« La mort ne peut être imaginée, puisqu’elle est absence d’images. Elle ne peut-être pensée, puisqu’elle est absence de pensée. Il faut donc vivre comme si nous étions éternels. »
Ces propos de André Maurois résument la thématique principale de La Source à travers la notion de « l’absence », leitmotiv récurrent dans tous les films d’Ingmar Bergman. Déjà dans Le Septième sceau, le metteur en scène abordait l’idée de l’absence religieuse à travers un regard plus manichéen d’un chevalier en croisade. Le décor et les personnages de la Source tout en étant placé dans un univers religieux, sont plus policés. La mise en scène est d’une incroyable sobriété, comme si le metteur en scène plaçait le silence au milieu de son film.
Le récit prend place au 14e siècle, Töre est le patriarche d’un petit domaine rural. A l’occasion d’une célébration religieuse, il envoie sa fille unique, Karin porter des cierges à l’Eglise du village. En chemin, elle rencontre des bergers qui la viole et la tue. Son corps est laissé en l’état dans la forêt… La famille s’inquiète, d’autant plus que des bergers font halte dans leur maison.
Bergman met en scène, sans détour, la cruauté des séquences, notamment celle du viol puis de la mort de la jeune femme. Ainsi, le spectateur ne peut que prendre conscience de la dramaturgie des questions posées. Est-il possible d’oublier ? De pardonner ? Et plus simplement, existe-il une justice divine ? Derrière ce discours théologique presque baptiste, Bergman n’hésite pas à apporter des réponses par l’intermédiaire du père de Karin, qui s’identifie volontiers à la conscience du metteur en scène. « Je ne vous comprend pas, cependant, j’implore votre pardon ». Un tel drame ne peut exister si il existe un jugement divin.
La volonté, non ambigu du metteur en scène, d’afficher ses doutes à l’égard du discours religieux ne peut être blâmé. Cependant, on peut rester plus nuancé et distant à l’égard de cette mise en scène ostensiblement « religieuse ». La photographie est quasiment biblique avec des scènes proche de la nature et des jeux de lumière éblouissants. Le récit prend appui sur de longues scènes mettant en avant, non pas le doute des protagonistes, comme il le fera dans Les Communiants mais l’aveuglement qu’ils ont vis-à-vis de la religion.
Derrière le rideau d’un récit placé dans un univers moyenâgeux et d’un discours religieux, Bergman réduit la problématique à une série de faits. Un viol, une mort, une vengeance, un pardon, une rédemption. Le débat ne peut être cartésien. Pour reprendre la citation d’André Maurois, derrière la terreur de la photographie, notamment ces plans où le cadavre de Karin reste immobile, la mort ne peut être pensée, rendue. Elle ne peut être comprise. Le metteur en scène choisit donc une solution biblique, la vengeance puis le repentir pour exprimer l’absence de description possible de la mort. Sur ce point, d’autres films postérieurs seront plus constructifs à l’instar de Cris et chuchotements.
A l’endroit où repose le cadavre de Karin, une source jaillit. « A cet endroit, pour me faire pardonner […] De mes mains, je bâtirais une église en pierre ». Nous sommes, à l’évidence, dans un film trop prophétique. La question qui se pose n’est pas celle du fondement de son discours, qui ne peut guère être remis en cause mais de l’intérêt de débattre et d’afficher un sujet peu enclin à un grand débat, même à la lumière de toutes les religions monothéistes. Ce film est donc au final assez décevant malgré l’excellence technique qu’il dégage.
Les Communiants est sur ce point, à l’inverse de La Source, d’une grande richesse dans le débat de « l’absence religieuse ».