DVD « Django »

Article écrit par

Wild Side édite une nouvelle version du film de Sergio Corbucci : l´occasion idéale de réviser ses classiques tout en découvrant le western de Quentin Tarantino.

Réalisé en 1966, le Django original que Tarantino remet sous les feux de l’actualité n’a rien à voir, en termes de postérité, avec l’Inglorious Bastards (1978) de Castellari auquel le réalisateur rendait aussi hommage, tout du moins en titre, avec son précédent film. Plus qu’une série B italienne, le film de Sergio Corbucci (Navajo Joe, 1966 ; Le Grand Silence, 1968 ; et bien d’autres) est l’une des matrices d’un genre prolifique et mythique, le western spaghetti, l’autre acte fondateur étant Pour une poignée de dollars (1964) du maestro Leone.

Corbucci n’a jamais caché qu’il s’était inspiré de la trilogie de l’Homme sans nom, personnifié par Clint Eastwood, pour créer le personnage de Django, dont le nom est un hommage simple et direct à Django Reinhardt, dont le réalisateur italien était fan. Même statut de figure fantomatique, sans passé et sans attaches, expulsée sans ménagement d’un néant narratif – une colline boueuse au beau milieu d’un marais désertique -, même trame narrative bâtie autour de l’affrontement entre deux bandes rivales – ici des « foulards rouges » Sudistes alliés à l’armée mexicaine et une bande de pillards, également mexicains, sur le point de lancer la « Révolution » -, même aisance surnaturelle du héros pour décalquer à la vitesse de l’éclair tous ses ennemis… S’il n’étaient pas forcément les plus rentables, les westerns de Leone étaient définitivement les plus influents à leur époque, ne serait-ce que par le soin maniaque qu’apportait le cinéaste à chaque constituante de son œuvre.

Corbucci n’a jamais été un perfectionniste, comme l’avoue son ancien assistant réalisateur Ruggero Deodato (devenu depuis l’auteur culte de Cannibal Holocaust en 1979) dans l’unique bonus du DVD uncut réédité par Wild Side. N’arrivant que rarement avant midi sur les plateaux, Corbucci, paresseux, commencera le tournage du film sans réel scénario – c’est son frère Bruno qui rédigera un script complet -, tout juste avec une idée, reprise d’un manga de l’époque, celle de Django traînant derrière lui, partout où il se rendra, un mystérieux cercueil. Tourné à Rome et en Espagne, Django s’est donc construit jour après jour presque par accident, le film tirant par exemple son identité visuelle – terreuse, grisâtre et décharnée – des conditions climatiques du tournage. Le plateau romain où était bâti la petite ville abandonnée où débarque Django était en effet rendu boueux par la pluie, donnant des allures de purgatoire surréaliste à ce décor où le pistolero sèmera la mort.
 
 

 
 
Par sa cruauté – on y découpe des oreilles en s’esclaffant, Django se fait piétiner les mains par des chevaux, les femmes de petite vertu s’y font tirer dans le dos -, son surréalisme flirtant avec le fantastique, son contexte frontalier et bien sûr son héros mutique et mortellement efficace, Django préfigure quasiment toutes les déclinaisons futures d’un genre qui aura produit quantité de rejetons en une infime période de temps. On ne compte plus les westerns zapata – lire « révolutionnaires ») ou les avatars de Django – le nom sera repris sans vergogne par plus d’une trentaine d’imitateurs, avant que ne soit réalisée en 1986 la seule suite officielle (Django 2 : Le grand retour – Nello Rossati, 1986) – qui prendront la suite du film, signe que l’originalité de l’œuvre avait bel et bien marqué son temps. Avant que Tarantino ne se penche sur son cas, des cinéastes comme Takashi Miike (Sukiyaki Western Django, 2007) ou Robert Rodriguez (Desperado, 1995) ont d’ailleurs également, ces dernières années, payé leur dû à ce film-clé.

Car malgré le temps qui passe et abîme, malgré la simplicité roborative de l’histoire et des dialogues, Django continue de fasciner : le débutant Franco Nero s’y révèle magnétique, son regard bleu acier sur lequel s’attarde logiquement la caméra de Corbucci remplaçant d’une séquence à l’autre bien des mots. C’est un romantique – il veut venger sa femme -, un justicier – son ennemi juré est l’infâme major Jackson, qui s’amuse au tir aux pigeons avec ses prisonniers mexicains -, mais aussi une canaille imaginative, cachant une mitrailleuse dans son cercueil et volant au nez et à la barbe des bandits un tas d’or lors d’une séquence à suspense très réussie.

Comme Le Grand Silence et d’autres le confirmeront par la suite, Corbucci est malgré son désir de divertir un pessimiste dans l’âme : la richesse, la compagnie d’une femme qui l’aime, la rédemption, Django n’y aura pas droit. Sa quête se termine certes par la défaite de Jackson, mais dans ce cimetière d’où il repart en titubant, seule la mort accompagne le pistolero solitaire, alors que les paroles du thème immortel de Luis Bacalov – la seule chose que Tarantino a finalement repris du film, avec le nom du héros et Franco Nero – retentissent : "Django, have you always been alone" ?

En 1966, le mythe du cow-boy partant sous le soleil couchant une fois justice rendue prenait une toute autre couleur, celle d’une terre aride et ensanglantée sur laquelle rien ne repousserait. Tout d’un coup, John Wayne et ses chevauchées en Technicolor paraissaient bien loin.
 
 

Django de Sergio Corbucci – DVD édité par Wild Side Video – Disponible depuis le 9 janvier 2013.

Titre original : Il Mercenario

Réalisateur :

Acteurs : , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 95 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…