Jeux de dupes (Leatherheads)

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Au milieu des années vingt, le football américain prend une nouvelle tournure… George Clooney signe ici une troisième réalisation aboutie et maîtrisée.

Entre images en noir et blanc que l’on pourrait croire d’archives, et flux de couleurs chatoyantes qui illuminent plans et personnages, Jeux de dupes (troisième réalisation de George Clooney) distille les souvenirs des folles années au rythme frénétique du jazz des années Trente. L’apparition de la chanteuse Ledisi Young est l’apogée musicale du film : elle interprête avec intensité "The man I love" de George Gershwin. Tout un symbole. George Gershwin et son frère parolier, Ira, ont signé les plus célèbres standards du jazz, enregistrés par la suite par de grands noms tels que Ella Fitzgerald, Louis Armstrong ou encore Herbie Hancock. Mais surtout, les Gershwin sont les auteurs du poème tonique Un Américain à Paris, en 1928 (genèse de la future comédie musicale avec Gene Kelly), et de nombreux autres morceaux utilisés au cinéma notamment. 

Cette bande-son met par ailleurs en exergue un conte de fées moderne de la crise. La naissance d’un triolisme chaste entre les trois personnages principaux Lexie Littleton, Dodge Connolly et Carter Rutherford (respectivement Renée Zellweger, George Clooney et John Krasinski) n’est pas sans rappeler les comédies américaines des années quarante, grand genre comique parlant et digne successeur des comédies hollywoodiennes du temps du muet (Chaplin, Keaton…). Référence donc aux Capra, Cukor, Hawks et autres Sturges, qui développaient déjà à l’époque l’expression d’un désir de scandale. L’accent est alors mis sur l’héroïne, qui détient peut-être la clef d’une conclusion heureuse, comme dans la Comédie Ancienne (voire la comédie romanesque shakespaerienne). Car c’est bien la jeune Lexie, journaliste opportuniste, qui déclenchera le scandale et en provoquera la résolution.

Sous un prétexte scénaristique davantage fil conducteur que sujet de fond (le football américain qui devient professionnel et encadré), George Clooney tisse une toile qui rapproche ses personnages de l’histoire. Il y a des instants précieux, dans ce film, qui sont de véritables voyages dans le temps. Le Chicago des années Trente, alors en plein développement, est le lieu de tous les excès et de toutes les expériences. Des situations à la tonalité sarcastique par la grâce d’une réalisation maîtrisée, des acteurs justes  incarnant à eux seuls toute une génération ; un délicieux cocktail qui fait de Jeux de dupes  un moment fort agréable.

Titre original : Leatherheads

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Durée : 114 mn


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