Festival de Cannes 2012 – Dépôt de bilan

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La belle Palme d’Or à Haneke sauve tout juste un palmarès décevant, presque de mauvaise foi. Et Carax, dans tout ça ?

Commençons par ce qui plait, avant de râler, et maintenant qu’on est un brin plus reposés. Amour, Palme d’or, l’évidence. On le disait, Michael Haneke a montré à Cannes le plus beau film d’un festival en demi-teinte – avec le Leos Carax, mais on y revient. Et on se réjouit, donc, que Nanni Moretti ait finalement distingué l’Autrichien, alors même qu’il avait un jour formulé la promesse de ne jamais le récompenser. On l’a déjà dit, le film est immense, tout comme ses acteurs, que le jury a d’ailleurs couronnés d’une mention spéciale ; c’était bien la moindre des choses. Si Trintignant et Riva n’avaient plus rien à prouver, ils ont encore montré que le talent n’est pas affaire de jeunesse ; qu’à 85 ans, on s’émeut encore comme à 20. Et la citation empruntée à Prévert par Trintignant lors de la cérémonie de clôture n’en était que plus belle : "Et si on essayait d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple."

Heureux, on l’est donc pour Amour, vraie Palme de coeur aussi bien que de tête, et qui n’a pas eu peur de porter haut un cinéaste déjà palmé, le faisant rentrer dans le cercle toujours un peu moins fermé des réalisateurs l’ayant par deux fois emporté. Pour le reste, difficile de pousser des hourras, surtout en ce qui concerne le Grand prix du jury, donné à Reality de Matteo Garrone, peut-être le moins stimulant de la compétition, qui prônait un retour à la comédie à l’italienne avec dix ans de retard environ. Le Grand Prix du jury, Garrone l’avait d’ailleurs déjà eu avec Gomorra en 2008, film autrement plus audacieux. Cette année, pas question de cracher sur les habitués : Ken Loach repart avec le Prix du Jury pour La Part des anges. On ne l’a pas vu, mais personne n’avait l’air exalté.

Pour le reste, toujours pas d’audace, plutôt des films assez austères qui correspondent bien à un goût prononcé de Cannes pour un cinéma d’auteur réaliste (et le rêve, alors ?). Le double prix d’interprétation féminine pour Au-delà des collines, on l’attendait : gageons que Moretti a vu dans cette chronique sinistrée roumaine un parallèle avec l’histoire de son pays, où la tradition le dispute douloureusement à la modernité. Et soulignons qu’ici aussi, Cristian Mungiu avait déjà eu les honneurs de Cannes avec la Palme pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours en 2007. Mads Mikkelsen en prix d’interprétation masculine, on n’a rien contre, même si le film de Vinterberg, là encore, n’était pas le moins académique de la compétition. Le plus étrange, c’est sans doute le Prix de la mise en scène à Reygadas : tout le monde semble s’accorder à dire que Post Tenebras Lux était très pénible.

Mais c’est l’oubli de Leos Carax au palmarès, le mépris du jury face à son film qui crie le plus fort l’injustice : non seulement Holy Motors est magistral, mais c’est bien lui qui interrogeait de manière la plus pertinente le retour sur soi, celui qui hurlait son envie de revivre. Celui aussi qui était la plus belle proposition de cinéma, qui ressemblait le plus à l’idée qu’on se fait d’un film, jusque dans ses maladresses. On avait envie que Carax, après 13 ans d’absence, soit au moins remercié pour l’effort, que soit pris en compte le fait qu’un film se fait parfois dans la douleur. Et Holy Motors était bien le film qui avait ressorti les festivaliers de la torpeur, celui dont tout le monde chantait les louanges. Phénomène inexplicable donc que son absence totale dans la liste des prix – De rouille et d’os, lui, se console au moins avec un formidable succès en salles. Du coup, on en reparlera longuement à sa sortie, le 4 juillet. Et on se réjouit que d’autres de nos amis et confrères ne s’en remettent pas, comme Coralie d’Envrak, qui en parle admirablement ici. Pour l’heure, faisons comme si le jury, c’était nous : et déclarons solennellement que, si ça n’appartenait qu’à nous, Holy Motors aurait été là-haut, tout là-haut.

Palmarès complet

Compétition officielle :
Palme d’or : Amour, de Michael Haneke
Grand Prix du jury : Reality, de Matteo Garrone
Prix d’interprétation féminine : Cosmina Stratan et Cristina Flutur dans Au-delà des collines, de Cristian Mungiu
Prix d’interprétation masculine : Matts Mikkelsen dans La Chasse, de Thomas Vinterberg
Prix de la mise en scène : Post tenebras lux, de Carlos Reygadas
Prix du scénario : Au-delà des collines, de Cristian Mungiu
Prix du jury : La Part des anges, de Ken Loach
Caméra d’Or : Les Bêtes du sud sauvage, de Benh Zeitlin
Palme d’or du court-métrage : Sessiz-Be Deng (Silence), de L. Rezan Yesilbas

Un certain regard :
Prix Un certain regard : Despuès de Lucia, de Michel Franco
Prix spécial du jury : Le Grand soir, de Benoît Delépine et Gustave Kervern
Mention spéciale : Djeca, de Aida Begic
Prix d’interprétation féminine : Emilie Dequenne pour À perdre la raison, de Joachim Lafosse, et Suzanne Clément pour Laurence Anyways, de Xavier Dolan  
 


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