Penser à éduquer ces masses d’arriérés qui sont prêts à buter trois personnes pour voler une bagnole, par exemple ? Non, la peine de mort n’est aucunement dissuasive et un État psychopathe produit des psychopathes. Une vie humaine a peu de valeur dans une société qui accorde une aura sans limite aux richesses matérielles. Dans son enclos surfortifié, la maison des Stotler était pourtant bien gardée. Elle est désormais vide, les murs maculés du sang de sa propriétaire qui cuisinait des cookies lorsqu’elle fût abattue pour les beaux phares d’une Camaro rouge. Un tas de ferraille dérisoire reposant désormais à la casse, préalablement défoncé par un arbre qui, poussant à l’intérieur, l’a rageusement éventré. Car, bien au-dessus des hommes, la Nature elle aussi rend une justice, légitime. Sœur écrasée sur l’autoroute, corps-Terminator criblé d’impacts de balles, agression au tournevis, mains calleuses… les « prolongements technologiques de l’homme » (1) semblent lui avoir uniquement servi à s’exploser la cervelle. Une absurdité dont témoigne ce bled paumé du Texas, voisin de Conroe et effroyablement baptisé Cut and Shoot, où tout badaud se mue en cible potentielle pour les chasseurs implacables.
Into the Abyss est le cauchemar éveillé d’un réalisateur qui a pourtant réussi l’exploit de rester archi-clinique sur un sujet trop évidemment difficile et souvent prétexte à une démagogie pavlovienne. Imbriquant témoignages équilibrés des parties concernées et froides reconstitutions de scènes de crime, Herzog évite avec brio l’écueil de l’empathie angélique et obscène avec les criminels, annonçant dès le début la couleur à Michael Perry, huit jours avant son exécution : « Je vous parle, mais ça ne veux pas dire que je vous aime bien ». Comme dans Le Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, Herzog évacue d’office le Bien, le Mal, et la question du pardon, traitant ses sujets comme des adultes responsables. Pas question de pardonner, en effet, le mal est fait, et n’est pas réparable. Les litanies de "God" "God" "God" / "I wish" "I wish" "I wish" n’y changeront rien. Lorsque Herzog demande au père d’un des tueurs, lui-même incarcéré depuis des lustres, ce qu’il changerait s’il pouvait remonter le temps, c’est encore pour souligner – « ruine de l’âme » – le gâchis d’une vie sans conscience menée à toute berzingue sur la route qui l’a collée droit dans le platane, non sans dommages collatéraux.
« 2041. Vous avez un siècle de retard… »
Cette responsabilité, Fred Allen, ancien capitaine de la chambre d’exécution a mis du temps à l’intégrer. Pour l’ex fonctionnaire lobotomisé, l’ingestion fût douloureuse et s’est soldée par une dépression abyssale. À voir l’état de cette Amérique, on doute encore de l’efficacité de la sainte Bible, ce livre pourtant séculaire à vocation de code civil, paradoxalement rédigé afin d’inculquer quelques notions de morale aux barbares que les millénaires n’ont pas suffit à déloger, puisque nous – les hommes – sommes toujours là, sur Terre. Déjà voués à l’autodestruction avant l’arrivée des Espagnols, les Aztèques avaient atteint le record de quelques 40 000 sacrifiés en un mois en l’honneur de leur funèbre Dieu soleil. Une préfiguration de ce qui nous attend ? Probablement, si on en croit Herzog, dont l’épilogue de La Grotte des rêves perdus (2011) laissait déjà entendre l’entropie destructrice de l’humanité, toute entière incarnée par ce curieux fœtus à tête de mort que porte en son sein Melyssa, l’épouse fanatique et inquiétante de Jason Burkett, détenu à perpétuité. Une lueur d’espoir ? Sûrement pas autant que le satané feuillu qui a défoncé la bagnole, symbolisant à lui seul « l’urgence de la vie » très lucidement exhortée par Herzog.
* Dante, L’Enfer.
(1) Marshall McLuhan.