El Chuncho

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Un western révolutionnaire, à tous points de vue.

La première moitié des années 60 fut une période particulièrement agitée par les soubresauts politiques et les conflits idéologiques à travers le monde. La Guerre froide évidemment, avec le pic de tension que constitua l’épisode de la Baie des Cochons, la Guerre du Vietnam, l’Algérie indépendante et la menace de l’OAS en France, le tout trouvant son apogée avec les manifestations de 1968. Le cinéma devait bien évidemment s’imprégner de cette atmosphère et El Chuncho par sa nature de pur divertissement constitue un exemple des plus atypiques du film engagé.

Western Zapata

En 1966, année de sortie d’El Chuncho (tout d’abord sorti sous le titre espagnol de Quien Sabe ?), le cinéma politique est déjà particulièrement actif avec des oeuvres comme La Bataille d’Alger ou encore Queimada. Ces deux derniers films sont scénarisés par Franco Solinas, auteur engagé (responsable bien plus tard du script de Monsieur Klein de Losey) et éclectique, distillant ses opinions autant dans le cinéma politisé en marge que dans un registre plus grand public. Un constat s’impose, les films militants sortant alors sont très intellectuels et avant-gardiste dans la forme, en plus d’adopter un ton austère et didactique qui limitait forcément leur portée. Alors que parallèlement la comédie italienne remporte un succès massif tout en abordant sans détour les sujets sociaux les plus grinçants, une remise en question va se faire chez les artistes les plus activistes, pour tendre vers des œuvres plus populaires et susceptibles de toucher l’opinion. C’est sans doute la réflexion que s’est faite Solinas lorsqu’il s’est vu chargé de reprendre le scénario d’El Chuncho originellement écrit par Salvatore Laurani.

Le genre en pleine explosion en Italie alors est le western spaghetti, mis sur les rails par le triomphe de la trilogie des dollars de Sergio Leone ou encore le Django de Sergio Corbucci. Solinas déplace l’histoire de Laurani vers un terrain nettement plus politique, l’arrivée du réalisateur Damiano Damiani accentuant cet aspect. On lui doit en effet deux des films les plus marquants des années de plomb avec Confession d’un commissaire de police au procureur de la République en 1971 et Nous sommes tous en liberté provisoire. El Chuncho est son premier western (on lui doit plus tard l’oubliable Un Génie, deux associés, une cloche produit par Leone) et également une première manifestation du contenu de ses œuvres à venir. L’agencement de tous ces éléments va créer un sous-genre majeur du western spaghetti, appelé le western Zapata. El Chuncho en définit la formule immuable avec le cadre de la Révolution mexicaine, l’association entre un « péon » inculte et une jeune américain idéaliste, ainsi que la tonalité du film d’aventure trépidant.

L’opposition entre les paysans mexicains et les armées du Général Diaz offrait une parabole idéale aux idéaux de gauche, le western américain n’ayant que superficiellement abordé ce contexte dans Vera Cruz ou Les Sept Mercenaires. Le succès d’El Chuncho entraînera avec lui une foule de suiveurs. Corbucci réalisera des œuvres truculentes sur ce thème avec El Mercenario, Companeros et le bien nommé Mais qu’est-ce que je viens foutre dans cette révolution ?. Sergio Sollima fera du mexicain illettré un héros à part entière avec le personnage de Cuchillo (joué par Tomas Milan) dans son diptyque Saludos Hombre et Colorado et Sergio Leone mettra un point final au western Zapata avec son apolitique et désenchanté Il était une fois la Révolution. Le précurseur El Chuncho demeure néanmoins par son mélange d’idéalisme naïf et de lucidité amère le représentant le plus marquant du genre.

Ambiguïté

Une des grandes réussites d’El Chuncho est d’avoir su doser idéalement ce qui deviendra un cliché romancé dans les autres westerns Zapata. L’image du péon révolutionnaire ignorant au grand cœur est fortement malmenée avec le personnage d’El Chuncho. Ses actes sont teintés d’une ambiguïté certaine, pillages et massacres en tous genres sous couvert de révolution servant avant tout à s’enrichir avec la revente d’armes. Ironiquement, lorsque l’occasion se présentera d’agir en vrais guérilleros pour défendre un village menacé par l’armée, toute sa bande battra en retraite par peur de perdre le bénéfice des armes en les donnant aux villageois. Solinas connaissant bien les travers des gauchistes les plus radicaux, les retranscrit ici à travers quelques révoltants actes de barbarie. Ainsi un riche propriétaire n’ayant pour seul tort que sa réussite en opposition à la misère des paysans sera impitoyablement tué « pour l’exemple », tandis que sa femme échappera de peu au viol collectif. Le radicalisme politique poussé jusqu’à l’inhumanité pure ou encore l’engagement masquant des visées plus pécuniaires, les maux qui provoquèrent l’échec d’autres grandes causes sont ainsi abordés avec lucidité. Damiani évite pourtant toute lourdeur dans son propos et c’est au détour de la grande fête de libération du village que le cadavre du propriétaire sera aperçu, gisant dans un coin, vague dommage collatéral.

