La Fille du RER

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Cinéaste des tourments adolescents, Téchiné en fait à nouveau la clé de voûte de La fille du RER, en se plongeant dans les arcanes d´un fait divers inventé, gonflé par les médias et les pouvoirs politiques. Une réflexion pertinente sur la crise d´identité, pour un film émouvant sur le mensonge et ses possibles conséquences.

A l’origine, il y a un fait divers ayant fait grand bruit dans les médias. Vendredi 9 juillet 2004, une jeune femme déclare à la police avoir été agressée sur la ligne D du RER, par six hommes d’origines maghrébine et africaine. Imaginant à tort qu’elle était de confession juive, ils lui auraient coupé les cheveux, lacéré le visage et les vêtements, et dessiné trois croix gammées sur le ventre. Le lendemain, le témoignage parvient au cabinet du Ministre de l’Intérieur et l’AFP relaye l’information. La classe politique s’insurge, les médias et les associations montent au créneau et la France cède à l’hystérie politico-médiatique. Sauf que, trois jours plus tard, Marie Leblanc confesse avoir tout inventé.

De cet innommable mensonge, Téchiné fait le point de césure de son film, dont la première bonne idée est d’être, presque didactiquement, partagé en deux. La première moitié, baptisée « Les circonstances », fait entrer de plain pied dans le quotidien d’une jeune banlieusarde en recherche d’emploi, restée seule avec sa mère depuis la mort du père et mènant une existence joyeuse, à défaut d’être trépidante. Jeanne fait du roller, beaucoup, tombe amoureuse, très, et le film prend alors la direction d’une certaine forme de plaisir. Plans larges et longs, beau temps perpétuel (Téchiné parvient à transposer à la région parisienne les lumières du Sud qui baignaient son œuvre précédente, Les Témoins), légèreté des premiers instants amoureux ; La Fille du RER donne donc à voir d’abord des moments de pur bonheur.

     

Un coup de couteau placé dans le flanc du petit ami de Jeanne par un dealer peu scrupuleux entraîne alors le récit sur le mode dramatique. Il ne faut pas plus à Jeanne que de se sentir trahie pour échafauder un incroyable mensonge, dont Téchiné explore les suites désastreuses dans la seconde et meilleure moitié de son film, « Les conséquences ». Un mensonge qui va ébranler non seulement l’entourage de la jeune fille, mais aussi la France entière, par le truchement d’un emballement médiatique qu’elle n’aurait jamais pu préméditer. Cette sur-médiatisation fondée sur un dossier judiciaire vide, qui avait résulté au moment des faits à une attaque en règle des journaux et des pouvoirs politiques, Téchiné ne fait que l’effleurer, par le biais du personnage de Matthieu Demy (« C’est pas cette pauvre fille qui a monté l’affaire du RER, c’est l’Etat ! »). Et c’est tant mieux. Débarrassé (mais pas désolidarisé) de ces considérations politiques, terreaux de débats aussi personnels qu’infinis, le cinéaste a alors tout le loisir d’axer sa caméra sur ce qu’il aime le mieux filmer : les atermoiements de la jeunesse. Emilie Dequenne, troublante en jeune fille normale que le mensonge vient déshumaniser, n’avait pas été aussi convaincante depuis Rosetta. Elle incarne avec justesse une Jeanne qu’une peine d’amour vient déstabiliser et conduire à la mythomanie, que Téchiné ne se permet jamais de juger.

Car La Fille du RER, une fois le mensonge balancé, capte de manière presque factuelle les improbables effets de celui-ci, donnant au film, l’espace d’un instant, un ton journalistique, distancié, presque clinique. La caméra de Téchiné se pose en simple « témoin » des événements, de scènes elliptiques en faits exposés et sitôt expédiés. Ce qui l’intéresse, plus que de donner des réponses toutes faites, est d’interroger et de laisser libre cours à la réflexion personnelle. Comment Jeanne passe-t-elle de jeune fille soumise et amène à un monstre de froideur, capable de fomenter une si grande supercherie ? Comment une mère aimante (Catherine Deneuve, formidable comme toujours chez Téchiné) peut-elle ne pas culpabiliser d’un si grand écart de conduite de la part de sa fille ? Comment vivre avec la honte engendrée par la découverte du mensonge ?

     

Heureusement, le film se garde bien d’occulter les questions d’inconscient collectif, de stigmatisation des minorités ou des angoisses profondément ancrées dans la société qu’un tel drame révèle. Le personnage de Judith (Ronit Elkabetz, en très grande forme) en est le plus beau miroir, juive israélienne intégrée mais parfois déphasée en France, qui craint que l’affaire soit « la porte ouverte au négationnisme ». Mais plutôt que d’aborder la judéïté (omniprésente dans le film) sur le mode de la persécution, Téchiné choisit de mettre en parallèle une famille juive sur trois générations et le désir de Jeanne d’appartenance à leur communauté. Bar-mitsvah chez les uns, garde à vue et sanction de justice chez l’autre : deux expériences identitaires différentes, mais rapportant toutes deux à la soif d’identification.

Crise d’identité et manque d’amour, deux composantes au cœur du mensonge de Jeanne qui permettront, contre toute attente, à sa famille et à celle de l’avocat juif qui l’aidera de manière toute philanthrope, de se rapprocher et recréer des liens vieux de plusieurs années, au détour d’un amour de jeunesse avorté entre Catherine Deneuve et Michel Blanc ou de réminiscences d’amitiés lointaines. Tout un petit monde se crée alors en marge du mensonge, emportant in fine le film vers des horizons plus poétiques qu’analytiques, et rappelle que Téchiné est, avant tout, un formidable faiseur d’histoires.

Mais encore :
– Lire la critique du film Les Témoins

Titre original : La Fille du RER

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Durée : 105 mn


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