Eldorado

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Présenté à la Quinzaine des réalisateurs cette année, ce deuxième long-métrage du comédien Bouli Lanners (vu notamment dans « Les Convoyeurs attendent » (1999) du belge Benoit Mariage, ou, plus récemment, dans « J´ai toujours rêvé d´être un gangster » (2008) de Samuel Benchetrit) nous conte l´improbable périple d´un vendeur de voitures et de son cambrioleur.

Tout démarre, en effet, lorsqu’Yvan, rentrant sagement chez lui, découvre planqué sous son lit un jeune voleur apeuré. Le temps que ce dernier se décide à sortir, une nuit passe, mais au matin, l’explication est donnée : Elie n’est pas un voleur, il a juste besoin d’argent pour prendre le bus et rendre visite à ses parents. Yvan, lui-même à la recherche d’un père, décide alors d’accompagner ce petit frère de substitution jusque chez lui, posant ainsi les bases d’une d’amitié décalée et plutôt bancale. Sur la route, au gré de situations loufoques, les deux compères croisent, dans l’ordre, un étrange garagiste assailli de visions funestes, un nudiste dévoué, une commerçante absente, une mère épuisée…

Avec ce film, Lanners revisite le buddy-movie (dans la droite lignée du Canardeur (1974) de Michael Cimino), et fait de ce road-movie belge une comédie amère aux accents d’Amérique, très proche du western dont il a compris le traitement de l’espace (et du ciel ! Magnifiques plans de ciels aux nuages mouvants, qui disent tout du fatum et de la petitesse échus à l’être humain !) et de la musique ; une Amérique évoquée en creux, comme un symbole, au détour d’une conversation sur le métier d’Yvan. Les Etats-Unis sont-ils l’Eldorado – illusoire – dont parle le titre du film ? Loin d’être ironique ou antithétique, ce titre fait au contraire résonner l’espoir, certes un peu oublié, un peu enterré, mais bel et bien présent au plus profond de chacun des personnages d’Eldorado.

L’histoire, parfois contemplative, souvent absurde et surréaliste, n’est, au fond, qu’un prétexte. Pour Lanners, il s’agit plus d’exprimer sa perplexité face à un monde en friche, que de raconter quelque chose. Sans l’optimisme d’un Mariage (bien que dans Cowboy (2007), l’optimisme s’évanouisse plutôt vers la fin, pour laisser place à quelque chose proche du regret et de la mélancolie) ou la nonchalance d’un Benchetrit, dont il poursuit cependant le travail sociologique, Lanners peint notre société post-industrielle exactement telle qu’elle se présente au début de ce nouveau millénaire : dans cet univers gris, fatigué, à la lumière apocalyptique de fin des temps (superbe lumière), les gens ne prennent plus d’auto-stoppeurs, possèdent tous des chiens pour garder leur maison, leur téléphone portable, et offrent des mines de déterrés hagards, prêts à fondre en larme à la moindre occasion.

Dans ce monde où l’on confond “fachisme” et “respect” (“Je ne t’empêche pas d’aller fumer dehors…” / “Si la fumée te gène, je ne t’empêche pas non plus d’aller dormir dehors…”), où l’on doit laisser les gens blessés sur le carreau (“Tu as ton brevet de secourisme ? Non. Alors tu t’en vas, tu fais comme si rien ne s’était passé.”), où “celui qui n’a pas la foi n’a rien”, Ivan-Bouli est là, qui, non grégaire, et à l’heure de la fin des grands récits et de la perte des valeurs importantes, se charge de nous rappeler ce qui compte vraiment avant qu’il ne soit trop tard. En cela, citer le western est extrêmement pertinent, car il suffit de voir l’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (Andrew Dominik, 2007) pour se rendre compte du pessimisme et de la cruauté d’une époque qui fait mourir tous ses personnages principaux. Sans parler du dernier film des frères Coen, ou bien encore de celui de Paul Thomas Anderson…

A l’instant le plus émouvant du film, tandis que les deux personnages jardinent au pied d’un grand arbre, nous revient à l’esprit le dernier plan de Cowboy, où le personnage principal, interprété par Poelvoorde, fond en larme à la vue d’un enfant. Qu’est-il arrivé à l’enfance, en effet, dont il ne reste ici plus que les flairs d’une vieille pellicule Super 8, et le squelette d’une balançoire oubliée dans les mauvaises herbes ? A travers les rencontres, la route, et l’impossible tentative d’un retour à l’état naturel, Lanners conte avec tristesse l’histoire d’un monde apathique et fatigué, désespérant de retrouver sa jeunesse. Le seul jeune ici, un toxicomane plus ou moins déclinant, semble être le plus vieux de tous les personnages du film. Conclu par une fin pessimiste, véritable point d’interrogation, Yvan-Bouli Lanners, condamné à marcher sur les tombes s’il veut vivre, se demande comment on en est arrivé là. Et c’est beau, tout simplement.

Titre original : Eldorado

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Durée : 85 mn


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