La Passion selon Béatrice

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Rendez-vous manqué

Lorsqu’elle est découverte dans le film 37°2 le matin (1986), où elle incarne Betty, une jeune femme sensuelle et libre, Béatrice Dalle, se retrouve propulsée au rang de sex-symbol. Cette image idéalisée qu’on lui attribue lui colle à la peau un certain temps. Au début de sa carrière, on ne lui propose que des rôles où elle doit tourner entièrement nue. Elle est récemment revenue sur cette période et a expliqué qu’étant nouvelle dans ce milieu, elle ignorait son droit de tourner en équipe réduite les scènes d’intimités. Plusieurs techniciens et figurants étaient donc restés observer le tournage de ces scènes et ce, sans son consentement¹En contraste avec l’image plus superficielle du sex-symbol qui s’est construite à son détriment au début de sa carrière, La Passion selon Béatrice vise ainsi à présenter une Béatrice Dalle cultivée et sensible. 

Depuis une quinzaine d’années, Dalle a complètement dynamité cette image en s’associant, entre autres, à l’imagerie punk et destroy. Cette entreprise passe notamment par plusieurs types de revendications (tatouages, lectures publiques) ayant pour but d’affirmer son adoration pour l’oeuvre de ces artistes – allant de Jean Genet à Kurt Cobain – et surtout pour Pasolini, qu’elle considère comme l’homme de sa vie. L’actrice est profondément attirée par ces figures, par leur imaginaire de vie à la fois romanesque, marginal et transgressif, dans lequel elle explique se reconnaitre. 

Le point de départ du documentaire est le suivant : tracer un portrait singulier de Béatrice Dalle au fil d’un voyage en Italie, dont le but est de partir à la rencontre de Pasolini. Le projet est produit grâce au soutien de la maison de haute couture Saint Laurent dirigée par Anthony Vaccarello qui a développé en 2019 un pôle production et a produit le film Lux Æterna (2019) dans lequel Béatrice Dalle tenait le premier rôle. C’est donc naturellement que la maison produit ce documentaire à l’effigie de leur muse où le noir et blanc du film rappelle implicitement l’ADN de la marque. 

La Passion selon Béatrice tente alors dans son dispositif de faire advenir une rencontre entre Béatrice Dalle et Pasolini de ce voyage Italien. Plusieurs réalisateurs, dont Nanni Moretti, ont déjà entrepris cette quête, mais si chez Moretti, le retour sur la plage d’Ostie résonne comme une filiation avec sa pensée politique, chez Dalle, on peine à comprendre ce qui la traverse. La mise en scène, à mi-chemin entre réalisme et fictionnalisation, s’efforce de montrer “sa passion” en pastichant notamment la célèbre scène de Vivre sa vie (1962) dans laquelle Nana pleure devant La Passion de Jeanne d’Arc (1928) mais cette fois avec L’Évangile selon saint Matthieu (1964). Cette accumulation de clins d’œil et d’hommages semble avoir pour but de façonner une image de Béatrice Dalle cinéphile avertie qui servirait à crédibiliser son culte pour Pasolini. Le documentaire montre à plusieurs reprises Béatrice Dalle émue jusqu’aux larmes mais laisse le spectateur en dehors de son émotion et ne parvient pas à accéder à ce qui constitue le cœur de sa passion. 

La Passion selon Béatrice tourne ainsi plus au fétichisme qu’à l’exploration sensible de l’œuvre du cinéaste italien. Si le film explore la vie antérieure de Pasolini en rencontrant ceux qui l’ont connu ou étudié de près, il ne se penche que superficiellement sur l’essence de son œuvre, empêchant alors le projet initial de se concrétiser pleinement. La rencontre entre Dalle et Pasolini n’adviendra pas mais dans son échec, le film ouvre une brèche de réflexion : comment réussir à parler d’une œuvre qui nous transcende ? 

 


  1. Elle est notamment revenue sur son expérience douloureuse des tournages de 37°2 et de La Sorcière (1988) dans le reportage Béatrice Dalle, à prendre ou à laisser diffusé l’an dernier sur France.tv. 

Titre original : La Passion selon Béatrice

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Durée : 83 mn


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