La Guerre en Irak : la manipulation des images et le secret de la vérité

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Depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis sont en guerre. Après l´Afghanistan, l´Irak est devenu un laboratoire sanguinaire où se mêlent cadavres déchiquetés et images (re)travaillées. Où se cache réellement la vérité ?

« Nous sommes plus manipulés et déterminés par les faits, les événements et les pouvoirs que nous ne sommes capables de prendre en main notre destin et celui de la société » . Cette citation de Jacques Le Goff dessine une nostalgie, celle du peuple américain qui se laissa berner par des élites avides de territoires vierges et farouchement anticommunistes. Un peuple fier et qui continue de le faire savoir à qui veut bien l’entendre. Des textes, des mélodies, des technologies, des voix, des visages et des images. De belles armes qui continuent d’influencer bon nombre de microcosmes au nez et à la barbe de certains détracteurs, effrayés par cette invasion culturelle.

Dans les années 70, Hollywood refusa de s’investir dans une confrontation avec le gouvernement de peur d’alimenter un certain pessimisme au sein de la société américaine. Pourquoi (re)voir des images honteuses ? Pourquoi ne pas se voiler la face ? Pourquoi subir nos doutes sur un écran ? Quelques films ici et là flirtèrent avec une résistance mais sans vraiment heurter les la sensibilités des patriotes. De nos jours, avec la Guerre en Irak, il est surprenant de constater une grandiose progression des méthodes du cinéma US. Cette fois-ci, il faut agir et tous semblent avoir compris le mot d’ordre de cette logique implacable.

Il y a des cinéastes qui choisissent de filmer la guerre là où elle a lieu, sous les campements des soldats américains, dans les maisons détruites de Bagdad, ou bien dans les rues remplies de check point. Mais il y a aussi ceux qui, loin des champs de bataille, préfèrent aborder ce drame en creusant mieux ses coulisses. Ils peuvent ainsi prendre le pouls de la population américaine et décrypter le rapport qu’elle entretient avec cette guerre qui est (comme toujours pour les américains) en même temps si proche et si lointaine.

Pour combler cette distance infinie, il n’y que les images, capables de jeter des ponts sur les océans. Que voit-on de l’Irak aux USA ? Telle semble être la question cruciale posée par ces films. C’est à partir de la question éminemment cinématographique, que des réalisateurs tels que Robert Redford (Lions & agneaux) ou Paul Haggins (Dans la vallée d’Elah) construisent leurs films, en confrontant leurs personnages à des images et des sons venus d’Orient. Mais « image » est multiple et signifie tout et rien à la fois. Les cinéastes le savent mieux que quiconque, les images changent radicalement selon le différent contexte dans lequel elles sont prises ou produites: (faut-il) choisir/trier ?

Redford s’intéresse aux images officielles et c’est par rapport à elles que les américains doivent réagir, se forger une opinion, se questionner, tout comme les personnages de Lions for Lambs. Le film d’ailleurs pourrait se résoudre uniquement à cela. Cependant la critique reste bien faible, tout comme la position du film vis-à-vis de la guerre, qui, frôlant à plusieurs reprise le relativisme, décide enfin de trancher de manière assez simplette et dangereuse : on est tous des victimes de la guerre, « our boys » en premiers, lesquels toutefois, même s’ils ont tué, saccagé, bombardé, ont au moins fait quelque chose pour le pays. « God bless America », et les autres ? On ne sait pas trop, on ne les voit pas beaucoup de toutes façons.

Haggins, au contraire, est décidément plus méfiant par rapport aux discours officiels et aux images de la guerre transmises par les médias. C’est pour cela peut-être que son film détourne la télévision, afin que deux registres d’images, normalement aux antipodes, puissent se côtoyer dans le corps même du film : celles de cinéma, travaillées jusqu’au bout, étudiées, dessinées à l’avance sur un story-board, découpées, calculées, habitées par des acteurs et, par la, jouées , et les images improvisées, volées, soustraites et découpées de la réalité par un portable, sans aucun embellissement. La trouvaille très astucieuse de Haggins est de soumettre les premières aux secondes, renversant ainsi la hiérarchie habituelle. Contrairement aux commentaires habituels, Dans la vallée d’Elah est plus qu’un film sur les conséquences de la guerre et sur son traumatisme. Il creuse surtout les causes profondes de cette guerre, de la violence intrinsèque au désarroi des classes populaires américaines, du racisme, la méfiance vers l’étranger (le mexicain ici), au patriotisme nourri de peur de l’Amérique rurale. Cette « armure » dont est revêtu l’américain moyen, se brise au fur et à mesure qu’il entrevoit le réel de la guerre. Mais attention : les images volées au trucage médiatique ne sont pas frappantes uniquement par ce qu’elles montrent (le piège de Redacted) mais aussi par ce qu’elles laissent imaginer. Malgré la vision brouillonne et le son quasi imperceptible, la construction de Paul Haggins dépasse les centaines de reportages télévisés concernant la vraisemblance du conflit. C’est dans le hors champ que l’atrocité de la guerre se manifeste de façon plus authentique.

