La Vie de ma mère

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« Absolument » Agnès Jaoui, nous dit le réalisateur.

Un beau début sur grand écran, pour un ancien réalisateur d’émissions de Rémi Gaillard et de Thomas VDB.

En langage des fleurs, La Vie de ma mère, premier long-métrage de Julien Carpentier, est un plaisant bouquet d’achillées, de bleuets et de chrysanthèmes. Ce n’est pas le seul long-métrage de cette année dans lequel Agnès Jaoui joue une mère juive qui a une relation difficile avec un fils qui la protège, et ce n’est pas le meilleur non plus – mais, porté par une distribution qui bout d’envie de bien faire, et, parcouru par une grâcieuse philosophie d’acceptation des compromis (ce sentiment que chaque enfant adulte est amené à internaliser quand il passe un week-end avec ses parents), il bénéficie d’une tendresse plutôt bien entretenue et touchante, celle-là même qui caractérise non pas la facilité d’aimer une personne aimable, mais l’effort qu’on fait de pardonner à une personne instable. La Vie de ma mère n’est pas un drame secouant sur la bipolarité, mais c’est une affable petite comédie dramatique sur une maman chaotique qui, par ailleurs, souffre de cette condition : c’est un film facile à suivre, facile à vivre, et, en cette qualité, c’est un bon moment à passer au cinéma, lequel réussit à nous faire oublier son manque d’ambition. Il se regarde le mieux avec un ami non-cinéphile. Surtout, c’est un chouette réquisitoire pour les talents de William Lebghil ! Le comédien de Soda a bien grandi, bien mûri et tout le toutim. Désormais, avec ses rudiments de poils blancs à la barbe, l’acteur Villeneuvois a l’air d’un vrai adulte, pesé par les responsabilités, par son inaptitude à se projeter, et par une simple question : Quand va-t-il retourner vers sa mère ? Il sait qu’il n’a pas envie de ne plus jamais la revoir, mais il a besoin de distance. Le personnage maternel prend beaucoup de place dans le film, est très bruyant. Le protagoniste va-t-il réussir à s’affirmer, face à elle, malgré elle ? Va-t-il réussir à se faire voir par sa mère comme une personne complète, quand la présence de celle-ci crée invariablement chez lui le sentiment de n’exister qu’à travers elle ?

Pierre Habbab (Lebghil) est un fleuriste sur le point de passer à l’étape supérieure, pour ce qui est de faire grandir sa boutique, quand sa grand-mère l’appelle en urgence : Judith (Jaoui), qu’il n’a pas revu depuis deux ans, vient de s’échapper de sa clinique psychiatrique, et exige, à sa manière, que son fils adoré passe du temps avec elle. Le choix du prénom pour ce personnage de mère, ainsi, on le redit, que sa judéité (signalée par des étoiles de David sur une tombe visitée, et par la tradition vénérienne du couscous), ne sont pas anodins dans le scénario : dans l’Ancien Testament, Judith ou Yéoudith, c’est la veuve pleine de courage qui triomphe du général Holopherne, envoyé par le roi Nabuchodonosor. C’est la figure torahique et biblique qui redonne la foi à son peuple en leur prouvant la puissance et la compassion du créateur.

C’est vrai, dans le film de Carpentier, la Judith Habbab écrite par celui-ci et Ben Garnier est moins jeune, moins sanglante, mais, on finit par l’apprendre, elle est bel et bien veuve. Et elle est bien louée de Dieu (« louée » étant l’étymologie grecque du prénom Judith). Et, c’est vrai, elle a échoué à prévenir l’invasion de sa vallée de Judée par les Assyriens (la Béthulie de la famille Habbab : La ville de Biscarosse, de laquelle ils ont déménagé), mais elle n’est pas prête à renoncer dès maintenant. Et elle redonne bien la foi à son peuple, c’est-à-dire à son fils, Saint-Thomas-Paumé qui ne croit pas aux possibilités assainissantes tant qu’il ne les voit pas .

Revenant dans la vie de Pierre comme un pavé, Judith bouscule tous ses repères pour lui en donner des nouveaux. Elle fait communauté avec lui, fait du neuf avec du vieux, et lui rappelle, sans prêchi, ses racines : elle lui parle de la coutume hébraïque de poser des pierres sur des pierres (tombales). Elle le renseigne sur l’origine de son prénom. Et elle l’amène à se souvenir que les compositions florales, ce n’est pas seulement une affaire de beauté esthétique mais aussi de plaisir d’offrir (peut-être à Lisa, jouée par Alison Wheeler), de laisser-aller (avec Ibrahim, joué par Salif Cissé) et, en effet, de langages des fleurs. De là à dire que tous les bouquets qu’on voit dans l’œuvre ont une signification précise – Nous ne sommes pas assez calés pour en être sûrs. C’est à vérifier !

