Jennifer Lynch : une fille à papa ?

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Avec Surveillance, son second long-métrage, Jennifer Lynch cherche à s´écarter du cinéma de son incontournable père, en penchant plutôt vers le cinéma de genre, type slasher. Pourtant, difficile d´échapper à l´envoutant univers lynchien. Jennifer est bien la fille de son père…

Boxing Cinema

Avec un père comme le sien, on pouvait difficilement imaginer Jennifer Lynch aux commandes d’une comédie romantique. Boxing Helena, son premier long-métrage raté, valait surtout pour la curiosité qu’il suscitait, en raison de l’identité de son auteur. Ce film racontait l’histoire d’un jeune chirurgien séquestrant une femme fatale, dont il était éperdument amoureux, et qu’il mutilait, la transformant en femme-tronc à sa merci.

Déjà, l’univers du père hantait le film : en remplacement de Kim Basinger, qui s’était désistée au dernier moment, Jennifer n’est pas allée chercher bien loin pour débaucher Sherylin Fenn, l’interprète de Audrey Horne dans la série Twin Peaks, afin de jouer Helena ; elle lui emprunte également la thématique de l’amputation, puisqu’on pense bien sûr à The Amputee, court-métrage de David Lynch mettant en scène une femme amputée jusqu’aux genoux, ou à Blue Velvet pour l’oreille du mari de Dorothy coupée par Franck Booth, et que Jeffrey découvre dans un terrain vague.

Malheureusement le talent n’est sans doute pas héréditaire, et la jeune femme, alors âgée de 24 ans, transforme Boxing Helena et son scénario pervers, pourtant alléchant, en un mauvais film érotique, massacré par une réalisation lourde et ridicule, et une bande-son nineties aujourd’hui bien démodée. Dommage, car avec une histoire aussi tordue, on aurait pu ranger le film dans le rayon culte des sombres bijoux du cinéma, entre L’obsédé de Wyler – au sujet similaire – et… Lost Highway – dont on aurait aimé, quitte à ce qu’il y ait filiation, retrouver le style visuel.
Alors, quand arrive sur nos écrans Surveillance, le deuxième long de mademoiselle Lynch, le partage entre appréhension et espoir se fait sentir. Appréhension, car Jennifer s’attaque à nouveau à un scénario de série B – une enquête sur un tueur en série. Espoir, car quinze ans se sont écoulés depuis Boxing Helena, supposant une certaine maturité, une digestion de l’influence dont elle ne peut se défaire, pour en extraire le meilleur.

Un slasher au féminin

Deux agents du FBI débarquent dans une petite ville paumée pour enquêter sur une série de meurtres commis par un psychopathe masqué. Soit la définition même du slasher, la connotation ado – qui a relancé il y a une décennie le succès du genre avec les séries Scream et Souviens-toi… l’été dernier – en moins. Lancé dans les années 70 avec Massacre à la tronçonneuse et Halloween, le slasher, ce sous-genre du film d’horreur, remis au goût du jour il y a peu par le Boulevard de la mort de Tarantino, trouve avec Surveillance deux séduisantes particularités : une réalisation au féminin, et la filiation Lynch de surcroît. Le fantasme d’un Vendredi 13 réalisé par un David Lynch sous œstrogènes… s’évanouira vite.

Qu’apporte un point de vue féminin sur une histoire de psychopathe ? Rares sont les films de genre réalisés par une femme, et consacrés à un tueur en série. Patty Jenkins, avec Monster, il y a quatre ans, adaptait sur grand écran l’histoire vraie de Aileen Wuornos, surfant plus sur le fait divers qu’elle ne proposait une véritable réflexion sur le point de vue féminin porté sur la femme tueuse. Mais, détail non négligeable, la femme préfère ne pas entrer dans les rangs du traditionnel serial killer sauvage et testostéroné qui fait crier les jeunes filles et sursauter les spectateurs. Jennifer Lynch fait elle aussi le choix de ne pas filmer un homme, préférant toutefois une voie parallèle en mettant en scène un couple d’assassins, sans la violence ludique du couple meurtrier le plus célèbre du cinéma, les déjantés Mickey et Mallory Knox du Tueurs-Nés d’Oliver Stone. La « petite » Lynch délaisse le tueur mâle, trop conventionnel, et préfère éviter la femme, car la tueuse en série, le plus souvent adepte de l’empoisonnement, a une tendance à la discrétion qui sied particulièrement mal au slasher et son penchant pour l’hémoglobine. Le plus souvent, mais il reste de notables exceptions – JF partagerait appartement ou Liaison Fatale.

Le choix d’un couple torturé ajoute d’autre part deux éléments : une dimension sexuelle perverse, qui ne sera pas sans déplaire aux adeptes de slasher, et un certain pouvoir féminin. C’est ici en effet, comme les dernières séquences le dévoilent, la femme qui semble porter la culotte : loin d’être la douce et gentille compagne, elle est immorale et dévoile une part d’ombre qui ne fut pas pour déplaire à l’actrice qui l’interprète. Vicieuse et machiavélique, la fausse agent du FBI conduit comme une brute ; perverse, elle attend d’un sourire malsain la réaction du flic à l’arrière de sa voiture lorsqu’il s’apprête à découvrir les polaroids dévoilant la vérité sur sa véritable identité ; costaude, elle porte son cadavre sur ses épaules ; obscène, elle jouit du corps d’une Bonni paralysée par la peur avant que celle-ci ne soit  froidement assassinée. Julia Ormond, plus lumineuse que son partenaire, prend un malin plaisir dans ce rôle, inhabituel pour elle, à dévoiler la part d’ombre de la femme. Le film toutefois, par le recours à un couple hétérosexuel, ne plonge pas du tout dans une vengeance féministe à la Baise-moi. Seul semble compter le plaisir décalé pris aux choses immorales et le goût de ce qui ne se fait pas.

