques de ses films, où l’eau a un rôle important, dans L’île et dans Printemps notamment. Les déviances sexuelles des femmes sont un sujet qui réapparaît dans L’île pour ce qui est du sado-masochisme, dans Adresse inconnue pour ce qui est de la zoophilie, dans Bad guy ou Samaria pour ce qui est de la prostitution choisie. Si l’engouement des spectateurs pour Kim Ki-Duk est net en Occident, il est plus modeste en Corée. Bad guy est son film qui a fait le plus d’entrées en Corée. Mais cette réussite est un leurre : c’est l’acteur principal, simultanément star du petit écran, qui a attiré le public.
En revanche, les festivals occidentaux se disputent le réalisateur. C’est grâce à l’étrange festival du Forum des images que les Français ont fait sa connaissance. Si les scènes crues de violence choquent, son originalité fascine. L’île est un bijou à double face : les scènes sado-masochistes se fondent dans un paysage aquatique surréaliste. Le gore devient parfois ridicule, des spectateurs quittent la salle : on se demande quel effet cherche à produire le réalisateur lorsqu’il filme en gros plan ses personnages s’enfonçant des hameçons dans le vagin puis dans la gorge. D’autres y voient plus qu’une élaboration masochiste : une poésie à la Lautréamont.
Il apparaît que seuls les deux plus jeunes cinéastes aient ouvertement critiqué. Im Kwont’aek a du composer avec les contraintes plus lourdes de son époque et il s’est accommodé de la censure : il s’est appliqué à développer son style plutôt que de prendre des risques. A l’étranger, les cinéastes ont besoin des festivals qui jouent le rôle d’intermédiaires pour être introduits auprès du spectateur. Si ce dernier trouve au cinéma coréen un certain attrait, il n’a cependant pas toutes les clefs pour bien le comprendre.
Conclusion
Le cinéma coréen est donc fortement modelé par son histoire. Objet d’une forte censure et de contraintes financières jusque dans les années 80, les cinéastes ont été obligés de développer un cinéma de basse qualité. Ce cinéma de genre nuit aujourd’hui à la réputation du cinéma coréen à l’étranger. Si les nouvelles superproductions ont envahi les pays voisins, les Européens restent encore prudents. Cependant, les cinéphiles décèlent une originalité qui les incite à pousser plus loin leur connaissance du cinéma coréen. Plus intéressés par les films indépendants ou traditionnels de meilleure qualité, les Français n’en sont encore qu’à la phase de découverte.
La poésie et le mystère provoquent chez nous de la fascination. En effet, le spectateur français possède souvent peu d’éléments pour comprendre la psychologie des personnages. Le vécu et les référents du Français et du Coréen sont le jour et la nuit. Il est très probable que l’intérêt croissant des Français et des spectateurs d’autres pays envers ce cinéma se trouve comblé. En effet, la production massive nous offre de plus en plus de bijoux.
Bibliographie
- Antoine COPPOLA, « Le cinéma sud-coréen : du confucianisme à l’avant-garde », 1997, Images plurielles ;
- « Le cinéma coréen » sous la direction d’Adriano APRA, cinéma/pluriel, 1993, centre Georges POMPIDOU.
- « Cinquante ans de cinéma coréen, catalogue de la rétrospective Cinémathèque française », Paris, « Cahiers du cinéma », 2005 ;
- « Cinémas d’Asie », Paris, MAD MOVIES hors-série n°3, 2003.