- Pouvez-vous revenir sur votre parcours artistique et plus particulièrement sur ce qui vous a amené vers la musique de film ?
En fait, je m’étais destiné à être guitariste et à travailler dans des groupes, et, alors que je vivais à Paris et réalisais des musiques de publicité, de jingles, une personne m’a dit que ma musique collait bien à l’image, j’ai alors enchaîné avec des courts-métrages et des téléfilms. J’ai commencé à croire à mon potentiel, et, surtout j’ ai beaucoup apprécié travailler en équipe. De plus j’ai toujours été très cinéphile depuis ma prime jeunesse. J’écoutais Maurice Jarre, Vangelis…. A l’époque je regardais un film en le considérant comme une entité unique, aujourd’hui quand je regarde un film, je distingue ses différentes composantes : le scénario, le montage, la musique… J’ai beaucoup évolué au niveau de ma perception, notamment grâce à mon travail personnel. Une autre évolution entre les deux époques est le fait que l’on soit passé d’une musique très mélodique à un monde de sons. Aujourd’hui on a deux extrêmes dans la musique de film, d’un côté on a un aspect très mélodique comme dans les blockbusters Marvel ou Disney, de l’autre, dans les films d’auteur européens, la musique est au deuxième plan. On a du mal à atteindre un équilibre. Selon mon point de vue, c’est l’histoire du film qui doit conditionner la place de la musique. Si elle doit être omniprésente ou en arrière-plan, définir les moments où elle est nécessaire. De même que le dosage d’orchestration.
Composer une musique de film, de série, c’est s’insérer dans un projet créatif où le réalisateur a déjà des idées plus ou moins précises de ce qu’il souhaite retrouver à l’écran. Qu’est-ce qui vous motive dans le choix de vos collaborations ?
Quand j’ai commencé ma carrière, on pouvait écrire un morceau de musique et se dire, là ça va bien fonctionner avec les images, et on allait en studio pour enregistrer. Cela était également facilité par le fait qu’un musicien connaît la lutherie de l’orchestre, il sait quel son produit chaque instrument. Aujourd’hui, quand je travaille en électronique, c’est différent car la lutherie de l’électronique est très difficile à appréhender. De l’extérieur on a l’impression, et c’est quelques fois vrai, mais rarement qu’en électronique il suffit d’appuyer sur une touche pour obtenir la musique souhaitée. Moi, ce n’est pas de cette façon que je travaille, je rajoute des sons, je fais des recherches.
En ce qui concerne mes collaborations avec le reste de l’équipe d’un film, les choses ont aussi beaucoup changé en vingt-cinq ans (titre de mon album). Avant, on avait de longues discussions avec le réalisateur, quitte à ne pas être d’accord, à s’opposer franchement. Aujourd’hui, la tendance est plutôt : Qu’est ce que tu veux comme musique ? Ok, je vais le faire. J’exagère un peu, mais on a beaucoup moins de confrontations. C’est lié au fait qu’on vit dans un monde de l’immédiateté, et ça ce n’est pas très bon.. Mais aussi, c’est le fait de l’expérience acquise, autant celle des réalisateurs avec lesquels je travaille, que celle issue mon propre vécu. De même que j’ai pris du temps à comprendre que l’on partait d’une source sonore pour arriver à des dizaines de sons, j’ai mis du temps à comprendre que le musicien d’un film est un filmmaker, au même titre que le réalisateur, le directeur photo… On raconte une histoire, on fait du storytelling. Par la même, c’est un peu frustrant pour un artiste, c’est pour cela que j’écris de la musique qui peut tenir toute seule et que je me lance dans d’autres projets. Ainsi, actuellement je compose des pièces pour des pièces de théâtre qui vont se jouer en Italie.
On peut considérer que la musique de films s’intègre dans une approche créative plus large qu’est le design sonore. La musique, les bruits, les silences se complètent, s’enrichissent pour constituer un écho à l’intériorité des personnages, pour dessiner une atmosphère ? Est-ce votre façon d’appréhender vos compositions ?
Si on se base sur le travail fait par Pierre Schaeffer dans les années soixante sur la musique concrète, sur la façon d’utiliser les sons. Là cela devient très intéressant. C’est cette approche que j’ai pu mettre en place dans Last Film Show (Pan Nalin,2021) qui a été sélectionné aux Oscars. Pan Nalin a souhaité que mon travail s’inspire de l’approche sonore que Tarkoski avait demandé à son compositeur Edouard Artemiev, pour Stalker. On se souvient notamment de la scène où il fait naître la musique à partir du bruit d’une machine sur les rails. Le sound design peut avoir un autre sens pour les réalisateurs, c’est arrivé que l’on me demande de créer une ambiance sonore, juste pour être en arrière-plan. Et dans ces cas, c’est peu épanouissant pour moi.

