Dune

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Un film grandiose, majestueux, qui donne enfin à la saga l’ampleur qu’elle mérite.

Nous sommes en l’an 10191 ; L’Empereur Padishah Shadam IV règne sur l’ensemble de l’univers connu. Ses deux plus grands vassaux, Le Duc Atréides et Le Baron Harkonen, se jaugent du regard en attendant le prochain assassin ou la nouvelle ruse qui doit mettre un terme à leur rivalité proverbiale. Aussi, lorsque l’Empereur décide de prendre le fief d’Arakis des mains des Harkonen pour la donner à leurs ennemis, le Duc Leto se méfie. La planète désertique est un cadeau gorgé de poison : son climat et ses habitants sont particulièrement hostiles, mais c’est aussi le seul endroit où existe l’épice, la ressource la plus convoitée de la galaxie. En plus de permettre le voyage dans l’espace, elle offre la longévité et donne des hallucinations qui s’avèrent prémonitoires aux initiés. Certaines nuits, le sable de Dune s’infiltre jusque sur la lointaine Caladan, jusque dans les rêves du jeune Paul, le fils du Duc. Il est loin d’imaginer l’ampleur du destin qui l’attend là-bas, au cœur du désert. Un destin qui changera à jamais le visage de l’univers.

 

Villenevien

C’est une véritable odyssée qui nous éclate ici au visage. L’étendard de la science-fiction claque au vent, traversé par le souffle de l’épique comme rarement le cinéma en a été capable. On retrouve là ce que Peter Jackson cherchait à faire avec Le Seigneur des Anneaux, ou ce qu’il était possible de vivre dans les grandes heures de Game of Thrones. L’action est brutale, percussive, appuyée par une musique très efficace (évidemment composée par Hans Zimmer). Très vite, Dune s’impose à l’œil comme un spectacle grandiose, un festin visuel de deux heures trente qui va nous régaler d’images somptueuses jusqu’à satiété. Chaque planète frappe par sa beauté : les dunes d’Arakis, bien sûr, mais aussi les montagnes de Caladan, les ténèbres de Gieidi Prime, les chants de Salusa Secundus, les véhicules, les costumes, les accessoires… Il y a ici tout un univers à introduire, et le réalisateur ne se presse pas, il nous le présente avec passion. Le réalisateur de Premier Contact ou de Blade Runner 2049 était remarquable pour ses décors disproportionnés, souvent très épurés et à l’éclairage méticuleux. Peu d’autres que lui font de la science-fiction à grand budget de cette manière ; il nous donne le temps de contempler la technologie, l’espace, le xéno. Rien à voir avec le studio Marvel et ses Gardiens de la Galaxie. Villeneuve confirme qu’il est l’homme dont la saga avait besoin. Et quand la bataille éclate enfin, on atteint le paroxysme de sa démonstration.

Nouveau chapitre

Lorsque Denis Villeneuve se lance dans l’adaptation de Dune, il sait qu’il est attendu au tournant. Les six livres de Franck Herbert constituent un monument de la science-fiction des années 1960, un des plus vendus au monde, brillant spécimen du space opera, avec ce que cela implique de tragédie grecque. L’auteur n’aura de cesse d’explorer cet univers avec le cycle de Dune, qui compte cinq autres romans, sans compter ceux rédigés par son fils ou d’après ses notes. On peut également trouver des bandes dessinées, des jeux vidéo, des jeux de plateau et même un jeu de rôle. C’est un grand fantasme que de voir s’incarner en image un livre aussi puissant. Mais c’est aussi à cause de ses prédécesseurs que ce film fait évènement. Le génial Alejandro Jodorowsky s’est le premier lancé dans l’aventure en 1975 ; à cinéaste surréaliste, projet surréaliste – et cette fois-ci, le miracle nous a été refusé. Un casting monstrueux (Salvador Dali, Orson Welles, Mick Jaeger, Pink Floyd pour la bande-son, Moebius et Giger comme concepteurs…) pour un film de douze heures, impossible à financer. Le non moins talentueux David Lynch reprend le projet de zéro en 1984. Le résultat aura divisé l’équipe avant les spectateurs, et la bataille pour le montage n’aura pas laissé son œuvre indemne. Loin d’être déçu, le film a mal vieilli, et on regrette de ne pas voir plus du style de Lynch. Avec ce nouvel épisode, Dune exprime enfin son plein potentiel.

 

 

Le sens du sacré

Les lecteurs assidus ne constateront pas beaucoup de changements dans la trame narrative. Globalement, Villeneuve a surtout insufflé son style dans le roman sans le modifier. On retrouve les singularités de cet univers ; par exemple, le quasi-monopole des transports longs distances détenu par un conglomérat. Cela implique beaucoup moins de grandes batailles spatiales du genre de Star Wars. Autre particularité, les soldats sont équipés de boucliers qui les protègent des projectiles classiques, et qui favorisent donc le combat à l’arme blanche. Toutefois, une des lacunes qu’on peut reprocher au film est l’absence de réflexion sur le mystique. Il y a bien des personnages religieux, des éléments qui relèveraient de la magie, mais nous parlons ici de croyance, de l’impression produite par le rituel sur ceux qui y assistent. Villeneuve s’intéresse tellement à l’image qu’il en délaisse le spirituel ; il nous avait pourtant montrés dans Blade Runner 2049 qu’il pouvait en avoir conscience. Cette réflexion de fond qui travaille le livre disparait au profit de l’épique. De plus, le rythme un peu plus lent finit par s’essouffler dans la dernière partie ; l’action est trop ralentie, on attend la coupure vers le prochain épisode.

Nous vous recommandons bien sûr de lire le livre de Franck Herbert, à la fois un classique et une œuvre vraiment originale ; et si cet article vous a intéressé, nous vous conseillons également Jodorowsky’s Dune, documentaire passionnant sur cet homme et sur son projet d’adaptation. Même si le film n’a pas abouti, il a fait se rencontrer de multiples talents dont l’héritage est considérable. Ainsi, nous devons indirectement à Dune Alien, L’incal, La Caste des métas-Barons et possiblement Star Wars, auquel il n’a par ailleurs rien à envier.

 

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Durée : 157 minutes mn


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