DVD « No Mercy » de Kim Hyoung-jun

Article écrit par

Si « No mercy » est loin d’être un exemple d´audace artistique, Kim Hyoung-jun propose néanmoins une variation habile – voire perverse – sur la vengeance, brodée sur une trame scénaristique particulièrement retorse.

Alejandro Jodorowsky l’avait fait découvrir avec enthousiasme aux spectateurs de l’Etrange Festival en septembre dernier, dans le cadre de la « carte blanche » qui lui était accordée. Si No Mercy est loin de « l’exemple d’audace artistique » promis par le réalisateur d’El Topo, Kim Hyoung-jun propose néanmoins une variation habile – voire perverse – sur la vengeance, brodée sur une trame scénaristique particulièrement retorse. Le film, qui n’était pas sorti dans les salles hexagonales, a connu un immense succès public en Corée au début de l’année.

No Mercy (« Sans pitié ») s’ouvre sur une série de travellings fugaces, dévoilant le rivage d’un fleuve à l’aube, baignant dans une étrange lumière bleutée. La quiétude de ce paysage est ébranlée quand éclate un coup de feu : on tire sur des oiseaux que l’on aperçoit dans le viseur… d’un appareil photo. Une jeune femme photographie en rafale un envol de canards affolés par les tirs de son compagnon. Des coups de feu inoffensifs donc, qui appuient plutôt la violence à l’œuvre dans ce shooting agressif. Mais la jeune femme rate ses clichés. Elle a beau mitrailler, son regard ne se pose de toute façon pas où il faut. Ce qui est à voir est là, par terre : un cadavre gît dans les hautes herbes qui bordent le rivage. Ce préambule semble servir de métaphore à l’idée de mise en scène à l’œuvre dans ce premier film : voir, c’est déjà trop tard – et encore faut-il pouvoir soutenir le regard. On ne reverra plus ce couple, immédiatement évincé du récit (et vite remplacé). De même, la photo du cadavre qui apparaît à l’écran après le générique n’est pas celui qui nous intéresse. Ainsi fonctionne le film, faisant se succéder fausses pistes et chausse-trappes : l’image, le plan peuvent toujours servir d’indices, les suivants viennent infirmer tout ce que l’on avait pu échafauder comme hypothèses. C’est ainsi que le thriller initial débouchera sur une histoire de vengeance tragique et terrible.


La Vénus et le Sphinx

Revenons-en aux faits : le corps retrouvé est celui d’une jeune femme, découpé en six morceaux. Une enquête est ouverte, menée par des inspecteurs benêts et machistes qui rudoient la jeune Min, nouvelle recrue motivée à peine sortie de l’Académie de police. L’incompétence de ces policiers les met d’office sur la touche mais redouble la pugnacité de la jeune femme, qui retrouve sur les lieux du crime un de ses anciens professeurs, le docteur Kang, brillant médecin légiste. Ce duo de charme archi-rebattu dans le cinéma policier traverse le début du film comme ils patrouilleraient dans une série policière : à leurs côtés, on retrouve le cortège de médecins légistes, policiers blasés, étudiants en criminologie, ainsi que l’indispensable expertise criminelle, ou encore l’incision du cadavre filmée de façon chirurgicale.

Un suspect ne tarde pas à être arrêté : Lee Sung-Ho, activiste écologiste à la tête d’un groupe (« J’aime Vénus ») luttant pour la protection du fleuve, dont il compare la beauté et les contours au corps de la déesse romaine. Trahi par sa claudication (« Qui d’autre marche sur trois pattes à part toi ? », demande Min), l’homme avoue rapidement son crime. A-t-il vraiment tué puis mutilé la victime pour se venger de la détérioration du fleuve ? L’enquête touche à sa fin au bout d’une demi-heure de film, quand elle apparaît soudainement comme une diversion scénaristique. Au cours d’un montage alterné sur-vitaminé, le docteur Kang apprend le kidnapping de sa fille, organisé par le même Lee. S’il partage avec le Keyser Söze de Usual Suspects (Brian Singer, 1995) son infirmité, il révèle aussi cette même capacité à tenir les ficelles d’un scénario dont il maîtrise froidement les ressorts de bout en bout. Il met Kang au défi de l’innocenter en lui demandant de falsifier toutes les preuves accumulées contre lui (et qu’il a lui-même appuyé de ses aveux) s’il veut revoir sa fille vivante. Et l’invite à éclaircir une énigme que lui seul peut résoudre : de quoi s’est-il rendu coupable par le passé ?

La vengeance dans le pathos

Commence alors une course contre la montre, menée tambour battant et montée efficacement, et prend à rebours les codes scénaristiques mis en place depuis le début du film. Le pacte conclu oblige Kang à garder une longueur d’avance sur la police, désormais à côté de la plaque, et à creuser non pas dans le passé de l’assassin mais dans le sien. Tout ce qu’avait bâti le film dans la première demi-heure ploie alors sous son propre poids, s’écroule et se retourne impitoyablement contre son héros par le truchement d’un scénario cruel et implacable. Kim Hyoung-jun ne s’en émeut visiblement pas assez, et accentue l’horreur progressive dans lequel est inéluctablement entraîné Kang par des effets de mise en scène d’une lourdeur parfois dérangeante (ralentis, accords de musique dramatique, zooms alarmants).

Se développant autour d’un scénario retors sur la vengeance, la fiction devient ici une machine à broyer ses personnages, à fabriquer du néant, au terme de laquelle la jeune Min, assiste, en témoin impuissante – comme nous autres spectateurs -, à la tragédie finale. Une tragédie qui parachève l’orchestration machiavélique de cette vengeance, laissant loin derrière elle les enjeux du polar par lequel tout avait commencé. La dilation du temps, la musique grandiloquente, le montage alterné complexe qui structure la dernière séquence, font sombrer la sentence du châtiment dans un pathos douloureux et (très) solennel. Park Chan Wook et sa trilogie de la vengeance (Sympathy for Mister Vengeance, Old Boy, Lady Vengeance) ne sont pas très loin. S’il ne possède pas la maîtrise visuelle et la virtuosité de la mise en scène de son compatriote, Kim Hyoung-jun signe un film dont l’implacable mécanique scénaristique confine à la cruauté morale, qui aurait gagné à se démarquer en abordant le sujet avec un peu plus d’inventivité et – pourquoi pas ? – de légèreté.

Bonus
Aucun supplément n’est compris dans cette édition DVD.

 

 


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi