L’Homme en phase ou contre la nature, son questionnement sur sa place dans l’univers, ses penchants guerriers… Des grands thèmes qu’on retrouve tout au long des meilleurs films de John Boorman comme Zardoz, Excalibur, Délivrance ou encore La Forêt d’émeraude. Pourtant, ces œuvres ne sont finalement que des extensions dans d’autres univers de tout ce qui se trouvait à l’état brut dans Hell in the Pacific, magistral troisième film du réalisateur et qui lancera définitivement sa carrière internationale. Avec un pitch minimaliste, Boorman réalise une des œuvres les plus puissantes sur les clivages culturels et raciaux entre les hommes.
Antagonisme
Duel dans le Pacifique partage l’auguste honneur, avec Le Limier de Mankiewicz, d’être un des rares films à n’avoir que deux protagonistes tout au long de son récit. Bien que finalement délesté de certains de ses partis pris les plus extrêmes (le film devait être au départ entièrement muet, finalement seule la première moitié ira dans ce sens), l’exercice s’avère hautement périlleux. Boorman ose en effet narrer une histoire reposant sur l’hostilité et la haine que se vouent deux hommes sans pratiquement montrer de réels affrontements physiques entre eux. La seule scène donnant dans cette veine guerrière est une scène d’hallucination, chacun s’imagine tué par l’autre alors qu’ils se font face sur la plage. Séquence unique mais qui sera bien évidemment utilisée en masse lors de la promotion du film pour renforcer son aspect belliqueux alors que Boorman usera d’outils bien plus subtils.
L’autre point remarquable est la manière dont Boorman délivre quelques saillies politiques à travers la caractérisation de ses personnages. Toshiro Mifune, exprime une haine aveugle et farouche envers Lee Marvin dès son arrivée sur l’île, avant même que celui-ci suscite la moindre menace. Cette animosité viscérale se fait ainsi le reflet du régime impérial japonais qui éveillait ainsi les bas instincts de ses soldats envers l’ennemi américain, appuyé par les yankees, hurlé par Mifune lorsqu’il traque son ennemi. Du côté de Lee Marvin, le sous-texte est plus sournois encore. En situation de faiblesse face au japonais déjà installé sur l’île, il se montre conciliant afin de pouvoir lui soutirer de l’eau. Cependant, dès que la situation le permettra, il n’hésitera pas à l’humilier ouvertement (ce moment où il lui urine dessus du haut d’un arbre) et tentera d’investir son espace. L’allusion au comportement des colons américains envers les Indiens, certes pas évidente est pourtant bien réelle, Lee Marvin adoptant exactement le même comportement pour occuper la place. Visuellement, Boorman traduit le fossé séparant ses protagonistes par des idées simples mais efficaces, en exploitant au maximum la topographie de l’île (bien aidé par la photo splendide de Conrad Hall). L’illustration la plus frappante est la coupure opérée dans le plan par le jeu sur les focales et la profondeur de champ qui sépare distinctement les personnages à l’image, à des distances plus ou moins éloignées. Cette figure est utilisée surtout en début de film lorsque l’affrontement bat son plein et réapparaît judicieusement dans la cruciale dernière scène.
L’enfer, c’est l’autre
La première partie aura porté le combat à son summum, les deux héros se dominant et se rabaissant l’un l’autre à tour de rôle. Pourtant, Boorman semble laisser l’espoir hypothétique d’une entente dans le fait qu’aucun ne franchisse le pas qui consiste à tuer l’autre. L’occasion se présentera plusieurs fois mais par peur de la solitude ou par une forme de respect pour l’autre, l’acte ne sera finalement pas perpétré. La faune de l’île, en isolant les héros les rapproche également. Les conflits idéologiques s’estompent pour faire front commun et s’enfuir de cet enfer tropical. Affronter l’autre coûte des efforts, et surtout oblige à l’entretenir si on ne se décide pas à le tuer. De cette facette purement pragmatique vont surgir peu à peu les scènes de franche camaraderie sous les différences culturelles. Des différences qui, si elles provoquent des désaccords certains (tout le passage où les deux proposent des méthodes opposées pour construire un radeau), servent au final l’entreprise par leur complémentarité. Le tournage s’étant en grande partie reposé sur l’improvisation, ces moments-là sont confondants de naturel. Boorman laisse longuement la caméra tourner, et ses personnages échanger, se disputer, se réconcilier dans une mise en scène naturaliste dépourvue des effets agressifs du début du film. Les deux acteurs sont au sommet de leur art avec un Lee Marvin faisant preuve de sa décontraction et de son air goguenard habituel. Toshiru Mifune tout en tension, exprime à merveille le relâchement progressif de son personnage peu à peu en confiance en compagnie de ce « yankee ».