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Véritable découverte du Festival de Cannes 2019 : à ne pas rater !

Sans doute la découverte la plus éblouissante de ce festival, ce film projeté à la Quinzaine des Réalisateurs s’impose comme une révélation à la fois esthétique, politique et émotionnelle, malgré sa durée de presque cinq heures. Mais le film, tourné pourtant en noir et blanc et sans beaucoup d’effets spéciaux ni de mouvements de caméra, puisque tout est presque filmé en plans fixes, passe aisément tant on se laisse happer par cette histoire censée se passer en 2034 alors que l’Asie du Sud-Est est littéralement plongée dans la nuit car le soleil n’apparaît plus depuis des jours et des jours suite à des éruptions volcaniques massives dans la mer de Célèbes. Le paysage, la ville apparaissent sous des trombes d’eau, et l’éclairage est celui, artificiel, des rues et des appartements préfigurant l’enlisement du monde dans la dictature, la barbarie et les épidémies cataclysmiques. Pourtant, il ne s’agit nullement d’un film de science-fiction car ce que le réalisateur veut nous dire c’est que nous y sommes, notre monde est déjà entré dans ce fascisme, avec ces drones qui surveillent sans cesse l’espace et les citoyens, et ce dictateur fou – incarné par Joel Lamangan dont il faut souligner le talent inouï – qui s’impose et qui nous en rappelle tant d’autres, déjà ou bientôt à l’œuvre.

 

 

Une mise en scène des Philippines

Lav (Lavrente Indico) Diaz est un cinéaste philippin très prolifique, d’autant qu’il est aussi scénariste, producteur, monteur, directeur de la photographie, poète, compositeur, chef décorateur et acteur. S’il ne joue pas dans ce film, il figure au générique en tant que réalisateur bien sûr, mais aussi scénariste, producteur, directeur de la photographie et monteur. Cet homme orchestre de génie, réputé pour la longueur inhabituelle de ses films – au nombre de douze et récompensés par de nombreux festivals – se justifie en expliquant que ses films sont gouvernés par l’espace et la nature, et non par le temps. Son sujet principal, comme ici avec Halte, c’est la politique de son pays, les Philippines, qui rencontre nombre de difficultés sociales que la plupart des réalisateurs philippins, tels que Brillante Mendoza et Lino Brocka entre autres, mettent à jour de différentes manières. Ici, ce qui captive le spectateur, c’est la narration fluide et quasi hypnotisante de ce film qui l’englobe dans un monde presque à l’agonie, où les gens cependant tentent de toutes les manières de résister à la dictature et à la misère imposées. Bien sûr, il s’agit d’une métaphore qu’on pourrait appliquer à bon nombre d’Etats contemporains, et c’est pourquoi Lav Diaz a choisi de donner à son film une coloratura entre SF, film d’horreur et portrait quasi documentaire des Philippines, avec de longs plans fixes sur des personnes qui attendent sous la pluie, comme pour montrer à la fois leur résignation et la colère sourde qui les habite.

 

 

Une métaphore de la dictature mondiale actuelle

Cette idée de film lui est venue, raconte le réalisateur, un soir qu’il se promenait dans une ville qu’il ne nomme pas, lors d’un festival et qu’il a croisé la route d’un Socrate local qui parlait à une petite assemblée admirative. Il s’est mis à filmer la scène, puis l’occasion s’est présentée qu’il puisse lui parler. Lorsque ce Socrate lui demande qui il est, il répond qu’il est cinéaste. Et le Socrate lui demande alors : « Que peut le cinéma ? » « J’étais pétrifié, continue Lav Diaz. Nous sommes allés boire des bières et nous lamenter sur l’état du monde. Il demeurait optimiste. Je lui ai parlé du film que je m’apprêtais à tourner, un mélange de science-fiction et d’horreur, à propos de la mort d’un dictateur, de la mort de la moralité, de la mort de la vérité. Ses derniers mots avant d’être englouti par l’obscurité : Ne fais pas confiance à ce que tu connais. » Une vraie réponse socratique en fait que le réalisateur a réussi à mettre en images et en mouvements lents ici comme pour nous alerter.

Titre original : Ang Hupa

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Durée : 279 mn


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