Elaha

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Tradition, hyménée, modernité.

« A un certain moment de ma vie, d’autres personnes me contrôlaient et je n’avais pas le courage de me défendre, ça m’a presque brisé, jusqu’à ce que je me pose la bonne question : es-tu la femme que tu veux être ? » Suivant le parcours d’une jeune Allemande de 22 ans, prise entre ses habitudes modernes et les traditions de sa famille d’origine kurde irakienne, Elaha est le premier long métrage bien réalisé de Milena Aboyan.

 

« Les dégâts causés au troupeau sont une gêne pour le berger. » Elaha connaît ces textes et dictons clés qui régissent la vie quotidienne de sa communauté très soudée, où tout le monde vit dans le même quartier, se connaît et se soutient, mais où protéger son honneur et éviter la honte sont des valeurs cardinales et des secrets très délicats à garder. Jeune femme de son temps, qui travaille à temps partiel dans un pressing (propriété de sa future belle-sœur)  Elaha suit un cours afin de passer le baccalauréat, Elaha adore s’amuser avec ses amis Berivan et Dilan . Mais même si la belle et vive jeune femme n’est pas toujours d’accord avec toutes les règles, elle respecte et apprécie les traditions kurdes et est très heureuse dans sa famille, où sa mère occupe une place de choix. Tous les esprits sont tournés vers le mariage d’Elaha avec Nasim prévu dans neuf semaines. Tous les esprits, mais surtout celui d’Elaha, qui a un gros problème à résoudre : elle n’est plus vierge. Elle se lance alors dans une quête secrète et de plus en plus désespérée, cherchant un moyen de reconstituer son hymen. Une recherche qui la mettra face à de nombreuses questions existentielles…

Porté par une actrice principale charismatique, parvenant aussi à donner une véritable identité à tous ses personnages secondaires, ce premier long métrage regorge de qualités, dont l’intelligence avec laquelle il aborde son sujet sans tomber dans le pessimisme ou la caricature de la jeune femme prisonnière des traditions obscurantistes. Au contraire, la cinéaste (qui a également écrit le scénario) travaille avec nuance et respecte les coutumes kurdes, ce qui ne fait que renforcer son message, développé via de nombreuses séquences diverses et bien rythmées grâce au concours d’une intrigue surprenante.

En suivant le parcours d’Elaha, il devient évident que son combat n’est pas seulement personnel, mais qu’il reflète un problème de société plus large. Milena Aboyan aborde habilement ce sujet sensible, nous invitant à remettre en question la validité de telles traditions et l’impact qu’elles ont sur la vie des femmes. Bayan Layla livre une performance exceptionnelle qui est tout simplement extraordinaire. L’éclairage et les couleurs du film sont également remarquables : lorsqu’Elaha fait semblant d’être la fiancée obéissante, les couleurs sont plus sombres et ternes, utilisant principalement des teintes de bleu royal et de vert foncé, mais lorsqu’elle est avec des personnes en qui elle a confiance, il y a plus de lumière du jour dans les scènes, et la lumière devient douce.

Tourné dans un format de type 4:3, vous plongez dans le monde des pensées de la protagoniste et ressentez ainsi  son enfermement et, parfois, sa solitude, même si Elaha est toujours parmi les siens et n’a pratiquement aucune intimité pour elle-même. Avec une grande intensité, Bayan Layla joue le désespoir, la tristesse mais aussi la volonté, l’espoir et la combativité. Sur le plan thématique, le film aborde de nombreux sujets avec humanité et subtilité. Elaha nous transporte avec empathie et tendresse dans les émois d’une jeune femme luttant pour son émancipation.

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Durée : 115 mn


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