La Belle et la Bête

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Retour à moitié réussi pour Christophe Gans, qui s’attaque au conte de Madame de Villeneuve

Figure singulière au sein du paysage cinématographique français, Christophe Gans a débuté sa carrière en tant que journaliste et rédacteur en chef du magazine Starfix pendant les années 80. Précurseur dans le domaine aux côtés de revues comme Mad Movies ou L’Ecran Fantastique, Starfix avait pour credo de défendre et mettre en avant le cinéma de genre et des cinéastes tels que Dario Argento, Brian De Palma ou encore John Carpenter. Suite à ses années de journaliste, Gans s’attaqua à la réalisation avec Necronomicon (1993) inspiré de Lovecraft, l’adaptation du manga Crying Freeman (1996) ou encore le Pacte des Loups (2001) qui reste à ce jour un des plus grands succès pour un film de genre français. Suite à son adaptation très réussie du jeu vidéo Silent Hill (2006), le cinéaste s’est attelé à un certain nombre de projets avortés ou simplement repoussés tels que Le Cavalier Suédois, Omnimusha, Lord of the Apes ou encore Fantomas que devait produire Thomas Langmann. Le metteur en scène cinéphile et cinéphage, dont l’ambition et la démesure lui ont valu une place privilégiée au sein du genre, revient aujourd’hui avec une nouvelle adaptation de La Belle et la Bête. Le résultat, que l’on attendait impatiemment depuis deux ans, s’avère aussi surprenant que décevant.

L’histoire reste inchangée. Suite au naufrage de ses navires en 1810, un riche marchand (André Dussolier) perd toute sa fortune et se retrouve contraint à devoir s’exiler à la campagne. Une nuit, lors d’un voyage périlleux à travers une tempête de neige en pleine forêt, le marchand tombe sur un château étrange où réside une bête terrifiante (Vincent Cassel)…

Produit par Richard Grandpierre et Jérôme Seydoux (respectivement Eskwad et Pathé) et fort d’un budget de 34 millions d’euros (humble comparé aux budgets US mais assez conséquent pour un film français), le film reprend le texte original de Madame de Villeneuve dont s’est inspiré celui de Jean Cocteau (1946) ainsi que la version animée de Walt Disney (1992). Contrairement au Cocteau, davantage focalisée sur la Bête, Gans opte ici pour le point de vue du personnage de la Belle tout en creusant l’univers féerique de l’histoire. Tourné en Allemagne dans les studios de Babelsberg, le cinéaste avait déclaré vouloir signer un spectacle visuel hors du commun en s’inspirant en grande partie de l’univers de Hayao Miyazaki, du Legend (1985) de Ridley Scott ou encore des films de la Hammer réalisés par Terrence Fisher. La première chose qui saute aux yeux, louable, est sans aucun doute son aspect visuel, d’une grande qualité. La mise en scène, inspirée et virtuose, est parsemée de trouvailles visuelles alimentant des scènes d’une grande poésie (la traque de la biche dorée, la forêt prenant vie, le miroir magique…) ainsi que des séquences assez impressionnantes (le final où des géants de pierre prennent vie ainsi que des lianes magiques qui attaquent les personnages), le tout alimenté par une image sublime signée Christophe Beaucarne et une direction artistique somptueuse (décors, costumes, accessoires, maquillages et coiffures sont à l’avenant). D’où l’impression que le metteur en scène a souhaité faire avec La Belle et la Bête ce que Peter Jackson avait fait avec King Kong (2005) : rendre hommage à un de ses films préférés en signant une adaptation faste, contemporaine et ayant recours aux moyens technologiques actuels.

 

D’autres choses sont à déplorer, à commencer par le jeu des acteurs (en particulier les seconds rôles) ou encore les dialogues ; qui laissent beaucoup à désirer (cela n’a jamais été le fort du cinéaste, davantage metteur en scène d’images que d’acteurs). Au casting, Vincent Cassel interprète la Bête en performance capture mais de façon trop théâtrale (voire parfois fausse) tandis que Léa Seydoux, bien que convaincante, souffre des répliques qu’on lui impose, souvent lourdes. André Dussollier complète le casting en Père (assez peu présent du récit), et Eduardo Norriega se voit doublé en français du à un accent trop prononcé. On regrettera par ailleurs le ton du film, assez naïf et enfantin, qui préfére s’éloigner des possibilités sombres et baroques du conte. Bien que la volonté de faire un film accessible à tous soit tout à fait louable, il risque davantage de trouver son public auprès des moins de 12 ans que des 15-25 ans.

Affichant à la fois toutes les qualités et tous les défauts habituels de son auteur, La Belle et la Bête version Gans a au moins clairement le mérite de se hisser par-dessus la plupart des productions françaises actuelles par son ambition et le travail fourni au niveau du rendu visuel. En espérant désormais que le film permette au réalisateur de remettre en selle certains de ses projets avortés, à commencer par son adaptation de 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne et intitulé Nemo.
 

Titre original : La Belle et La Bête

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Durée : 112 mn


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