La Zona, Propriété Privée (La Zona)

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Loin d´être attendrissant, « La Zona » est un film à couper le souffle, une oeuvre forte, implacable et percutante, un assourdissant signal d´alarme.

Suivant la trame d’une chasse à l’homme, le scénario de La Zona recouvre un certain nombre de thèmes qu’il serait vain d’énoncer exhaustivement. Etonnamment riche en idées, le long-métrage de Rodrigo Pla n’est ni un simple thriller, ni une chronique sociale mais bien les deux à la fois : un excellent divertissement, en apparence, qui parvient à condenser de solides interrogations sur le devenir de la société mexicaine, voire de toutes les sociétés occidentales.

Trois jeunes Mexicains des classes populaires pénètrent un soir dans un riche quartier résidentiel hautement surveillé, la Zona. Ils commettent là un cambriolage qui tourne mal. Immédiatement alertés, les habitants se lancent eux-mêmes à leur poursuite. Seul le plus jeune des délinquants réussit à s’en sortir vivant. Reste encore pour lui à s’enfuir de la Zona et à franchir le mur hérissé de fils barbelés qui le sépare du reste de la ville.

Un film choral

La Zona adopte le principe du film choral. Aucun personnage n’est réellement mis en avant par rapport aux autres. Tous ont leur importance, tous ont un rôle précis à jouer dans l’intrigue. Répondant à un excellent travail de casting, le film regroupe l’ensemble des protagonistes en trois catégories principales : les habitants du quartier, les policiers et les personnages issus de la classe populaire. Ces groupes se confronteront les uns aux autres tout au long du récit. Chacun d’entre eux contient également différentes sous-catégories rivales. Ainsi, on compte d’une part, parmi les habitants de la Zona, le clan des miliciens, adultes et adolescents, et d’autre part, ceux qui ne désirent pas prendre part au conflit. Deux protagonistes du côté des forces de l’ordre se démarquent des autres : l’inspecteur chargé de l’enquête et son supérieur. Le premier cherche par n’importe quel moyen à connaître la vérité sur les agissements des habitants. Se laissant facilement corrompre par d’importantes sommes d’argent, le second désire classer l’affaire le plus tôt possible. La troisième et dernière catégorie de personnages, enfin, représente les victimes de la violence des deux premières. L’adolescent captif est tout à la fois traqué par les résidents de la Zona et délaissé par les agents de la police. Ecoutées dans un premier temps par ces derniers, la mère et la petite amie du délinquant subissent les mêmes sarcasmes que lui, et bien pire encore…

Tout à la fois complexe et limpide, le récit de La Zona se veut résolument pessimiste quant à la nature des relations humaines dépeintes. La particularité de la narration exploite l’idée que les seuls rapports sociaux et familiaux possibles répondent – à une exception près – à la soif de violence des protagonistes. Inutile donc de chercher un héros dans cette histoire, il n’y en a pas. Le véritable personnage central du film, en réalité, s’avère être la Zona elle-même.

Un film insulaire

Le film accorde beaucoup de soin à la conception de l’espace du récit. D’une démarche impressionnante, l’un des premiers plans donne le ton : un papillon voltige devant un lot de maisons massives et de voitures imposantes et conduit la caméra à dévoiler l’envers du décor, le mur qui enclot les lieux et au-delà les quartiers pauvres qui s’étalent à perte de vue. Sans pour autant relever du huis clos, La Zona s’apparente à un film insulaire : le quartier résidentiel correspond à une île paradisiaque dans laquelle ses ressortissants, avec tout le confort possible, vivent détachés du monde et de ses véritables problèmes. Les relations qu’entretiennent les parents avec leurs enfants pâtissent de la situation : comment leur expliquer, se demande un père de famille, qu’ils ne vivent pas dans le monde réel mais bien derrière un mur ? Les quartiers pauvres aux alentours s’assimilent selon la même logique à un vaste océan en ce qu’ils recèlent de nombreux dangers et menacent de recouvrir l’ilot de fortune de ses flots. Les policiers, quant à eux, font figure d’impitoyables écumeurs de fonds.

Les images apparentées aux caméras de surveillance renforcent de leur côté le caractère insulaire de l’espace : la Zona ne se définit pas seulement comme un espace physique mais aussi comme un monde proprement visuel. L’emploi récurrent de ce type d’images exacerbe l’enfermement des protagonistes et renforce la propagation de leur paranoïa.

Un film-catastrophe

Disposant d’un tel cadre, le long-métrage puise son énergie dans la singularité de son rythme. Comparable à la nouvelle de James G. Ballard, Le Massacre de Pangbourne, qui raconte plus ou moins la même histoire, le film de Rodrigo Pla, selon le mot de l’écrivain britannique, est un film-catastrophe « au ralenti ». L’action est rapidement introduite avec la scène de cambriolage et se fragmente progressivement dans chaque cellule de protagonistes. La structure du film revient à suivre de près le cheminement de cette fêlure jusqu’à son ultime craquement. D’une précision chirurgicale, la force motrice du film étale la paranoïa des ressortissants de la Zona sous des formes de plus en plus perverses (surveillance, délations, cloisonnement) et conduit les habitants des quartiers défavorisés à se voir meurtris toujours plus profondément dans leur propre chair. Pris au piège dans leur espace vital pour certains, agressés tant moralement que physiquement pour les autres, les protagonistes du film sont enserrés dans un étau que le cinéaste manipule avec une étonnante habilité.

Déployant son film à l’image d’un inexorable tourbillon de violence, Rodrigo Pla signe une acerbe critique sociale des plus persuasives. Le film prône clairement l’idée qu’une société envisagée en termes de sécurité et de protection civile finit inévitablement par se retourner contre elle-même. Evinçant volontairement ses détenteurs du film, le réalisateur semble prendre position contre l’indifférence, voire même la complaisance actuelle du pouvoir politique face à une telle situation.

D’une incroyable densité, La Zona, premier long-métrage de Pla, est un film-phare de ce début d’année 2008.

Titre original : La Zona

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Durée : 98 mn


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