Adapté des mémoires de Keiko Ogasawara, Makenaide ! – Ne perd pas !-(2011), La Beauté du geste raconte le parcours de Keiko, qui vit dans les faubourgs de Tokyo où elle s’entraîne avec acharnement à la boxe. Sourde, c’est avec son corps qu’elle s’exprime. Plus préoccupée par l’usure de la vie quotidienne de ses personnages que par le bruit et la fureur, mesurée, évitant les excès et le pathos, cette ode du réalisateur Shô Miyake nous propose également des moments de grâce et de subtilité.
Miyake et le co-scénariste Masaaki Sakai ont semi-fictionnalisé leur sujet avec le personnage de Keiko Ogawa, joué avec beauté et intériorité par Yukino Kishii. Cette décision libère le film des pièges du biopic, car il adopte une approche ciblée et précise, quoique sélective, de la vie et de la carrière de Keiko. Le film n’est pas entièrement centré sur elle, car le récit de Keiko inclut une étude plus large mais intime d’une communauté de boxe indépendante – en particulier, via l’entraîneur vétéran Sasaki (un merveilleux Masaki Miura). La salle d’entraînement, espace usé, vétuste, devient un lieu où Keiko se sent plus à l’aise qu’elle ne le fait ailleurs – y compris l’appartement terne et fonctionnel qu’elle partage avec son frère Seiji avec qui elle entretient une relation mutuellement respectueuse mais pas particulièrement proche. En effet, la résiliente Keiko semble avoir peu d’alliés proches
dans la vie, excepté Sasaki, son mentor et protecteur le plus dévoué, dont la santé et la vue sont défaillantes. Leurs séances d’entraînement, silencieuses et intuitivement communicatives, à la fois dans la salle de sport et autour de l’enchevêtrement broussailleux d’autoroutes et de voies navigables entourant le Tokyo extérieur, sont quelques-unes des scènes les plus touchantes et réussies du film.
Keiko ne nous est pas montrée seulement dans son espace-temps de boxeuse : nous la voyons au cours de son travail de jour en tant que femme de ménage dans un hôtel haut de gamme, avec sa sympathique collègue de travail qui la félicite d’un combat auquel elle a assisté. L’une des surprises de La Beauté du geste tient en ce que les obstacles attendus pour notre protagoniste ne se trouvent pas dans les lieux des drames sportifs attendus. La mère réservée de Keiko exprime des inquiétudes quant aux perspectives à long terme de la carrière de sa fille en tant que combattante – suggérant gentiment que Keiko devrait peut-être se contenter d’être devenue professionnelle et arrêter les combats. Excepté ce personnage personne ne lui dit qu’elle ne peut pas le faire , même si son handicap fait des tournois un défi démesuré. Après avoir remporté ses deux premiers combats professionnels, c’est son propre doute qui la ronge, faisant d’elle une outsider même lorsqu’elle est ostensiblement au firmament. De plus, la mise en danger de son espace de sûreté, de sécurité, de bien-être – par les malheurs et les difficultés financières de Sasaki – diminue sa volonté de continuer, même si des salles et des entraîneurs plus grands et plus brillants montrent un intérêt à l’embaucher.
La finesse du film de Miyake est donc moins construite autour de victoires ou de défaites sur le ring – il n’y a pas de combat décisif sur lequel tout dépend – que du flux et du reflux du moral de Keiko, car elle doit en grande partie faire ses preuves et comprendre pourquoi elle veut continuer à se battre. La nature modeste et intérieure de ces enjeux, cependant, est ce qui rend le film si profond, car il adopte une perspective holistique dans laquelle les victoires passées comptent autant que les futures. La performance sobre et expressive de Kishii révèle ses changements dans la confiance en soi- et la conscience de soi- en grande partie par le mouvement, plus particulièrement dans ses séquences d’entraînement : tout est dans le rythme du corps, des poings, des déplacements.
Sans partition musicale, la bande-son sélectionne les sons spécifiques et amplifiés que Keiko ne peut pas entendre – le souffle sourd de la circulation sur son parcours d’entraînement en plein air, ou le bruit plat du cuir des gants alors qu’elle s’entraîne; tout en conservant des liens avec l’ambiance générale de l’extérieur, notamment avec la pandémie qui instaure une présence largement pesante. Le choix du tactile et granuleux 16 mm projette souvent les dialogues dans une lumière douce et crépusculaire qui apporte un sentiment approprié de mélancolie sans romantisme excessif. Les scènes nocturnes, au cours desquelles Keiko déambule dans Tokyo, ont requis particulièrement notre attention, avec leurs couleurs, leurs architectures.
Keiko remporte des combats, tout comme Miyake remporte le sien : celui de la beauté du geste cinématographique.