Ces révolutionnaires ne seraient donc pas loin d’être antipathiques sans une interprétation haute en couleur. Le casting découle également de la volonté du film d’allier message et divertissement. Gian Maria Volonté, acteur à forte conscience politique aura autant donné de sa personne dans le western spaghetti (deux méchants mémorables chez Leone et surtout le Professeur dans Le Dernier face à face de Sollima) que dans les films politisés des années 70 comme Un Juge en danger où il retrouve Damiano Damiani. Il offre une prestation mémorable en El Chuncho, cabotin, violent, coureur mais aussi terriblement attachant dans ses défauts à la manière du Tuco du Bon, la Brute et le Truand. Dans le rôle de l’Américain glacial aux objectifs mystérieux, on trouve un tout jeune Lou Castel. Une vraie surprise de le trouver là tant ses choix de l’époque (Les Poings dans les poches de Marco Bellochio, François d’Assise de Liliana Cavani) se font sous le signe du militantisme et des personnages en rebellion. Dans un registre plus « B », on notera les présences de Klaus Kinski (acteur incontournable du genre) en prêtre illuminé et Martine Beswick, anglaise d’origine jamaïcaine, qu’on retrouve dans quelque Bond et productions Hammer. Les exploits et les actes discutables de cette joyeuse troupe se noient dans un tourbillon de péripéties ébouriffantes.

Viva la Revolucion !

Tout au long de l’histoire, Damiani et Solinas ont largement jeté le doute quant aux réelles motivations et à l’engagement de leur héros révolutionnaire. L’équilibre entier du film réside dans la relation étrange entre El Chuncho et Nino (Lou Castel) l’Américain venu rejoindre les rangs mexicains. Chuncho s’avère proprement fasciné par la détermination froide vouée au profit du jeune américain, une attitude vers laquelle il tend sans pouvoir totalement s’y résoudre. Lors de l’épisode du village de rebelles, il faudra toute la faculté de manipulation du Nino pour faire partir la bande alors que Chuncho semblait animé d’une vraie volonté d’aider les plus faibles. Mine renfrognée tout en calcul, Nino est une machine froide et déterminée à un seul objectif que révèlera la conclusion : tuer le général à la tête des révolutionnaires mexicains. C’est dans son personnage et ses motivations qu’apparaissent les intentions des auteurs, faisant écho à l’interventionnisme américain ayant alors cours en Amérique du sud. Ayant judicieusement misé sur la cupidité de ses acolytes, Nino aura suffisamment bien manœuvré pour arriver à ses fins. Pourtant, sa noirceur se voit atténuée par la réelle amitié qu’il semble avoir pour Chuncho.

La conclusion aurait pu être idéale de cynisme lorsque Nino accueille Chuncho après les événements et lui propose de mener la grande vie en partageant la récompense avec lui. Pourtant ces dernières minutes condensent tout ce que le reste du film aura exprimé de manière dilatée : la différence fondamentale entre ces deux-là. La cupidité de Chuncho découle de ses origines misérables mais tendent malgré tout vers des plaisirs conviviaux tels l’amitié, les femmes et la bonne chair. Tout cela, Nino n’en a eu cure tout au long de l’intrigue, car ces agréments ne sont que la récompense de son but suprême : l’argent.

Le scénario aura en fait été l’illustration du vrai éveil idéologique de Chuncho, ne pouvant se conformer à l’attitude indifférente de son partenaire. Les signes affleurent lors de l’ultime séquence où Chuncho et Nino s’apprêtent à prendre un train pour les USA.

– Nino : « As-tu payé la fille de cette nuit ? »
– Chuncho : « Pour qui me prends-tu ? Je n’ai jamais payé pour ça ! »
– Nino : « Payer, ça évite toujours les complications. »

Tout le fossé séparant les deux héros s’exprime dans ce dialogue trivial et le mépris dont fait preuve Nino à la gare en doublant une file de pauvres au guichet achève de faire vaciller Chuncho. L’assurance détachée du Nino se transforme en incrédulité lorsque Volonté l’abat. Dans un éclat de rire salvateur, Chuncho distribue sa récompense aux pauvres non sans leur avoir recommandé d’acheter de la dynamite avec. La révolution peut continuer…

Titre original : Quién sabe?

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Durée : 113 mn


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