Je ne peux pas vivre sans toi

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Trop attaché à son personnage, Leon Dai signe, d´après un fait divers, une belle mais bien larmoyante chronique.

Sans sa transcription médiatique, le fait divers n’existerait pas, du moins ne serait connu que par les quelques personnes directement concernées. Ainsi, son adaptation (cinématographique, littéraire, picturale…) est autant une mise en image (documentée ou fantasmée) dudit fait divers que le trajet qui mène de lui à sa transmission par les médias. Je ne peux pas vivre sans toi s’ouvre sur un écran noir, une voix off décrivant un incident en direct. C’est la TV qui parle. Très vite arrive le plan de réaction montrant des ouvriers devant le poste et leurs attitudes variées : mépris, énervement, indifférence, défi… L’élément déclencheur : sur l’écran, un homme avec son enfant menace de se jeter d’un pont en hurlant à l’injustice. Le film passe alors de la transmission de l’information à l’histoire cachée derrière elle, du médiatique au personnel.
Acteur taïwanais connu (il a tourné entre autres dans le dernier John Woo), Leon Dai signe ici son deuxième long métrage, gros succès surprise du box-office national, inspiré d’un fait divers qui a secoué l’opinion aussi vite qu’elle l’a oublié : Wu-Hsiung doit inscrire sa fille de 7 ans à l’école, mais faute d’une autorisation de la mère de l’enfant, disparue sans laisser de traces des années avant, il risque d’être dépossédé de la fillette. Je ne peux… retrace l’enlisement de Wu-Hsiung, entre petits boulots et piaules minables, dans la ville et dans la machine administrative, choisissant l’extrême pour forcer le monde à poser le regard sur lui.
 
Au-delà de la seule description d’une fatalité à l’œuvre, Leon Dai cherche avant tout à donner une réalité à un fait divers, à lui redonner un corps avant qu’il ne devienne que simple image. Je ne peux pas… est alors le portrait de deux parias, deux personnages hors cadre, entre la ville et ses bordures, tels que le cinéma contemporain les affectionne (les films de Kelly Reichardt par exemple). Wu-Hsiung traverse la ville et le paysage sans pouvoir s’y ancrer, s’y incarner réellement. Lui et sa fille sont ou repoussés vers les marges (ils vivent dans un entrepôt désaffecté sur les docs), ou toujours en mouvement, de vrais passagers : les nombreux voyages en moto, la traversée du fleuve qui laisse la ville défiler à l’écran… Le choix du noir et blanc accentue cette inadaptation, cette non appartenance, faisant de Wu-Hsiung un personnage anachronique, hors du temps. Cet écart entre lui et le monde est d’autant plus manifeste dans les scènes de confrontation à l’administration, parsemées de vitres, de murs-écrans transparents et diverses séparations. Ces séquences pleinement contemporaines contrastent justement avec celles de la vie quotidienne, sur laquelle le temps ne semble pas avoir de prise. Entre boulot insolite (Wu-Hsiung plonge tout les jours dans le fleuve pour s’attaquer à la carcasse d’une épave) et quotidien d’un autre âge, Leon Dai fait le choix d’une certaine lenteur, langueur même. Les scènes s’étirent, la conversation laisse place au silence pour laisser surgir, par l’aspect mécanique des gestes, une complicité des personnages… Découpage, montage et travail de la lumière viennent faire sentir à la fois écoulement temporel et isolement des personnages.
 
Le film aurait pu offrir un joli moment s’il ne basculait pas dans une compassion archi-larmoyante. Voulant contrer le cynisme ambiant face aux drames quotidiens (« Nous n’appréhendons la vie, les drames de nos contemporains que comme une succession de communiqués et de reportages dans la presse », raconte le réalisateur), Leon Dai finit par s’apitoyer. Là où seulement montrer aurait suffit pour toucher, il finit par adopter les méthodes sensationnalistes et tire-larmes des médias : montage serré, course au bon coup et à l’émotion, pathos et mièvrerie musicale. Le cinéaste ne parvient pas à s’arrêter à temps.
Tout acquis à son personnage, c’est véritablement de recul que manque le film. A préférer une sorte de rédemption culpabilisante (« J’ai honte de ne pas avoir compris sur le moment le désespoir de cet homme », avoue Dai) plutôt que de faire le portrait d’un homme qui devient son propre média, Leon Dai se noie dans ses propres larmes. Ce qui n’empêche pas Je ne peux pas vivre sans toi d’être une jolie chronique. Evidemment loin derrière ses éminents collègues (Ang Lee, Edward Yang, Tsai Ming-Liang ou Hou Hsiao-hsien), le film atteste tout de même, si besoin est, de la vitalité du cinéma taïwanais contemporain.

Titre original : No Puedo Vivir Sin Ti

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Durée : 92 mn


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