DVD « Fedora »

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Hollywood : une mère toxique ?

Il serait dommage d’envisager Fedora (1978) comme une simple redite de Boulevard du crépuscule (1950) dans la carrière de Billy Wilder, ou comme l’amer témoignage testamentaire d’un vieux réalisateur has been sur le cinéma de son temps. Véritable échec à sa sortie – comme la plupart des films de Wilder à partir d’Embrasse-moi, idiot qui fit scandale en 1964 -, Fedora s’impose comme un manifeste certes aigre mais surtout corrosif et actuel de son réalisateur sur l’industrie du spectacle. On ne peut en effet réduire la motivation de ce film à une âpre rancœur envers les studios américains qui refusèrent de le financer : faire produire Fedora en Allemagne suite à l’abandon d’Universal n’était après tout qu’une mésaventure de plus pour un Wilder qui avait déjà choisi de tourner Avanti! (1972) en Europe suite à la mutilation de La Vie privée de Sherlock Holmes par son distributeur en 1970. D’ailleurs, remettons les pendules à l’heure : certes, à cette époque Universal préférait les films catastrophes, mais c’est surtout Wilder qui refusa toutes les stars du box office que les studios voulaient lui imposer.

Si le personnage de Fedora a vraisemblablement été inspiré par Greta Garbo, c’est néanmoins à Marlène Dietrich que Wilder avait initialement proposé le rôle de l’actrice vieille. Toutefois, et même s’il embauche à nouveau William Holden, son intention n’était certainement pas de réaliser une deuxième mouture de Boulevard du crépuscule. Le cauchemar hanté par les icônes abîmées du cinéma muet – Gloria Swanson, Erich von Stroheim, Buster Keaton – n’a définitivement plus lieu d’être en 1978. Holden a vieilli. Hollywood aussi. La comparaison entre les deux scénarios en est d’autant plus légitime… à condition de ne pas en rester à leurs narrations en flashes back et au constat du pamphlet contre le star system. Car c’est bel et bien la nature de ce système qui a évolué.

 

 

De prime abord, Holden – alias Barry Detweiler -, en producteur loser, s’impose évidemment comme le double de Wilder, une vieille rosse bonne pour l’abattoir aux yeux de l’inconstante Hollywood qui lui préfère désormais les jeunes « barbus » – les Georges Lucas et les Spielberg. Hollywood refuse de vieillir. Pour continuer à séduire le public, elle doit s’injecter du sang neuf et purger son organisme des scories qui ont autrefois bâti son aura. C’est sur ce cruel bilan que Boulevard du crépuscule construisait son intrigue, autour du vampirisme, là où Fedora parle essentiellement de spéculation. Arrivé à Corfou dans l’espoir de convaincre la mythique actrice Fedora d’accepter son nouveau scénario – un remake de Anna Karenine (Garbo a joué dans celui de Clarence Brown en 1935) -, Barry pense se retrouver face à une beauté inaltérée, dupé par la crédule planète médiatique qui a propagé cette rumeur. Le suicide de l’actrice va ainsi révéler à Barry une toute autre vérité, plutôt glauque… La véritable Fedora a, en quelques sortes, abusé du botox. Défigurée et honteuse, elle a dû pour reconquérir sa gloire abuser de la naïveté d’une doublure consentante.

« – Vous faites ce métier depuis longtemps. Il ne s’agit que d’effets spéciaux, de décors et de larmes de glycérine.
– C’est ça la magie. »

Inspiré du roman Crowned Heads (1976) de Thomas Tryon, le drame psychologique qui se trame sous nos yeux n’est qu’un prétexte pour montrer que la soi-disant aura des acteurs dont les critiques et les producteurs se rincent la bouche lorsqu’ils glosent sur le charme envoûtant des vedettes de cinéma n’est qu’une grossière arnaque marketing, montée de toutes pièces par les studios, puis relayée par les media. Ce n’est pas un hasard si le film s’ouvre sur l’annonce de la mort de l’actrice au journal télévisé. Fedora pourrait être n’importe quelle femme au physique trafiqué, affublée d’un large chapeau et de lunettes de soleil. Le discours sur la dépossession de soi, homologue à celui récemment tenu par Steven Soderbergh dans Ma vie avec Liberace (2013), s’élargit vers une critique plus vaste encore du culte de la marque déposée. « Fedora » sonne creux. Au contraire de Gloria Swanson, qui incarnait Norma Desmond et par extension un moment cinématographique bien précis et révolu, elle n’est personne et ne représente absolument rien sinon le concept vendeur du glamour : « Fedora » est un emballage fardé de gimmicks vocaux et gestuels, d’où l’intérêt de porter son choix définitif sur Marthe Keller, la très belle petite amie d’Al Pacino, pour interpréter Fedora jeune.

 

 

« Qu’est-ce que tu attends de moi ? »

Ne pas se laisser abuser, donc. Même si ce bon vieux Billy ne semble pas se lasser de ressasser les mêmes leitmotivs, notamment ses pics lancés à la censure (on pense à la scène des nénuphars), ils n’en sont pas moins pertinents, surtout avec 36 ans de recul. Après tout, les media, eux, ne se lassent pas non plus de répéter en boucle leurs rapprochements superficiels et gagas, qualifiant un jour Scarlett Johansson de nouvelle Marilyn Monroe, ou un autre, Léa Seydoux de nouvelle Brigitte Bardot. À se demander qui sont les véritables radoteurs. 



Fedora de Billy Wilder – Coffret 2 DVD édité par Carlotta – Disponible depuis le 26 février 2014;

Suppléments : Le Chant du cygne : l’histoire de Fedora de Billy Wilder (Robert Fischer, 2014), un documentaire de 87 minutes sur la genèse du film avec les entretiens de Marthe Keller, Michael York, ou encore du directeur de la photographie, Gerry Fisher.  

Titre original : Fedora

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Durée : 115 mn


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