El Club

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L’Ours d’Argent du dernier festival de Berlin : un film asphyxiant, d’une froideur complaisante, dénuée d’âme.

Avec El Club et son Grand Prix à la dernière Berlinale, Pablo Larraín rompt enfin la malédiction qui pesait sur ses films précédents – tous nominés dans les plus prestigieux festivals internationaux, ils en étaient invariablement repartis bredouilles.

Une poignée de personnages mystérieux, une modeste maison dans un modeste village de bord de mer : Larraín opte en apparence pour l’épure, et c’est tout à son honneur. Au sein de ce cadre retiré se profile peu à peu un constat édifiant relatif à l’une des institutions les plus ancrées dans la société chilienne : l’Eglise. Le récit lève ainsi le voile sur une réalité méconnue, celle d’une instance religieuse qui s’abroge le droit de soustraire à la justice certains de ses émissaires, coupables de crimes divers (pour la plupart pédophiles), en les envoyant dans des « maisons de pénitence » à l’écart du monde. L’équilibre apathique dans lequel sont engoncés les protagonistes ne va cependant pas tarder à battre de l’aile, au contact d’un quidam énigmatique destiné à jouer les trouble-fêtes en révélant quelques vérités trop longtemps étouffées. Dès lors, le programme que se fixe El Club est assez limpide : inverser les rôles usuels, les prêtres passants du statut de confesseur à celui de confessé. Malheureusement, le projet en reste précisément au stade du programme, avec ce que cela comporte de raideur et de facilités en tout genre.

 

Dès le départ, le cinéaste chilien s’enterre dans un système formel grossier, où l’image, toute en flous et filtres bleuâtres du pire effet, se voudrait dans sa texture même empreinte de l’incertitude morale et de l’état d’enfermement des personnages. De cette solennité empesée qui engourdit dès les premières images au rythme éculé du répertoire d’Arvo Pärt, El Club ne se départira jamais. Le récit, protégé un temps par l’aura que lui confère le mystère, révèle finalement ses limites, tant Larraín se contente platement d’en illustrer les enjeux sans ouvrir de quelconque perspective. Ployant sous la chape de plomb de sa propre suffisance, son film ne s’extrait d’un rythme étouffant et lymphatique que pour céder dans le dernier quart à une quête d’intensité des plus appuyées, climax véritablement surgi de nulle part, où la mécanique dramatique s’emballe soudain (deux actes de violence montés en parallèle, à grands renforts de musique emphatique), mais de manière totalement artificielle. De la première à la dernière image, il y a une incapacité réelle à s’extirper du théorique, du figé – ne subsiste qu’une pesanteur certes troublante, mais totalement désincarnée : à aucun moment personnages comme décors ne semblent prendre une réelle consistance. Étonnant, pour une oeuvre qui prétend rendre compte des états de l’âme et des tourments du corps, d’être paradoxalement aussi impuissant à filmer les visages – cette frontière entre les mondes intérieur et extérieur, dont Ingmar Bergman savait si subtilement capter les moindres oscillations.

Cependant, c’est probablement à travers la figure insaisissable de l’étranger que le cinéaste trahit le plus l’inconvenance de sa démarche. À travers lui est évoqué le traumatisme au cœur du récit (des prêtres ayant pratiqué des sévices sexuels sur des enfants), au moyen d’une figure privilégiée : la parole. Si El Club est le lieu de déversement de la parole crue et frontale d’une victime face au mutisme ou aux mensonges des bourreaux, celle-ci reste effective, avant toute considération narrative ou plastique, comme pure stratégie de malaise. Se reposer sur l’impudeur d’un personnage traumatisé pour susciter le choc, et a fortiori l’instrumentaliser en figure d’humour noir (à ce titre, l’une de ses dernières répliques a valeur de manifeste) : voilà qui en dit long sur l’attitude peu amène du maître d’oeuvre.
 

Titre original : El Club

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Durée : 107 mn


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