L’Ivresse de l’argent répond en quelque sorte au précédent fim d’Im Sang-Soo, The Housemaid. Même image léchée et policée à l’extrême, mêmes couleurs saturées, même thème de la perversion par l’argent. Dans la dernière scène, magistrale, de The Housemaid, une petite fille assistait au suicide de sa nourrice par immolation. Vingt ans plus tard, on la retrouve dans L’Ivresse de l’argent, en jeune femme divorcée qui a confié la garde de ses deux enfants à une nounou sino-coréenne. Elle vit toujours avec ses parents, qui se détestent, ne s’étaient mis ensemble que pour l’argent et la fondation d’un empire. Leur jeune serviteur, Youn-Jak, pratiquement violé par la mère, grimpe les échelons jusqu’à devenir l’homme de main de la famille. Plus dure sera la chute, forcément.
Voilà en gros pour l’argument de L’Ivresse de l’argent, qui emmène d’entrée de jeu le cinéma d’Im Sang-Soo sur un terrain plus récréatif. Pur film d’entertainment, il mélange tout avec un certain bonheur : thriller, romance érotique, comédie franche par endroits. L’Ivresse de l’argent stimule surtout dans sa première moitié, quand il s’applique à brosser une galerie de personnages carrément antipathiques, frustrés sexuellement et pourris par le fric, avant de retomber un peu dans le dernier tiers, où il semble ne plus trop savoir comment sortir de son histoire. Perpétuels retours sur soi, coups de théâtre à n’en plus finir, le film du cinéaste coréen s’étire, enchaîne les petites séquences plutôt drôles mais parfaitement ridicules – voir par exemple la scène où le serviteur et son patron se battent à mains nues, copie conforme d’un combat à la Street Fighter.

Mud ensuite, le film qu’on attendait un peu comme le messie, celui par lequel le miracle devait arriver. On a même encore repoussé le train du retour pour le voir. Et alors ? Alors le film est très beau, et déçoit en même temps au regard du choc qu’avait été Take Shelter il y a à peine six mois. On attendait quelque chose de plus grand, quelque chose d’aussi secrètement démesuré que le film précédent. En fait, non : Mud est plutôt un conte initiatique de et sur l’enfance, qui s’offre presque exactement tel qu’en lui même. Ce qu’on voit, c’est ce qu’il faut croire, même si le film ménage de vraies belles surprises plusieurs fois en chemin.
On y suit deux amis de 13 et 14 ans qui, ayant découvert un bateau accroché à un arbre sur une île, rêvent d’en faire leur terrain de jeu. Sauf que Mud, un homme énigmatique mi-clochard mi-Robinson Crusoé (Matthew McConaughey, encore lui), y a déjà pris ses quartiers, et qu’il avoue assez rapidement avoir tué l’amant de sa copine et avoir les flics à ses trousses. Les deux ados sont aussi apeurés que fascinés, et deviennent vite les intermédiaires entre Mud et sa petite amie Juniper (Reese Witherspoon), qui attend dans un motel miteux de la ville la plus proche que son mec revienne la chercher. Voilà donc pour l’histoire d’un film au final plus proche de chroniques adolescentes et d’aventure comme Les Goonies et Stand by me que du grand œuvre d’un Terrence Malick. Une fois passée la surprise et évacuée la comparaison avec Take Shelter, Mud s’apprécie à sa juste valeur.

De Take Shelter, il reste cette image d’une Amérique un peu sclérosée, tapie au creux d’états où personne ne va ; là où la justice se fait elle-même, où la violence s’apprend petit, où on cogne pour un rien, où l’on dit « yes, sir » à son père. Où la colère gronde à l’intérieur. Tout cela est filmé du point de vue d’un ado qui adule une petite crapule au grand cœur, c’est le plus beau trait de Mud, celui qui tisse des ponts entre l’enfance et l’âge adulte dans cet instant où l’on n’est plus tout à fait l’un, pas encore tout à fait l’autre. Mud n’atteint pas tout à fait les sommets de Take Shelter ; on veut quand même bien voir Jeff Nichols continuer à filmer le tourment intérieur.
Fin de compétition, fin de festival, et proclamation demain du palmarès. Nous, dans l’idéal, on verrait bien Amour et Holy Motors cités très haut. Palme ou Grand Prix, peu importe, du moment que l’un et l’autre sont récompensés. Avec De rouille et d’os, les deux films sont de toute façon les préférés des critiques français et étrangers. Alors croisons les doigts.
Et maintenant, dormir. Le plus vite possible, le plus longtemps possible.
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