La Femme du ferrailleur

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Danis Tanovic montre sa Bosnie actuelle comme un monstre froid insensible aux malheurs d’une famille de Roms. Mais son cinéma, en s’inspirant de la réalité, ne perd-il pas de sa capacité fictionnelle ?

Danis Tanović s’est fait connaître en 2001, quelque temps après la fin de la guerre en ex-Yougoslavie, avec No Man’s Land (2001) couronné de tous côtés, notamment par l’Oscar et le Golden Globe du Meilleur film étranger et le Prix du scénario au Festival de Cannes. Ses autres films sont ensuite passés un peu plus inaperçus car il est, semble-t-il, difficile de faire encore mieux lorsqu’on démarre ainsi sur les chapeaux de roue. Cirkus Columbia, en 2010, revenait sur la guerre en Bosnie de 1992 mais sans la grâce d’un Kusturica par exemple, ou sans le côté volontairement absurde de son premier film. Avec La Femme du ferrailleur, le voici encore et toujours en Bosnie à la rencontre d’une famille de Roms qui a vécu une tragédie et a accepté de jouer leurs propres rôles pour la caméra quasi néoréaliste de Danis Tanović. Récompensé deux fois à la Berlinale de 2013 par le Grand Prix du jury et le Prix du Meilleur acteur, La Femme du ferrailleur place le spectateur dans un monde fermé dont il est difficile de s’échapper au même titre que la famille de Tziganes, emprisonnée dans leur pays et dans leur condition sociale. Pendant une heure quinze, nous voici pris dans une histoire culpabilisante sans avoir vraiment les moyens de changer les choses, à l’image du bobo parisien qui croise chaque jour des Roms sur les trottoirs de la capitale et qui en prend l’habitude, même si cette situation le blesse ou le gêne. Vaste jeu de la culpabilité au cinéma et dans les médias contre laquelle il faudra bien trouver enfin autre chose qu’un certain langage hypocrite pour dénoncer cet état de fait.

La situation est simplissime : Nazif est ferrailleur. Il vit avec sa femme et ses deux petites filles de façon modeste dans une petite ville de Bosnie. Un jour, Senada, son épouse, tombe malade alors qu’elle étend la lessive sur leur petite terrasse. On l’hospitalise mais le couple n’a pas l’argent nécessaire pour payer l’opération pourtant indispensable. C’est l’histoire en fait de Nazif qui, pendant dix jours, va tout tenter pour sauver la vie de sa femme, se heurtant au silence des autorités et des institutions, tout en continuant de chercher encore plus de ferraille pour payer l’hôpital. Quelque temps après, Nazif et Senada ont donc accepté de jouer leur propre rôle et se mettre en scène dans la même situation. C’est dire que Senada a dû revivre les douleurs et Nazif son angoisse. On imagine aussi que les petites filles ont accepté nolens volens de jouer aussi la comédie. Ici, Danis Tanović va peut-être encore plus loin que le cinéma néoréaliste italien qui utilisait des acteurs professionnels et non professionnels sur une histoire réelle mais scénarisée. Peut-être sommes-nous plus proches de la téléréalité ou du vrai-faux reportage ? Ainsi le réalisateur se confie-t-il dans le dossier de presse : « J’ai demandé à Nazif de me raconter son histoire et j’ai noté les moments intéressants pour le film. Ensuite, nous avons reconstitué ce qui s’était passé. Nous n’avions pas de scénario à proprement parler, nous avons juste parcouru chronologiquement un épisode de leur vie. Et je n’avais absolument pas besoin de rendre les choses plus dramatiques car les événements qu’ils ont traversés sont tout simplement incroyables. »

Même si le film est admirablement bien interprété, bien filmé et cadré, et si l’histoire ne se donne pas avec une couche de pathos inutile, il y a quand même dans le procédé quelque chose de gênant dans la mesure où, maintenant, le combat politique semble de plus en plus remplacé par la mise en scène d’un engagement. Il semblerait que le fait de réaliser un film sur les malheurs que connaissent les opprimés de la terre, en l’occurrence une famille de Roms, donne presque bonne conscience et dédouanerait la morale occidentale de toute culpabilité, mais surtout de toute volonté de révolte, d’engagement ou tout simplement d’indignation. Ce film se mesure un peu à l’aune de la lutte récente des lycéens français pour défendre médiatiquement la désormais célèbre Léonarda que tout le monde, après un emballement médiatique disproportionné, a complètement oubliée. Ainsi va le monde, démultiplié par les effets de la télé et d’Internet qui déclenchent un tamtam planétaire étourdissant. Il ne manquait plus que le cinéma s’y mette, même s’il faut reconnaître à ce film une qualité de sobriété et de pudeur qui manque toutefois aux autres médias.
 

Titre original : Epizoda u zivotu beraca zeljeza

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Durée : 75 mn


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