Entretien avec Michelange Quay

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Michelange Quay est un cas. Auteur du très beau et troublant « Mange, ceci est mon corps », Quay est aussi discret dans les entretiens que dans ses films. Très peu de paroles, des silences, un peu de poésie et le résultat est plus qu’énigmatique. Cela donne envie d’aller revoir ce film. Pari gagné !

1. Comment le cinéma est-il entré dans votre vie ?

Un peu par accident ! J’ai toujours dessiné, et joué de la musique depuis tout petit, mais je n’avais pas une ombre d’ambition artistique, ou même d’ambition quelconque, jusqu’au jour où j’ai pris un cours d' »appréciation de Cinéma » a la fac. Quand j’ai compris qu’il y avait quelqu’un derrière les manettes qui écrivait, qui composait tout ce que l’on entend et ressent, le cinéma m’a possédé. Je trouve que c’est une des plus grandes merveilles que l’homme a jamais inventées !

2. D’emblée, lorsque le spectateur voit votre film, il devient mélomane. Il y a un parallèle très fort entre la musique, les sonorités, la mélodie et l’image. Qu’en pensez-vous ?

Le cinéma et la musique sont tous les deux des écritures qui se vivent seulement dans le temps, dans le déroulement, en action. Comme dans la vie, on lit ce qui se déroule et on fait des liens, on trouve des motifs, et on raconte des histoires, des mythes, des choses. La musique était présente au début des arts depuis l’aube des temps, et comme le cinéma, on « pense ensemble », on « rêve ensemble », lorsque l’on écoute de la musique, lorsque l’on regarde un film.

3. Dans votre court-métrage que je n’ai malheureusement pas vu, vous prenez déjà comme toile de fond l’île d’Haïti. Mais ce traitement est plutôt radical. Olivier Barlet, d’Africultures, écrit : « L’Evangile du cochon créole réussit un condensé distancié, critique, provocateur et parfaitement déjanté de l’histoire haïtienne à travers son évocation du cochon créole que l’on saigne sans merci, dans le monde comme à l’écran. ». Faites-vous des films par nécessité ?

J’aime rêver, écrire, puis filmer et monter – mais le faire est un privilège. Je cherche toujours ce qui me semble le plus critique, le plus tranchant, le plus trouble, et donc ce qui est plus urgent pour moi à dire sur ce podium, et j’espère pouvoir dialoguer avec des gens sur des choses qui nous touchent, au fond.

4. Mange, ceci est mon corps. Un titre effrayant et beau à la fois. Pourquoi ce titre ?

Je ne sais pas! Le titre m’a choisi et j’ai ensuite écrit le film autour. Il y a un mystère dans un beau titre, et peut-être, tout le travail d’un film est d’emmener le spectateur avec nous pour explorer les énigmes d’une problématique cachée derrière un concept, un titre.

 

5. Ce film est hypnotique, sans concession, une véritable épreuve pour le spectateur. Comment avez-vous réfléchi à la construction narrative surprenante du film ?

Je l’ai écrit comme certains écrivent un poème. J’ai laissé les images et les scènes se construirent par les logiques esthétiques, poétiques et politiques que leurs liens suggéraient.

6. Le choix des acteurs s’est imposé de suite ?

Tous les acteurs étaient mes premiers choix pour leurs rôles.

7. Comment avez-vous procédé à la direction d’acteurs ?

Je ne dirige pas tellement. J’ai essayé de mettre les « bonnes personnes » ensemble dans les « bonnes situations », et ensuite guider légèrement, en chorégraphie. Je pense qu’il faut essayer d’organiser une situation de tournage qui soit vraie, parce que la caméra ne ment pas, et le public voit tout.

8. Parlons plus profondément du film. Le colonialisme, l’esclavagisme, tous ces adjectifs en –isme sont à la fois présents et absents, car caressés par une caméra intemporelle. Vous peignez plus que vous filmez ?

Je pense que lorsqu’on peint un visage, ou un paysage, l’objet parle par lui-même. Les problématiques que ces choix engendrent pour le spectateur appartiennent au spectateur, et il faut lui donner la place pour rêver et réfléchir comme il veut, comme dans un vrai dialogue.

9. Il y beaucoup de références à Rocha, Kubrick, Herzog. Le corps est sacré dans votre film, d’où ces plans très appétissants. C’était votre but ?

Pour moi, filmer est un acte sacré, et effectivement je suis attiré par ces réalisateurs dont le travail respire la vénération de l’acte de voir, et de lire ce qu’on voit.

10. Vous n’aimez pas la facilité visuelle, la gratuité de la chute scénaristique, tout doit voler en éclats. Pouvons-nous rapprocher cela de la situation d’Haïti ?

Je suis issu de la diaspora Haïtienne, mais je ne peux pas spéculer sur l’influence qu’une culture qui est vivante pourrait avoir sur un travail qui lui-même est vivant. Je peux seulement dire que la culture d’Haïti, imbibée de l’histoire du pays, de ses triomphes et ses regrets, a toujours su les mettre en scène, et cela me fascine et m’inspire, mais il ne m’est pas permis de savoir ni où ni comment.

11. Ce n’est pas un film, sauf erreur de ma part, sur le Noir et le Blanc, mais un film sur des gens qui apprennent à voir ?

À partir de 0 et 1 naissent tous les chiffres, tous les calculs. À partir des archétypes Noir et Blanc, toutes les couleurs. Le film utilise aussi l’opposition entre riches et pauvres, hommes et femmes, maîtres et esclaves, pour créer un espace où la tension de l’Autre prend le devant, et où en effet, avec l’Autre, on devient conscient de nos propres regards, jugements, fantasmes, peurs, et solitudes.

12. Des projets ?

Un prochain long-métrage en Haïti !

 


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