Ainsi du rapport direct à l’objet, de l’exhibition de la guerre on passe à un rapport « filtré » par le spectateur. Il est chargé de monter les images vues dans les films avec celles qu’il connaît pour pouvoir imaginer ce qui échappe à son expérience. Pour penser la guerre on a forcement besoin de la voir…

Face aux films de pure fiction, certains s’attachent à capter le cœur du conflit et sa logique de destruction physique et psychologique. Inspirés de faits réels, Battle for Haditha (la tuerie du village d’Haditha en novembre 2005) et Redacted (viol et assassinat d’une jeune fille de 14 ans par les soldats américains) se tournent vers le sol irakien, aux côtés des insurgés, des marins et des civils. Traités par le biais du réalisme-documentaire, ces deux films exhibent une guerre sans fin, violente, et des soldats enfermés dans une spirale aliénante.

Loin des explications sur l’origine du conflit et des réactions de l’Amérique restée au pays, la démarche de Brian de Palma et de Nick Broomfield coïncident avec la perte de confiance envers le gouvernement américain et les incertitudes sur son engagement. Dénonçant la manipulation des foules par le manque d’informations, ces deux films remettent en question le travail des journalistes et des images diffusées. Les médias comme le gouvernement auraient-ils menti ? C’est en tout cas sur ce doute que se base la démarche des réalisateurs. Traiter la guerre en Irak semblent donc être le fardeau de nouveaux cinéastes, engagés dans une recherche d’authenticité et de témoignage. Mais un film doit-il être une archive ou un instantané du moment ?

Brian de Palma, réalisateur de nombreux blockbusters comme Snake Eyes et Black Dalhia, prend la tangente avec Redacted, film inscrit dans la mouvance indie et anti-guerre des ces dernières années. Maigre budget de 5 millions de dollars, déconstruction de la trame classique, des acteurs inconnus et, comme pour couronner l’effort d’une production indépendante, le Lion d’Argent à la Mostra de Venise. S’appuyant sur les nouveaux matériaux audiovisuels (vidéo journal, images de sites Internet, séquences vidéos on-line), Redacted répond avec force et ironie au manque de transparence et ambitionne de dévoiler le vrai visage de l’Irak. Toutefois, ce film reste prisonnier d’un simple discours virulent anti-Bush et d’un collage systématique d’images horrifiantes sur la guerre. Les traumatismes, les comportements extrêmes de soldats, la population massacrée, les tortures… étant connus et l’objet de chaque guerre, est-il nécessaire de revoir une seconde guerre sur grand écran ?

A l’opposé, Nick Broomfield résume son film à un exposé sur la situation en Irak, n’affirmant aucun parti pris. Le réalisateur préfère présenter une multitude de personnages (irakiens et américains ; terroristes et civils), tous traités à part égale et comme victimes. Bien que sans charge anti-guerre affirmée, Battle For Haditha rejoint Redacted sur l’inspiration du film : les événement non couverts par les médias. L’ambition du réalisateur et son traitement sont plus convaincants. Il s’agit d’évoquer des faits quotidiens en Irak tout en se concentrant sur un fait précis.

La mise en scène de la guerre peut-elle garder toute son objectivité ? Faut-il s’engager et dénoncer ouvertement ? Le docu-fiction est-il le meilleur traitement pour évoquer la guerre ? A voir ces deux films on est en droit d’en douter. Les cadres soignés de Redacted et le pathos inutile et mélodramatique de Battle For Haditha ternissent l’impact de leurs messages.

Le vrai pari n’est donc pas l’évocation hâtive du conflit toujours présent mais la maîtrise d’un langage suffisamment percutant pour rendre compte d’une situation complexe et traumatisante. Battle For Haditha et Redacted s’inscrivent dans cette recherche, sans pour autant atteindre leur but ?

De Palma, Paul Haggis, des noms qui ne peuvent accepter cet illogisme qui plombe l’atmosphère hollywoodien et qui, par leurs différentes actions, poursuivent un combat contre leur propre gouvernement. Les films sont là, partout des images sont montrées, des festivals qui récompensent ces élans patriotiques. Mais la sauce n’arrive pas à prendre. Où se cache la richesse de la subtilité politique ? Pourquoi trouvons-nous trop de discours et pas assez de cinéma ? Et surtout quelles sont les raisons de ces filmages toujours aussi radicaux mais qui nous laissent sur notre faim ? Ambigu ? Oui !


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