Ici Brazza

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Quel chantier !

Au début, se dresse un lieu végétal et minéral, avec quelques pousses agitées par le vent, des insectes fréquentant rapidement le cadre filmé en gros plan. Un terrain vague, somme toute, où le seul bruit que le spectateur-auditeur perçoit provient de la circulation automobilistique en hors-champ. Un endroit hors du temps que nous allons enduite découvrir en plans de plus en plus proches.

Ici Brazza, tout un programme : une zone en friche vit ses dernières heures. 53 hectares à bâtir pour un vaste projet immobilier dans l’air du temps. Chronique d’un terrain vague en transformation, le film scrute l’annonce d’un « nouvel art de vivre » dans la réalité brute du terrain. Le projet Brazza tient son nom d’un célèbre explorateur d’origine italienne, puis naturalisé français, commissaire général du Congo pour le  gouvernement de la IIIème République.  Brazza est un quartier de la rive droite de Bordeaux, évoquant également l’histoire d’un port historique où les denrées provenant d’Afrique coloniale arrivaient auparavant en importance. Ce quartier est devenu un terrain vague, que des urbanistes, des investisseurs, soutenus par les politiques, rêvent de transformer zone habitable et habitée : le projet Brazza est né.

Antoine Boutet nous dévoile et nous décrit, sans commentaires en voix-off, via un style particulier et fréquemment ingénieux, les prémices et les fondations du plan ainsi que des constructions. Avec plusieurs matériaux qu’il assemble : images de synthèse, photos, plans variés, des appartements filmés en intérieurs à 360°. Virtualité, certes, virtuosité, mais aussi vertu de la monstration d’une forme d’insensibilité, d’inhumanité.

Le documentaire offre à notre regard et notre sensibilité des constructions abandonnées, vouées à une destruction programmée et prochaine, tels cet entrepôt abritant des réjouissances festives, des musiques, des danses, de la jeunesse. De la vie. Ces sons et lumières ne deviendront plus qu’un souvenir : l’abri des danses se transforme en ruines. Un autre ballet succède à la fête, celui des pelleteuses.

Ce documentaire nous propose aussi des incursions dans un espace-temps nocturne, par des vues successives sur des tramways passant près du quai 56, des maisons voisines, des ponts, des éléments urbains, voire humains, face à un marécage chargé de déchets. De vestiges. Une nature sauvage, rebelle, sous la pluie. Moment d’inquiétante étrangeté savamment distillé au fil du film, grâce à un art du montage associant la progression inexorable du projet sur le quartier bordelais à des disparitions de bâtiments et d’habitants, tels ces gens du voyage évacués par les forces de police filmées par le documentariste et son équipe, aussitôt chassés par des gardiens de la paix. « Vous pliez, et vous partez. » Des vies évacuées, détruites, comme ces constructions autrefois synonymes de liens. Le montage trouve également sa force dans son ironie elliptique : ainsi ce couple modèle figurant sur le panneau publicitaire vantant les mérites du projet, un couple progressivement filmé comme dans un thriller. D’autres panneaux défilent, accompagnés d’une bande-son anxiogène.

Importance du son, en tension avec l’image : des sons de machines, une bribe de conversation, des propos inaudibles, des rires, lors d’une réunion des acteurs du projet où des images virtuelles sont projetées pour louer ces visions d’une utopie face à des investisseurs convaincus des bien-fondés humains et écologiques de la future cité Brazza. Une musique dissonante nous conduit parfois vers des rivalités entre la nature sauvage et les outils utilisés par les ouvriers du chantier.

Des objets de toute sorte et de toute forme émettent des bruits, fendent l’air et la lumière dans la brume, le gris récurrent. Des poutres, des structures métalliques, des échafaudages, des dalles et des parpaings semblent emprisonner les manœuvres : l’objet enferme l’humain. Les travailleurs sont filmés de manière lointaine, tels des fourmis industrieuses. L’humanité reste lointaine, comme hors-sujet. Comme ces êtres figurant dans les plans et les publicités à proximité du site.

 

Plus film-essai sur une destruction-reconstruction d’un quartier déserté qu’un simple documentaire objectif, Ici Brazza ressemble à un plaidoyer pour une nature libre et sauvage. Une nature résistant vaille que vaille à ces idéaux urbains à la verdure formatée.

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Durée : 86 mn


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