Il y a une distinction entre la sincérité et le bon sentiment trop tarte. Le film réussit globalement à rester du côté du premier.

Le Dernier des Juifs, l’autre film de 2024 dans lequel Jaoui joue une mater séfarade malade, également un premier long-métrage (celui du scénariste versatile Noé Debré), donnait beaucoup d’espace et de confiance à sa distribution. Il savait trouver une vraie force lunaire dans son humour verbeux de bédé – Un dialecte justement très Jaouisien, qui s’épanouissait quelque part entre Achille Talon et Riad Sattouf. Dans cette œuvre, le cinéaste strabourgeois continuait tranquillou de travailler son chantier sous-jacent de reconstruction de la France (reconstruction de la France dans l’Europe et de la France de l’Euro dans La Vénus d’Argent ; reconstruction de la France multiculturelle dans Sentinelle Sud ; reconstruction, même, de la France globalisée et babylone dans Problemos), et il s’offrait les services du directeur de photographie Boris Lévy, qui s’acquittait très bien de tout mettre en images avec beaucoup de chatoyance. Face à ce film, La Vie de ma mère est moins original, moins durable, mais il a pour lui le doux fumet d’une œuvre qui sait ce que c’est que l’écoute active. En outre, elle est aussi très bien mise en images par Martin De Chabaneix, qui était entré au cinéma par la porte Dahan en étant assistant sur Le Petit Poucet.

Le long-métrage n’a pas que des mérites, malheureusement. Une utilisation du morceau Les Yeux de ma mère, d’Arno, est par exemple maladroit car trop direct – trop simpliste et trop à propos quant à ce qu’on est en train de voir. De plus, la voix du performeur est unique et distrayante : On est sortis du film car cette chanson ne se prête pas à servir un petit effet de transition d’une révélation à une émotion. On ne réussit plus à se concentrer sur les images car la tessiture de ce choix sonore nous pousse du vélo. Entre autres, il nous fait remarquer que la mise en scène utilitaire du film n’est ni assez dégourdie ni suffisamment récréative pour maintenir notre attention en toutes circonstances. Un autre souci : la performance d’actrice de Jaoui est bien intentionnée, mais, surtout au début, elle est dure à encaisser. C’est sans doute une volonté pour le film de ne pas nous épargner le rentre-dedans de cette mère-bulldozer brasante. Mais le spectateur se prend le jeu de Jaoui comme il se prendrait un bus, c’est-à-dire, de face et d’un coup. Jaoui est généreuse dans sa partition en ceci qu’elle veut rendre son personnage animé et émulsif. Mais elle abuse de ses tatieusetés : Judith, c’est cette femme qui porte toujours le même foulard (probablement porte-bonheur) et qui parle systématiquement aux gens devant et derrière elle dans toutes les files d’attentes. On le comprend. Judith, c’est aussi, apparemment, cette femme qui ne possède que des CDs de compilations de tubes des années 80, 90, etc, et qui parle en « au’evoir ! » et en « ‘a y est ! ». On le comprend moins ! Malgré tout, ces ratés empêchent surtout au film d’être culte ou pérenne, ce qu’il n’est pas, de toute manière, destiné à être.

La Vie de ma mère, c’est aussi un de ces films qu’il vaut peut-être mieux découvrir longtemps après sa sortie, oublier, puis, en le redécouvrant des années plus tard encore, se souvenir qu’effectivement, tout y était bien huilé et embaumant. Les productions appelées à être mieux vues à la télé, c’est comme tout, il y en a des mauvaises et des bonnes. Et ce que Werner Herzog disait à propos de la trash TV, on peut tenter, prudemment, de l’appliquer à La Vie de ma mère : « Le poète ne doit pas détourner le regard ». Au nom de quoi le ferait-on ? Si vous pouvez vous imaginer demander avec un soupir nostalgique « Tu te rappelles, la dune du Pilat pendant nos vacances aux Landes ? », vous pouvez vous imaginer aimer La Vie de ma mère.

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Durée : 105 mn


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