Tout d’abord une exposition trop directe des enjeux, par la réunion des deux couples dans le salon de Rachel et Franck (Marina Foïs et Roschdy Zem), la découverte des hobbies des uns renvoyant les autres à leurs propres histoires, leurs aspirations cachées, etc. Quoi de plus stimulant en effet, entre adultes consentants, que de se projeter dans des vies virtuelles n’engageant à rien d’autre qu’une inoffensive distraction ? Quoi de mieux que la perspective d’un partage de corps et d’expérience pour se donner l’impression de vivre un peu plus que d’ordinaire ? Aussi est-ce sans grande surprise que Teri (Elodie Bouchez), ex-championne de gymnastique, éveille chez Franck et Rachel quelque fantasme à peine caché de vitalité sexuelle.
Cette dimension trop calculée, plus qu’explicite de la contextualisation du désir laisse ainsi perplexe sans pour autant diluer immédiatement l’intérêt. Que le scénario d’Anthony Cordier et Julie Peyr soit très transparent, sa mise en image trop lisible n’empêche heureusement pas d’espérer un éventuel débordement de celui-ci par les corps, l’incarnation physique de ses grandes lignes. La première heure d’Happy Few sera alors, sans s’avérer aussi surprenante et culottée que voulu, au moins intrigante par la manière dont est tracée la ligne claire de cet échange heureux et consenti de part et d’autre. Franck et Vincent (Nicolas Duvauchelle) tapent ainsi la causette sans rancune, juste après que le premier ait passé l’après-midi à baiser sur le canapé avec la femme du second. Sans rancune… suppose-t-on, le jeu toujours très urgent, fiévreux de Duvauchelle contrastant suffisamment avec le calme coutumier de Zem pour laisser soupçonner un semblant de malaise, une civilité n’interdisant pas la mise en garde.
Reste que ces signes d’instabilité à peine couverts par le voile de la transparence ne suffisent jamais à s’assurer de leur infiltration dans la structure globale du récit. Si crise il doit y avoir, celle-ci prendra moins corps par la pertinence du découpage ou de tel raccord, la dimension indécidable de tel plan ou séquence que l’aplanissement dialogué des états d’âmes de chacun. C’est le deuxième indice d’une problématique fermeture du film à tout dépassement de sa note d’intention : l’utopie d’un échange sexuel en toute amitié se claironne d’autant plus au départ que viendra la désamorcer l’injonction d’un retour à l’ordre purement scénaristique. Le souci n’est pas tant pour ces « happy few » de se demander s’ils n’auraient pas légèrement dépassé les bornes que de se plier à la nécessité pour le cinéaste/scénariste de donner un point final à cette aventure.
Troisième et dernier point suspendant l’adhésion complète à Happy Few : l’aspect justement trop « fantaisiste », trop exceptionnel de cette aventure. A aucun moment, contrairement à Douches froides, les protagonistes de cette circulation des corps et des désirs ne semblent marqués par leurs actes au-delà des scènes de cul. Qu’ils aient un emploi, une famille (parents, enfants, frères et/ou sœurs), d’autres amis aurait pu aider à relever concrètement, par le biais d’un bégaiement, un lapsus, une absence à leur quotidien l’empoisonnement progressif de leur stabilité initiale par l’intrusion du libertinage. Rachel ou Teri sont-elles désormais de moins bonnes mères parce qu’ elles couchent régulièrement avec un autre homme que le père de leurs enfants ? Les conseils de Franck en feng shui améliorent-ils la sexualité de Vincent et Teri, comme jadis le remède aux blocages sexuels de la Sandrine Kiberlain du Septième ciel (Benoît Jacquot, 1997) relevait in fine du diagnostic d’un mauvais emplacement du lit ? Nul ne sait vraiment. L’escapade sexuelle puis – fatalement – amoureuse des deux couples a ceci d’inopérant, d’un point de vue dramaturgique, que ne l’identifient vraiment que les deux-trois scènes les réunissant à dessein d’explicitation, de représentation symbolique de l’échangisme (terme que répudie par ailleurs le cinéaste).
La scène du premier dîner n’a encore une fois pas d’autre valeur : mettre en présence de manière purement logistique deux garçons et deux filles, pointer ouvertement les possibilités pour mieux feindre, lors des scènes de sexe à deux, une émancipation de cette extrême théorisation. L’autre grande scène, la plus « culte », celle de la partouze dans la farine, n’apparaîtra à son tour que comme une simple performance, un enjolivement voué à tirer satisfaction esthétique du postulat d’origine : se confondre en apparence dans le Grand Blanc pour mieux croire – ou dans tous les cas prouver – qu’une expérience, une circulation a bien eu lieu.