Malsaine Jennifer Lynch ? Pas totalement. Là où un Haneke aurait sans complexe éliminé la fillette, la réalisatrice se sert de ce personnage pour adoucir son film et l’achever sur un final à deux vitesses. A la folie meurtrière qui vient d’avoir lieu au poste de police et dans une chambre d’hôtel, succède le salut. La petite Stéphanie, qui avait disparu depuis un moment – moyen pour Lynch de glisser dans l’horreur même un suspens supplémentaire – réapparaît saine et sauve, épargnée. La morale demeure toutefois naïve : dire la vérité peut vous sauver la vie… Mais la réalisatrice, au fond, ne fait que suivre une règle de base du slasher qui impose une ultime survivante au récit. Elle demeure donc debout au milieu du désert, regardant partir les deux cinglés dont Lynch n’expliquera jamais les actes, ne tombant pas dans un piège psychologique qui n’aurait fait qu’alourdir son film.
La fille comme seule survivante… Jennifer se rêverait-elle en dernière rescapée de la lignée cinématographique des Lynch ? Si la figure de la fillette n’est pas un élément emprunté au cinéma de son père, Jennifer y a puisé beaucoup, et beaucoup trop, pour que la comparaison ne soit pas faite.

Tuer le père ? Impossible !

L’influence du père Lynch se lit surtout dans ses films les plus « ordinaires », au sens de ceux qui s’ancrent dans un monde quotidien, plus aptes à laisser exploser la bizarrerie que les codes calibrés des genres auquel David a pu se frotter. Ainsi, à Dune ou Elephant Man, Jennifer préfère largement Twin Peaks,  avec une touche de Lost Highway et de Blue Velvet, et une pincée un peu trop fade de Mulholland Drive.
La demoiselle ayant travaillé sur la cultissime série réalisée par son papa, lors de la rédaction de son Journal secret de Laura Palmer, il était évident qu’il lui serait difficile de se défaire de cette œuvre géniale. Ainsi, à l’apparition d’agents du FBI dans une ville paumée de l’Amérique profonde, décor chéri de David, on ne peut s’empêcher de songer à Dale Cooper débarquant à Twin Peaks. Si les agents semblent plus conventionnels que celui né dans l’esprit de Lynch père, ce sont dans Surveillance les flics qui sont très « spéciaux ». S’ennuyant à mourir dans ce coin perdu où il ne se passe absolument rien, ils n’hésitent pas à provoquer des délits et humilier les automobilistes de passage. La dualité de ces personnages ambigus épaissit le film et lui apporte une touche de comique morbide, créant un mélange des genres. Twin Peaks déjà, avait la particularité, plus subtile, de marier angoisse et comédie. Les décors si particuliers – ce pan de mur recouvert d’un improbable papier peint champêtre – et la réceptionniste – une sorte de Lucy qui aurait bien grandi – complètent cette ambiance puisée dans la série du père, injectant le crime et la folie humaine dans tout ce qu’il peut y avoir de plus ordinaire.

Bill Pullman s’est échappé de Lost Highway, film travaillé par la question du point de vue, et introduit par le malaise de la… surveillance. Fred Madison et sa femme Renée recevaient en effet une cassette vidéo filmant l’extérieur, puis l’intérieur de leur maison. Ici, Pullman observe derrière trois écrans les trois récits des témoins : le policier rescapé, Stéphanie et la blonde Bobbi – elle et son petit ami Johnny en couple lancé sur la route à la rencontre d’étranges personnages, dealer mourant, flic fou ou psychopathe, font songer à Sailor et Lula. La courte séquence homosexuelle entre la blonde Pell James et la brune Julia Ormond emprunte à Mulholland Drive, mais demeure à mille lieues de sa sensualité torturée. L’humiliation exercée sur cette jeune femme, ou celle que les flics lui infligent ainsi qu’au père de Stéphanie, David la filmait déjà, et mieux, dans Blue Velvet. Un film qui travaillait le sens du détail à travers un personnage curieux, quoiqu’un peu naïf,  confronté à une violence qui le dépasse – Jeffrey Beaumont d’un côté, Stéphanie de l’autre. Enfin, la femme hurlant sur la route dans la première séquence de Surveillance, les lumières stroboscopiques, l’ambiance sonore, garantissent un goût très lynchien, quoiqu’un peu périmé ici. Mais la réalisatrice les place au début de son film, comme pour mieux se débarrasser d’un héritage encombrant et – tenter de – plonger dans un cinéma de genre bien à elle, sans toutefois parvenir à tuer le père.

Jennifer se sert allègrement dans le meilleur du cinéma de David, véritable puits de trouvailles et de thématiques torturées, mais n’a malheureusement ni son talent, ni, surtout, son sens de la subtilité. En faisant finalement le choix judicieux du cinéma de genre, peu réputé justement pour sa finesse et son élégance, la réalisatrice semble avoir conscience de son manque de personnalité. Si son film reste un sympathique divertissement, il est certain que son cinéma ne survivra pas à celui de son génie de père.



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