L’Âme sœur- Sortie Blu-ray chez Carlotta.

Article écrit par

Une œuvre singulière et dérangeante à découvrir dans sa superbe restauration HD.

Isolée au cœur d’une montagne Suisse, vit, dans un confort minimaliste, une famille composée d’un couple et de leurs deux enfants, dont une fille en âge de prendre son envol et un garçon sourd et muet.  Sorti, il a pratiquement quarante ans, le métrage détonne toujours autant aujourd’hui, car, si le qualificatif d’original mérite bien souvent  des précautions, il demeure pourtant difficile de trouver des films qui peuvent servir de mètre étalon à cette Âme sœur. S‘en rapproche, de par son profond ancrage terrien et sa radicalité, mais surtout par le troublant  malaise qui nous poursuit après le clap de fin, le récent Bruno Reidal, confession d’un meurtrier (Vincent Le port, 2022). Mais ici, avant de livrer un dénouement des plus sombres, la voie empruntée est certes tortueuse mais loin de laisser supposer l’ampleur du drame. Au cœur de la tragédie, ce garçon hors-norme d’une quinzaine d’années, appelé durement Le Bouebe – le marmot – par tous les membres de la famille qui le considèrent tantôt avec dédain, tantôt avec une tendresse gênée, et est même parfois perçu comme une forme de malédiction – enfanté par une mère trop âgée. Ses troubles comportementaux et son absence de filtre le privent d’une existence autonome, mais les trois autres membres du foyer s’en accommodent par ailleurs, y trouvant un écho à leurs propres déviances.

Cette existence en vase-clos – seul un repas chez les grands parents – montagnards eux aussi -, vient agrandir le cercle, est captée dans un registre qui se rapproche du documentaire. Le regard de Fredi M. Murer sensible aux micros événements du quotidien, place au même niveau les taches liées à la gestion du foyer que les soubresauts de violence du garçon, la dureté de certains jugements que les réflexions triviales des parents sur la sexualité de leurs enfants. La crudité, la trivialité de certaines situations n’ont jamais vocation de choquer, le naturel des comédiens contribuant grandement à cette absence de moralisme. Si on ajoute à cette neutralité, tout refus d’une montée irréversible en tension par  le  montage, la musique ou tout autre effet de mise en scène, l’ampleur des conséquences d’un événement pourtant peu acceptable par essence est loin d’être prévisible. Tout se passe comme si l’ordre naturel des choses en avait décidé ainsi, le cycle de la vie selon les lois de la nature.

En parallèle de ce récit intimiste et violent, se développe une ode à la nature. Contemplative, métaphysique, poétique par ces longues scènes qui célèbrent la force des éléments, la beauté d’une nature capricieuse, avare ou généreuse selon son humeur. Pragmatique par la mise en exergue des nombreux gestes du quotidien en rapport avec le rythme des journées et des saisons, actions que l’on qualifie aujourd’hui pompeusement d’écologiques, mais qui relevaient à une époque pas si lointaine du simple bon sens paysan, à l’instar de la récupération des eaux de pluie et la préparation des bougies. Prophétique, même, lorsque le mère sermonne le père qui s’oppose le plus souvent à des achats de confort comme un téléviseur  : « Avec toi, ici, on a l’impression de vivre à l’époque des cavernes », l’homme rétorque : « Avec ce que les gens font dans la plaine, on va être forcé de revenir bientôt à cette époque ». Mais cette  recherche de l’harmonie terrestre ne peut accepter des comportements familiaux contre nature, d’où le déchainement final.  Ainsi, en guise d’épitaphe, on aurait pu lire ici les mots d’ Henry James :  « Nul ne saura jamais si les enfants sont des monstres ou si les monstres sont des enfants. »

L’Âme sœur– Sortie Blu-ray le 16 janvier 2024 chez Carlotta.

 

 

Titre original : Höhenfeue

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 118 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Journal intime

Journal intime

Adapté librement du roman de Vasco Pratolini, « Cronaca familiare » (chronique familiale), « Journal intime » est considéré à juste titre par la critique comme le chef d’œuvre superlatif de Zurlini. Par une purge émotionnelle, le cinéaste par excellence du sentiment rentré décante une relation fraternelle et en crève l’abcès mortifère.

Été violent

Été violent

« Eté violent » est le fruit d’une maturité filmique. Affublé d’une réputation de cinéaste difficilement malléable, Zurlini traverse des périodes tempétueuses où son travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Cet été
violent est le produit d’un hiatus de trois ans. Le film traite d’une année-charnière qui voit la chute du fascisme tandis que les bouleversements socio-politiques qui s’ensuivent dans la péninsule transalpine condensent une imagerie qui fait sa richesse.

Le Désert des tartares

Le Désert des tartares

Antithèse du drame épique dans son refus du spectaculaire, « Le désert des Tartares » apparaît comme une œuvre à combustion lente, chant du cygne de Valerio Zurlini dans son adaptation du roman éponyme de Dino Buzzati. Mélodrame de l’étiquette militaire, le film offre un écrin visuel grandiose à la lancinante déshumanisation qui s’y joue ; donnant corps à l’abstraction surréaliste de Buzzati.