Vous avez composé pour la télévision, autant que pour le cinéma ? Y a-t-il des différences sur la façon de travailler entre ces deux médiums ?
J’aime beaucoup ce que disait mon ami Lalo Schifrin : « La musique pour la télé, c’est un télégramme, tandis que celle pour le cinéma est une longue lettre d’amour ». L’idée des génériques des séries des années soixante-dix, c’était de faire revenir dans le salon les gens qui étaient dans la cuisine, d’où ces thèmes marquants comme ceux de Manix, Mission impossible.. Aujourd’hui, c’est autre chose. C’est plus complexe car dans une série, contrairement au cinéma, on prend le temps de développer la psychologie d’un personnage, de le faire évoluer. On arrive à une complexité plus intéressante, et cela impacte la façon doit on composer la musique. Ce changement date d’une vingtaine d’années environ.
Une série comme Borgia a dû représenter un projet très stimulant ? Le récit se déroule sur plusieurs saisons, chaque clan possède son thème musical, on passe successivement de la psychologie à l’action (un côté Western ), de la passion à la violence.
J’ai travaillé sur le lancement de la série, sur la première saison. Borgia a été un vrai terrain de jeu, c’était très intéressant de me tourner dans plusieurs directions en même temps, dans le passé et donc vers la musique baroque du contexte historique, dans l’épique voire le western pour l’action, et dans une époque plus actuelle pour montrer la jeunesse des personnages et ramener le récit dans la perspective du spectateur, qui possède un regard contemporain. Il y a pour cette première saison, cinq à six heures de musique, soit plus que dans les deux autres saisons. La musique reflète aussi une chose qui s’est passé pendant la production. Il s’agissait d’une coproduction, j’étais un peu tiraillé de partout; il y avait un bureau à Paris, un showrunner à New-York, un autre producteur ailleurs, et chacun voulait un style différent ; très moderne pour l’un, épique pour l’autre, un autre me laissait le choix car il prétendait ne rien connaître en musique. Au final, la musique s’est enrichie de ces contradictions, contribuant à son succès, Elle est d’ailleurs encore beaucoup jouée aujourd’hui.
Dans votre très récente actualité, il y a la sortie de « 25 Years », un album qui reprend un certain nombre de vos compositions pour le petit et le grand écran. Comment avez-vous fait le choix parmi l’ensemble de vos créations ?
C’est très intéressant car j’ai au cours de ma carrière composé beaucoup de musiques de musiques de films et de séries, et donc énormément de thèmes, des milliers même. Dans ma compilation, il fallait qu’on y retrouve mes musiques iconiques, celle de Samsara, Mafiosa, La fiancée Syrienne… Il fallait aussi que je dose les styles de musique pour que l’album ne soit pas répétitif. J’ai également voulu que ces choix soient tournés vers l’avenir. Si un réalisateur écoute mon album et me demande de faire une musique dans le style de celle de l’album, je dirai oui, car mon aspiration va dans ce sens. Il y a des types de musique que je ne veux plus refaire, et celles ci ne sont pas dans l’album.
Pendant 25 ans, j’ai travaillé dans un grand nombre de pays du monde, avec une dizaine de trois longs-métrages en Inde, une dizaine entre les U.S.A et l’Angleterre, en Argentine, en Allemagne, au Maroc…mais seulement trois en France. Dernièrement j’ai composé la musique d’un thriller qui a été premier sur Paramount Chanel en Angleterre. En France on ne connait pas tout ce que j’ai fait. Par conséquent, ce qui compte dans cette compilation au-delà de tout, c’est que pour la première fois, je vais réunir mon travail dans un seul point.
On suppose que vous devez être actuellement investi dans un ou plusieurs projets ?
Oui, je travaille notamment dans la nouvelle version d’un film que j’ai fait il y a une dizaine d’années. Un film sur le sport, deux autres longs-métrages, je vais également travailler pour un musée. Entre-temps je vais aussi me rendre à Los-Angeles, pour présenter un film dont je suis le réalisateur cette fois. Un documentaire sur un acteur sioux Lakota, qui a joué dans Danse avec les loups et dans le préquel de Yellowstone.
Entretien réalisé par téléphone le vendredi 3 octobre 2025. Merci à Cyril Morin pour sa disponibilité, ainsi qu’à Baptiste Depois , son attaché de presse qui a organisé cet échange.




