Ezra

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Une fiction courageuse, qui s’attache à un problème majeur : les enfants soldats en Afrique. On peut désormais éteindre la télé, et regarder différemment ce qui se passe sur ce continent…

Enfants soldats, trafic des diamants, guerre civile en Sierra Leone : le deuxième long métrage du réalisateur nigérian Newton Aduaka, après Rage (2001), s’attache à des sujets brûlants. Mais, contre tout a priori un peu facile, le film garde de grandes qualités cinématographiques, et propose un traitement plutôt fin, d’une situation extrêmement complexe.
Pas de pathos à tout prix, pas de pitié ou de compassion, mais un regard d’égal à égal avec les habitants, et surtout, ceci explique peut être cela, un film entièrement tourné sur place, par un cinéaste africain.

Posons d’abord un bémol : l’urgence du sujet imprime sans soute un ton un peu didactique au film, que le cinéaste assume entièrement : « mon cinéma est vraiment très engagé, direct et clair. Les choses sont trop désespérées. Le moment est venu de parler clairement et sans ambigüité au cinéma. » Ce qu’on regrette, c’est que cette exigence de clarté induit des choix un peu bancals, notamment au niveau de la structure du film, très démonstrative, et recourant au dispositif du procès : devant un tribunal de « réconciliation nationale », constitué sous l’égide de l’Onu, Ezra, ex enfant soldat, est appelé a la barre pour raconter les épisodes des sa vie. Ceux-ci sont entrecoupés du récit, pas toujours complémentaire, des vies de sa sœur ou d’autres témoins. Le film, pourtant co-écrit avec Alain Michel-Blanc (César du meilleur scénario pour Va, vis et deviens), avance ainsi par flash-backs, de manière un peu laborieuse, sans que cette alternance entre deux temporalités différentes apporte un véritable éclairage sur ce qui est raconté… Mais s’il y a des bémols, il y a aussi de vrais morceaux de bravoure.

L’ouverture du film est remarquable par la précision de sa mise en scène, et la justesse du traitement. Un tableau, la main de l’institutrice qui écrit la question de la dissertation: « pourquoi est-ce que j’aime mon pays ?». Un lent panoramique élargit le cadre, montrant les élevés concentrés, et s’arrête sur Ezra qui regarde par la fenêtre : la cour, un drapeau du Sierra Leone hissé au milieu, le portail d’entrée de l’école Anglicane. Tous les contrastes de cette ex colonie anglaise sont à « portée de vue ». Le regard du spectateur, comme n’importe quel élève, est attiré vers le portail, devenu seul point d’ouverture de ce microcosme coupé du monde par une barrière en bois, un peu trop fragile, par laquelle on sent que le monde fera, tôt ou tard, irruption : l’arrivée dés milices révolutionnaires a quelque chose d’attendu et d’inéluctable. Le grand rapt des enfants commence alors, dans une scène à la fois épique et très retenue : le découpage morcelle la scène en nombreux plans de différentes tailles, parfois ralentis, mais le traitement du son évite tout excès : des coupes, des bruits sourds, des cris interrompus. Images et sons s’équilibrent, bâtissant ainsi une fresque relativement forte, qui restitue, par la mise en scène, l’intensité d’un moment dramatique, sans chercher à donner la souffrance en spectacle : le drapeau du pays tombe par terre, un milicien le recueille et y enveloppe Ezra, qu’il emporte avec lui.

Dès le début, le pays est ainsi posé symboliquement comme l’enjeu d’une lutte interne : tout le monde en revendique le contrôle, et tous pensent agir dans l’intérêt de ses habitants. Agréablement surpris, on découvre que le film n’a pas de fausse gêne du « politiquement correct », et n’hésite pas à faire entendre la voix des groupes révolutionnaires qui, tout du moins au début, avaient apparemment des motivations valables de lutter : école publique, eau et électricité pour tous, partage de l’argent obtenu par les mines des diamants. « Black Diamond », femme d’Ezra et fille d’un révolutionnaire maoïste, n’hésite pas à affirmer que la lutte fût d’abord contre une injustice criante et que, malgré tout, ce n’est ni inexplicable, ni condamnable a priori. Certes, le film ne cautionne pas les méthodes des miliciens, et n’hésite pas non plus à dénoncer avec force le kidnapping, l’administration de drogues et amphétamines, la violence hiérarchique, et la corruption qui ont contaminé ces groupuscules militants. Essayer de comprendre ne signifie pas soutenir.

La force de ce film est d’éviter le prise de positions facile, de se soustraire à la compassion des victimes, parvenant à dresser un tableau d’ensemble assez lucide. Le cinéaste dénonce le reniement de tout principe de la part des militants révolutionnaires, et leur atroce brutalité ; mais, de la même manière, il n’hésite pas à dénoncer ce qui lui semble inacceptable chez ceux que s’y opposent. Il pointe du doigt une certaine hypocrisie de l’Onu, qui soigne les enfants pendant 6 mois, avant de les laisser partir dans la nature ; il souligne avec force la distance du juge par rapport à la situation des combattants ; il n’hésite pas à montrer l’implication de l’Etat dans les affaires louches avec les trafiquants des diamants occidentaux, les mêmes d’ailleurs qui fournissaient armes, drogues et argent aux rebelles. Le plus grand mérite du film est de proposer une « lecture critique » des évènements récents en Sierra Leone, et plus généralement en Afrique, délivrant l’information des simplistes schémas télévisuels, pour enfin prendre le temps d’y regarder de plus près : les choses se compliquent alors…

Titre original : Ezra

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Durée : 102 mn


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